Publié le Dimanche 4 septembre 2011 à 18h37.

6 heures du matin, à l'usine avec Poutou, le candidat prolo du NPA (Rue 89)

(De Gironde) Le jour n'est pas encore levé mais Philippe Poutou a l'œil vif et le cou parfumé. Au volant de sa Peugeot, le candidat à l'élection présidentielle du NPA fonce vers l'usine Ford de Blanquefort, près de Bordeaux. Depuis quatorze ans, il y prend son service à 6 heures du matin et hors de question pour lui de rompre cette habitude: «Je suis un ouvrier en campagne, pas le contraire.»

Il avoue avoir eu du mal à se réveiller. La veille, le réparateur de machines a quitté Port-Leucate après trois jours d'université d'été. L'épreuve a été rude: contrairement à son charismatique prédécesseur Olivier Besancenot, il n'est pas un habitué des estrades. Ses «camarades» le connaissent à peine. Les Français, n'en parlons pas.

Il confie que ce sont ses «copains de l'usine» qui l'ont encouragé à proposer sa candidature, parce que «ce serait bien d'avoir un candidat ouvrier qui a participé à des luttes».

Un syndicaliste chevronné qui «a sauvé les meubles»

Premier ouvrier à se porter candidat, Philippe Poutou est un symbole que le NPA semble vouloir mettre en avant. Avant d'entrer chez Ford, ce militant LCR de la première heure a cumulé des années d'intérim, rempli des bouteilles de vin à la chaîne et fait de la manutention. En 1999, le CDI qu'il décroche chez Ford lui permet de prendre sa carte à la CGT:

«Avant, ce n'était pas possible: quand on est en intérim, on fait profil bas car sinon c'est dur de décrocher du travail. L'entreprise n'est pas un lieu démocratique.»

Fin 2007, les 2 000 ouvriers de Blanquefort ont appris la fermeture de leur usine. Secrétaire de la CGT, Philippe Poutou a pris les rennes de la contestation. A force de grèves, de blocages et de manifestations, l'établissement sera finalement sauvé.

Sur les 2 000 postes qu'il comptait, il en reste 950.

«Monsieur le Président», plus jusqu'au-boutiste que prédicateur

A la pause cigarette, tous les rescapés avouent avoir été surpris par la candidature de leur collègue. Ils sont aussi unanimes pour affirmer que «Monsieur le Président» est une figure de l'usine, qui a largement contribué à «sauver les meubles».

Jean-Christophe Albando est agent de maintenance depuis 25 ans. Ce «bébé Ford» rentré à l'usine à 17 ans apprécie Philippe Poutou pour ses qualités humaines:

«Une fois à son poste, il travaille comme les autres. Il ne fait pas de prosélytisme. Il ne se fera pas acheter.»

Son collègue Alain Lamour, 25 ans d'ancienneté, lui reconnaît des aptitudes. Mais il ajoute:

«Il a un côté jusqu'au-boutiste. Au moment des grèves, il avait tellement de revendications qu'on se demandait parfois si on n'allait pas tout perdre plus vite!»

Et Poutou président? Un peu plus loin, les éclats de rire fusent, plus amusés que moqueurs. La plupart sont conscients des intentions de vote au ras des pâquerettes qui lui sont créditées.

Aller à l'usine le matin, parler aux politiciens l'après-midi

Carlos Cervantes et Laurent Marzin, tous deux encartés à la CGT et au NPA, voteront eux sans hésitation pour leur camarade collègue, qui «pourra dire tout haut ce que les ouvriers vivent au quotidien».

Une satisfaction que ne boude pas non plus le candidat:

«Il y a des occasions qui font rêver: aller à l'usine le matin et débattre avec des politiciens l'après-midi me fait plaisir. Contrairement à eux, je ne ferai pas semblant de savoir de quoi je parle. Je penserai aux copains.»

Arrêter de travailler est pour lui inimaginable. Ce serait être comme intégrer «la caste des politiciens isolés de la société».

A 11h30, le candidat chaussé d'une paire de baskets s'échappe de l'usine d'un pas vif. Il rejoint les locaux de France Bleu Gironde où un duplex avec France Culture l'attend. Seul dans le studio feutré, Philippe Poutou sent la tension monter.

Faute de temps, il n'a rien préparé. La respiration bruyante, il griffonne nerveusement quelques notes sur un bout de feuille.

Pas de mediatraining, «pour rester authentique»

L'homme reconnaît en toute modestie ses faiblesses. Une stratégie de communication? La question déclenche une exclamation:

«Mais déjà, est-ce-que j'ai une stratégie de communication? Je ne pense pas. J'ai refusé d'avoir des cours de mediatraining parce que je veux rester authentique. De toute façon, si je mens, je me ferai forcément coincer.»

Assis à la terrasse d'un café en début d'après-midi, il se frotte la tête l'air fatigué. Pour le moment, l'ouvrier se contente de fractionner ses journées de congé pour honorer ses rendez-vous politiques. Il prévoit à l'avenir de prendre un jour ou deux jours hebdomadaires sans solde. Beaucoup pensent qu'il lui sera dur de tenir ce rythme.

Pour le moment, 100 signatures ont été glanées. L'important pour lui n'est cependant pas l'élection:

«On veut avant tout donner une visibilité à nos idées, faire passer un message pour inciter les gens à descendre dans la rue.»

En attendant, Philippe Poutou peut encore discuter avec conviction des objectifs du NPA dans la rue sans être reconnu. Seul un passant s'arrête, lui jette un coup d'œil furtif et change brusquement de chemin. C'est l'ancien DRH de l'usine, contre qui Philippe Poutou a défendu les emplois.

Marie Kostrz