Tribune de Philippe Poutou publiée par le Huffington Post. Il faut en finir avec l’arrogance patronale et gouvernementale qui réduit nos droits chaque jour un peu plus.
L’usine Ford de Blanquefort et ses emplois (900 directs, environ 3000 induits) sont clairement en danger. Ford Europe a annoncé sa volonté de se désengager le 27 février dernier. Mais en réalité, cela fait au moins 10 ans que Ford cherche à lâcher son usine. Après un premier échec en 2008-2010, avec le repreneur bidon HZ, Ford avait dû racheter son usine vendue à peine 18 mois avant. La multinationale a voulu tirer les leçons dans un document "secret" révélé récemment, dans lequel il a explicitement détaillé la procédure pour se débarrasser d'une usine sans faire d'histoire.
Après des années d'entourloupes, de fausses promesses, d'engagements non respectés (signature d'un accord avec les pouvoirs publics en mai 2013), voilà que Ford retente un départ. Tout est scandaleux dans l'histoire. Un scandale quasiment ordinaire tant il s'agit d'une stratégie patronale classique. Mais un scandale que personne ne devrait accepter, face auquel il ne faut surtout pas se résigner.
Ford a reçu des aides publiques à hauteur de près de 50 millions d'euros ces 5 dernières années. C'était inscrit dans l'accord de mai 2013. En échange, Ford devait maintenir 1000 emplois et une activité suffisante jusqu'en mai 2018. Ce qui n'a jamais été respecté. Pourtant Ford a continué de recevoir les subventions. Mais l'État et les collectivités territoriales n'ont pas réagi. Ils ont laissé courir et pourrir une situation très prévisible. La Cgt-Ford avait pourtant alerté, dénoncé et même saisi le tribunal qui avait fini par condamner Ford (en 2017). Mais sans effet concret.
L'annonce du 27 février de ne plus investir dans l'usine a fait du bruit parce que l'attitude de Ford est grossière et inadmissible. Même le gouvernement, les pouvoirs publics, n'ont pas pu faire autre chose que de dénoncer Ford, parlant de "trahison". Sauf qu'ils en restent à des paroles indignées sans chercher à imposer à Ford quoique ce soit. Aujourd'hui les milliers d'emplois menacés alors que la multinationale fait des profits énormes, distribue des dividendes historiques et déclare des objectifs ambitieux. Tout va bien sauf pour nous salarié.e.s.
Nous ne reconnaissons pas à Ford le droit de partir!
Nous sommes mobilisé.e.s, nous avons fait des grèves, des manifestations, des actions de blocage, des initiatives pour sensibiliser la population. Pour nous il s'agit de sauver l'usine et tous les emplois. En fait nous ne reconnaissons pas le droit à Ford de partir. Après 45 ans de présence, avec toutes les aides publiques encaissées durant toutes ces années, cette usine est devenue en partie publique, Ford n'a pas la légitimité pour décider seule. On ne fait pas tout ce qu'on veut dans la vie. Ford a bien des comptes à rendre, des obligations à respecter envers les salarié.e.s comme la population.
Notre bataille c'est que Ford doit rester pour maintenir l'activité et les emplois sur l'usine. Les pouvoirs publics, l'Etat doivent imposer à Ford de rester. Le coup du repreneur défendu à nouveau par Ford est un piège, un vrai processus de sous-traitance, de fermeture d'usine. C'est une solution inacceptable, non viable et tout le monde le sait en réalité. Il suffit de voir nombres d'exemples, GMS en Creuse tout récemment.
Beaucoup de collègues sont cependant résignés, sont convaincus que Ford est le plus fort et ce, malgré ce qui nous est arrivé il y a 10 ans. Résultat, notre mobilisation n'est pas encore aussi importante que nous le souhaitons et qu'il le faudrait. Car c'est par notre lutte que nous pouvons mettre la pression et changer la donne.
Alors nous continuons à sensibiliser, à faire entendre notre résistance, notre refus de baisser la tête. Le miracle on y croit. Seulement ce ne sera pas tout seuls que nous l'obtiendrons. C'est avec les habitants, avec les salariés d'à côté, avec l'ensemble de la population. Une usine qui ferme, ça concerne tout le monde, et nous construisons donc un mouvement de défense qui englobe largement.
D'ailleurs, ce n'est pas comme si Ford était la seule boite où on licencie, où on "supprime des postes", comme s'il n'y avait pas des salariés mis à la porte derrière ces "postes". À Carrefour, Airbus, Pimkie, PSA, Castorama... de nombreux secteurs sont touchés. En 2017, les ruptures conventionnelles ont représenté 420.000 fin de CDI... Et les ruptures conventionnelles collectives menacent d'une explosion des licenciements déguisés, à l'heure où le gouvernement veut réduire les droits des chômeurs et supprimer 120.000 postes dans la fonction publique.
Gagner contre Macron et le patronat
Le besoin de convergence résonne particulièrement en ce moment avec les mouvements des cheminots, des étudiants, avec les luttes dans de nombreux secteurs pour la défense des services publics et de nos conditions de vie. Oui, c'est tous ensemble que nous pourrons nous défendre vraiment, parce que c'est ainsi que nous pourrons changer le rapport de force.Macron, focalisé par son objectif de casser le statut de touTEs les salariéEs et les services publics, est cohérent quand il réprime les jeunes mobilisés, les zadistes et touTEs ceux et celles qui luttent. Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est d'un grand Mai 2018 pour en finir avec cette politique, avec l'arrogance patronale et gouvernementale qui réduit nos droits chaque jour un peu plus.
À Blanquefort, la convergence ça commence aussi en liant le milieu ouvrier avec les artistes, les intellectuels. C'est ce que nous tentons avec la journée de débat et de concert ce samedi 21 avril. Des dessinateurs comme Urbs, Large, Plantu, Faujour... des chanteurs comme Lavilliers, Didier Super, HK, Delio des intellectuels comme Monique et Michel Pinçon-Charlot, Serge Halimi viennent fraternellement soutenir notre lutte. C'est important, car cela montre que la défense des emplois c'est l'affaire de tous, que le combat contre cette société injuste concerne tout le monde et peut rassembler. Et puis la solidarité, ça donne le moral et des forces pour mener la bataille et pour gagner!