Ilhem Moussaid n'a que 21 ans. La jeune Avignonnaise voilée qui figure sur la liste du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) pour les élections régionales en PACA semble pourtant avoir supporté avec un grand sang-froid la tempête médiatique suscitée par sa candidature. Dimanche 7 février, elle a tout de même douté, confiant dans un courrier interne adressé aux militants : "J'ai beaucoup de tristesse de voir huit ans de ma vie réduits à mon foulard, j'ai beaucoup de tristesse d'entendre que ma croyance personnelle est un danger pour les autres alors que je prône l'amitié, le respect, la tolérance, la solidarité et l'égalité pour tous les êtres humains." Son doute l'a même conduite à se demander si sa place pourrait durablement être au NPA.
Evidemment, dans un parti très laïque et féministe, la candidature d'Ilhem n'allait pas de soi. "La réaction des féministes, c'est cela le plus dur, relève la jeune fille, qui a clairement pris position pour la contraception et le droit à l'avortement. J'ai beau dire et expliquer que je ne suis pas opprimée, et je pense que cela se voit, il reste une incompréhension."
L'histoire commence lorsque l'ancienne Ligue communiste révolutionnaire (LCR), en voie de construire le NPA fin 2007-début 2008, accueille en son sein plusieurs membres d'une association de quartier d'Avignon, dont l'étudiante fait partie. L'Alliance de la jeunesse contre le racisme, l'exclusion et la violence (AJC-REV) dont l'acronyme laisse entendre une sympathique injonction qui fait sauter le pas à cette dizaine de jeunes, majoritairement musulmans. Car un parti, cela veut dire des moyens, une structure, un soutien. " La politique avait déserté le quartier, il ne restait plus que du sécuritaire. Avec une association on pouvait mettre des pansements par-ci par-là, c'est tout", témoigne Abdel Zahiri, 30 ans, toujours bénévole dans un club de foot. Ilhem, comme les autres, prodigue de l'aide aux devoirs. "A 10 ans, certains ne savent toujours pas lire, il y a quand même quelque chose qui cloche dans ce système, non ?", glisse-t-elle.
Pourtant, avant l'exclusion scolaire ou sociale, ce sont les prises de position du NPA dans le conflit du Proche-Orient qui déclenchent chez Ilhem Moussaid l'envie de militantisme politique : défense de la Palestine et de Gaza contre Israël, Rwanda, Kosovo, elle est de toutes les manifestations. Nadia El Bouroumi, une avocate de 35 ans, amie de la famille Moussaid, rappelle aussi combien le contexte général a changé après le 11 septembre 2001. Le sentiment d'appartenance à la communauté musulmane se renforce devant ce qui est ressenti comme une montée de l'islamophobie.
"Je vais très bien !"
Jacques Hauyé, tête de liste NPA du Vaucluse, militant de longue date de la LCR, fait partie de ceux qui ont accueilli l'association des jeunes et Ilhem. Cet enseignant de 53 ans, professeur de physique, profondément laïque, a engagé un travail commun avec ces porteurs de traditions autres que la sienne. Les campagnes en faveur des Palestiniens ont scellé la confiance avec ces croyants musulmans.
Et puis, personne ne s'étant précipité sur cette tâche ingrate, Ilhem a proposé d'être la trésorière départementale du NPA, fonction qu'elle assure depuis un an.
Dès lors, et puisqu'il y avait accord sur les questions de fond - sauf sur ce "fichu foulard", comme disent certains militants -, pourquoi ne pas investir la jeune femme aux élections régionales ? En décembre 2009, elle s'était portée candidate : "C'est une décision difficile, qui nous a divisés. Chacun s'est déterminé en fonction de sa conscience, de son idéologie, de son histoire", raconte Jacques Hauyé.
La candidature provoque un vif débat au sein de la section locale. Le mélange de l'ancienne LCR et du nouveau NPA reste d'huile et d'eau. Certains tentent de convaincre Ilhem de retirer son foulard, en vain. Le débat est tranché par un vote majoritaire en faveur de sa candidature. Une "minorité" décide alors de se retirer de la campagne : "Les convictions religieuses doivent demeurer dans la sphère privée, expliquent les minoritaires dans un communiqué. Même si des camarades ont une interprétation progressiste de leur foi, que nous saluons, il n'empêche que les systèmes religieux demeurent de terribles instruments d'oppression."
"C'était pratiquement un acte d'expérimentation sociale, ajoute Jacques Hauyé. Et c'est aussi un moment particulier." La révélation, dans la presse, de la candidature d'Ilhem en plein débat sur l'identité nationale et la fin des travaux du Parlement sur la burqa, ont créé un mélange explosif.
Mais si une majorité s'est finalement dégagée pour soutenir sa candidate voilée, c'est aussi pour qu'une nouvelle génération accède à des responsabilités. Une génération où le voile n'a plus le même sens qu'il y a dix ans. Comme le souligne Nadia El Bouroumi, conseillère municipale (PS) d'opposition à Avignon, "les musulmanes de ma génération essaient à tout prix d'être comme les autres. La génération d'Ilhem n'a pas de complexes". Elle la juge "militante, clairvoyante, cohérente".
Pierre Godard, la tête de liste régionale, n'était pas si confiant voilà quelques jours. "Ilhem a bien tenu le choc jusque-là, mais ma grande trouille, c'est de la péter. Elle a été projetée dans un truc d'une violence inouïe", dit cet habitué des luttes syndicales.
"Je vais très bien ! Je comprends qu'on veuille me protéger", sourit Ilhem. "Les valeurs que mes parents m'ont transmises, c'est l'égalité, la justice, la solidarité", explique la jeune femme, née au Maroc, dernière d'une famille de sept enfants. Exactement ce qu'elle prône dans la politique et dans la société. "La base de mes combats... c'est tout ce militantisme qui me construit", dit la candidate, qui conduit de front ses études de BTS de gestion et la campagne. Si ses mentors ont du souci à se faire, ce n'est pas pour elle.
Béatrice Gurrey