À l'usine, ses copains l'appellent Olivier. Aux yeux de l'intéressé, connu pour son engagement politique, ce surnom lui était jusqu'à présent sympathique. Bien plus difficile à porter aujourd'hui. Philippe Poutou, 44 ans, réparateur de machines-outils chez Ford, à Blanquefort (33), a été désigné hier soir pour porter les couleurs du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) à l'élection présidentielle de 2012.
En déclarant forfait pour éviter le « piège de la personnalisation », le leader du parti, Olivier Besancenot, candidat en 2002 et 2007, a laissé sa formation, qui a perdu plus de la moitié de ses adhérents en deux ans, dans une situation délicate. D'un côté, certains étaient prêts à se rapprocher du Front de gauche. L'autre courant préférant garder une ligne identitaire a obtenu gain de cause hier en conférence nationale. « Si j'ai émergé et été choisi, c'est à cause de Ford et des quatre ans de lutte derrière moi dans un moment où la crise a fait des ravages », affirme Philippe Poutou.
« Calme et bosseur »
Syndicaliste CGT, ce père de deux enfants, habitant Bordeaux, a été de tous les combats pour sauver les emplois de son entreprise, qui devait fermer et continue finalement à tourner. « C'est une personne calme, un bosseur, qui réfléchit très vite et va au fond de ses idées », raconte Gilles Penel, un de ses camarades de la CGT chez Ford. « On l'a rarement vu flancher pendant ces années difficiles », témoigne aussi Francis Wilsius, militant CFTC et représentant du comité d'entreprise pendant plusieurs années.
« Je ne ferai pas du super-Besancenot. Je ne serai jamais aussi fort que lui. J'aurai vraiment besoin des copains pour réussir », estime le militant. Ironie de l'histoire, il est fils de facteur, ses trois frères et sœurs le sont également. « Moi, j'ai échoué au concours. »
Sans diplôme, intérimaire pendant dix ans dans des petites entreprises de manutention, avant d'entrer par cette même porte dans l'usine de fabrication de boîtes de vitesse en 1996, Philippe Poutou a goûté très jeune à la politique.
Né en Seine-Saint-Denis, mais arrivé à l'âge de 7 ans en Gironde, il grandit dans une famille mitterrandienne. Un modèle qui l'interroge dès l'adolescence. Il rejoint l'extrême gauche à 18 ans. Pendant dix ans, il milite sous le drapeau de Lutte ouvrière (LO). Lit beaucoup. Marx et Engels, mais aussi Zola, Hugo, Pouillat, Jaurès. « C'est l'histoire de la société humaine à travers des romans qui m'a le plus intéressé », explique-t-il.
Il quitte LO. À la suite d'un différend avec Arlette Laguiller, la section locale est exclue du parti. Les Bordelais créent alors « La Voix des travailleurs », avant de rejoindre la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en 2000.
Au sein du NPA, certains reprochent à Philippe Poutou ce côté trop « ouvriériste ». « Nous n'avons pas tous la même façon de voir les choses. La personnalisation autour du candidat ne plaît pas au sein du parti. Nous allons de toute façon mener campagne de façon collective », répond-il.
Philippe Poutou a le verbe facile. L'assurance également. Rompu à l'exercice devant les médias pendant la bataille pour Ford, il est aussi un habitué des campagnes électorales. Il s'est présenté plusieurs fois sous la bannière de la LCR puis du NPA aux élections municipales, législatives, européennes. En mars 2010, tête de liste pour les régionales en Aquitaine, il a obtenu 2,52 % des suffrages.
Laurie Bosdecher