REPORTAGE - L’ex-candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) est retourné à l’usine. Ses journées de libre, Philippe Poutou les passe à sillonner le Médoc où il se présente aux législatives. Au volant de sa voiture, un jeudi de mai, Poutou raconte au JDD sa nouvelle vie.
De retour au boulot. A l’usine depuis début mai et en campagne plus récemment. Au volant de sa Peugeot - ouvrier chez Ford, Philippe Poutou ne veut pas conduire avec le logo de son patron sous le nez - l’ex candidat du NPA à la présidentielle s’approche de son lieu de travail en ce jeudi ensoleillé. "Avec les collègues, on discute beaucoup de la campagne. Comme la plupart sont anti-sarkozystes, ils étaient très contents quand j’ai chopé Kosciusko-Morizet chez Calvi. Il y a en aussi qui se sont foutus de moi parce que je disais des gros mots." Il en sourit. Sans s’amender pour autant. Longeant le bâtiment, sorte de gros Lego jaune à la périphérie de Bordeaux, Poutou poursuit son chemin. L’entreprise connaît pas mal de chômage partiel. Alors quand il ne travaille pas de 6h à 14h, ce réparateur de machine-outil a toute la journée pour sillonner la vaste 5e circonscription de Gironde où il se présente.
Cette nouvelle campagne? Il s’en serait bien passé. N’a aucune chance de gagner et s’attend même à faire moins que ses 2,7% de 2007. "A l’époque, c’était plus facile. On avait plus la pêche, il n’y avait pas le Front de gauche et le PC était à la ramasse", explique-t-il alors que le NPA ne présente que 364 candidats pour 577 circonscriptions. "Quand c’est fini, on est content. Vivement le 10 juin", lâche le successeur de Besancenot. Après avoir zappé la présidentielle, le facteur de Neuilly a également fait l’impasse sur les législatives. Poutou en deviendrait presque jaloux. "Il s’est bien démerdé, va falloir qu’on revoie son contrat de travail", rigole-t-il. Il gare sa voiture. Sort de son coffre une poubelle bleue remplie de colle. Deux, trois coups de pinceaux énergiques, et l’affiche est placardée. Deux militants l’accompagnent. La voiture repart. Le rituel se poursuit. Tout l’après-midi. Après son mauvais résultat à la présidentielle (1,15%), Poutou a hérité de quelques heures de colle.
Le voilà à Macau. Impérial, il s’engouffre dans une rue en sens interdit. Sa voiture en croise une autre mais vue la vitesse la rencontre se passe cordialement. Le bled est désert. Seule une voiture de gendarmerie stationne. Un éthylotest et 22 euros plus tard, Poutou repart une amende en poche. "Je demanderai à Hollande qu’il me la paie", s’amuse-t-il. Pour le reste, il n’attend pas grand chose du nouveau président socialiste. Lui, comme son parti, se situant résolument dans une "opposition de gauche" au gouvernement Ayrault.
"Certains me disaient : 'Tu vas voir, après il y a un coup de déprime'. Que dalle !"
T-shirt et baskets. Tout en décontraction. La présidentielle est passée sans laisser de traces. "Certains me disaient : 'Tu vas voir, après il y a un coup de déprime'. Que dalle!". Sur les petites routes du Médoc, entre deux vignobles, un Château Lafite et autres grandes bâtisses au luxe apparent, il arrive qu’un badaud le reconnaisse. Un monsieur avec une jolie chemise vient lui dire bonjour. Une légère notoriété qui ne l’abuse pas. "Il veut juste serrer la main de celui qui est passé chez Denisot. Et le soir, il dira à sa femme : 'Tu sais, j’ai vu l’autre con de gauchiste'". D’ici le premier tour, il animera bien quelques réunions publiques, mais prendre la parole en meeting ne lui manque pas. Au contraire. "C’est un boulot! Je ne fanfaronne pas. Je n’ai jamais aimé parler devant des gens", reconnaît Poutou – ce qui est tout de même un petit souci quand on est candidat à la présidentielle. Il ajoute : "Déjà à l’école, je détestais passer au tableau."
Fin d’après-midi, Poutou se pointe à Pauillac. A la mairie se tient une réunion avec d’autres candidats de gauche. Le sujet : la montée du FN. Le raout débute sans Poutou, parti au bistrot du coin pour plancher sur son intervention. Quand il débarque, le premier orateur n’a toujours pas fini. Les mains derrières la tête, le regard ailleurs, Poutou écoute à sa façon. Vient son tour. Régularisation de tous les sans-papiers, droit de vote pour les étrangers à chaque élection, "solidarité des opprimés", Poutou déroule. Sa journée se termine, son avenir se dessine. Une fois les législatives terminées, il pourrait enfin intégrer la direction du NPA. Une consécration qui l’enthousiasme? "Je préférerais ne pas y aller, douche-t-il. Maintenant, les autres veulent que j’assume alors …" Alors, il ira peut-être. Mais un peu comme pour sa candidature à la présidentielle : sans trop y croire. Lui préfère la lutte aux urnes.
Arthur Nazaret, envoyé spécial à Bordeaux - Le Journal du Dimanche