Entretien avec Géorges Moustaki, auteur-compositeur-interprète.
Soutenez-vous Philippe Poutou, du Nouveau Parti anticapitaliste ?Géorges Moustaki :Je n'ai jamais parlé de soutien. J'ai donné mon avis sur la personnalité du candidat, sur son discours et sur la forme et le fond qui m'ont touché. Et j'ai employé un mot un peu paternaliste en disant qu'il était attendrissant. Je ne pensais pas que ce terme était dans le vocabulaire militant. Ce n'est pas un mot très politique. Et pourtant, c'est vrai que Philippe Poutou est tendre.
Quand on l'écoute, on n'a pas envie de monter sur ses grands chevaux. Il n'a pas la verve des autres candidats. Il se démarque absolument par son naturel, sa sincérité et sa justesse. J'ai voulu saluer tout ça. Je ne pensais pas en termes de soutien politique effectif. Mais je ne désavoue pas l'interprétation que cela a pu avoir dans les médias.
Je voulais faire un rectificatif, jamais je ne me suis présenté en tant que soutien. Je me suis présenté en tant que sympathisant, sans aucun rôle. J'étais présent pour Ségolène Royal en 2007, j'étais parmi ceux qui sont allés à son meeting au stade Charléty, qui ont signé les pétitions. Philippe Poutou, je ne le connais pas. Mais j'ai une réelle estime pour ce qu'il représente. Je suis content qu'il soit entendu, parce qu'il représente quelque chose de réel. C'est quelqu'un de vraiment fraternel, de vraiment libertaire. Il n'y a pas de démagogie.
Je l'entends, je le vois à sa manière d'être, même à son apparence. Il manque d'ambition, c'est très louable chez lui. Il a une tribune à sa disposition. Il la prend le plus efficacement possible sans attendre que cela le mène à la présidence.
Pourquoi sa manière d'être est-elle si importante dans une élection présidentielle ?
C'est une foire. Chacun a quelque chose à vendre, soit une ambition, soit une idéologie, soit un poste de ministre ou de député. Je ne perçois chez lui aucune motivation de ce genre. Ce qu'il défend n'est entaché d'aucune stratégie, sinon de dire ce qu'il a sur la patate. C'est la voix la plus douce et la plus discordante.
Il a fait un triomphe à l'émission "Des paroles et des actes" sur France 2, le 11 avril. Et ingénument, puisque ce n'était ostensiblement pas préparé. Il n'y a pas d'effet de manche. Il impressionnait par sa liberté de parole.
Il était même plus performant qu'Olivier Besancenot. Il est plus argumenté. Surtout, il a fait mouche par son absence de vernis. Il n'est pas devenu incontournable, mais il est devenu plus difficile à occulter. Il est là.
Vous vous apprêtez à voter pour lui ?
Je pense que je voterai pour lui au premier tour, et même au second tour !
Les autres candidats de gauche ne vous convainquent pas autant que lui.
Ils sont trop formels. Il y a de la bureaucratie là-dedans. Je suis dans une mouvance de gens libertaires, de gens utopistes. Même Eva Joly est trop rationnelle. J'entendais ce matin Nathalie Arthaud. Elle a un discours marxiste. Je l'ai trouvée très efficace. Mais je ne suis pas sensible à l'efficacité. Mélenchon est très efficace aussi. Ça devient du cabotinage. Et un peu de sectarisme. Je le disais à propos de la Grèce, avant et pendant la dictature, les Grecs tentaient de se coaliser pour le bien du pays.
Ils ne disaient pas, c'est bon pour nos idées, ils disaient c'est bon pour la Grèce. Voilà ce que j'attends de la politique. Je veux dire les gens sérieux. Je trouve un peu dur que Jean-Luc Mélenchon, pour affirmer ses théories, se mette à dénigrer François Hollande dont il sera un allié au second tour. C'est choquant. Il reste que c'est un orateur qui s'apprécie comme un bon spectacle. Comme un one-man-show. Alors lui, les effets de manche, il connaît ça ! Ce n'est pas antipathique de le dire.
Quel regard portez-vous sur cette élection ?
Je suis français depuis 1985. Jusque-là, je ne votais pas. Et je n'avais pas le droit officiellement de m'occuper de la politique. Par exemple en 1968, d'autres artistes ont été sanctionnés pour avoir participé aux manifestations. Moi, je n'ai pas eu d'ennuis. Mais j'aurais pu en avoir parce que je n'avais pas le droit de m'occuper de politique. Mon premier acte d'électeur, c'était en 1988.
Voter est quelque chose de nouveau pour moi, plus tellement nouveau, mais récent. Je n'ai pas raté un vote, à part le second tour en 2002 où Jacques Chirac était face Jean-Marie Le Pen : je n'ai pas pu voter parce que mon avion a eu du retard.
Une remarque encore. Ce n'est pas un reproche, c'est plutôt une idée qui m'est venue en regardant le meeting du 15 avril à Vincennes, j'ai pensé que Hollande avait un peu une physionomie à la Salvador Allende(président socialiste chilien de 1970 à 1973, renversé lors d'un coup d'Etat militaire). Allende, un homme qui a fait de grandes choses, était un monsieur rond avec des lunettes, ce n'était pas Barack Obama ni Fidel Castro. Physiquement, Hollande n'a pas un look de matamore, comme Sarkozy.
Son apparence aurait été mieux exploitée s'il ne cherchait pas à élever le ton. Il est trop dans une posture de tribun, qu'il fait moins bien que Mélenchon. Mais peut-être Hollande est-il trop jeune pour imposer un physique pondéré, alors il a pris le parti de se présenter en tribun.
Espérez-vous son élection ?
Joker, comme ils disent.
Espérez-vous un changement de gouvernement ?
J'espère une autre équipe que celle qui est au pouvoir. Il y a eu trop de ratages. Une chose est sûre, je ne suis pas sarkozyste du tout !
Propos recueillis par Marc-Olivier Bherer
Georges Moustaki est né à Alexandrie (Egypte). Auteur d'une trentaine d'albums, il a publié "La Sagesse du faiseur de chanson" (Jean-Claude Béhar, éditions, 2011).