Traits tirés et demi-sourire fatigué, il débute par un bilan de santé qu’aurait pu dresser le pharmacien Coué. “Tout le monde me pose la question. Rassurez-vous, tout va bien. Certes, il n’y a pas de syndicat pour défendre les conditions de travail des candidats à la présidentielle mais bon, le NPA ira jusqu’au bout.” Poutou se la joue Dany Boon, version “je vais bien, tout va bien”. Et mêmes divisés, les militants anti-capitalistes du Rhône gardent un semblant de flamme.
Malgré l’hémorragie de ses troupes vers le charismatique Mélenchon, l’omniprésence médiatique de son prédécesseur Besancenot et des sondages abyssaux, Philippe Poutou s’emploie à démontrer qu’il tient le coup. Sa nomination en juin pour prendre la relève du facteur gouailleur avait surpris dans les rangs du Nouveau parti anticapitaliste. À commencer par Krivine, l’historique leader de la Ligue communiste révolutionnaire, qui ne savait même pas à quoi ressemblait ce réparateur de machines-outils, délégué CGT d’une usine de Gironde. “Un dernier sondage vous place à 1 %”, fait-on remarquer au leader par défaut. “On a doublé le score, même Sarkozy n’a pas été capable de ça”, s’amuse-t-il, spontané et lucide.
Pèlerinage à NanterreL’autodérision peine à dissimuler l’essoufflement de celui qui découvre le rythme infernal d’une campagne. La veille, le prolo en congé sans solde était en meeting à Avignon (Vaucluse). Au petit matin, il a traversé la France pour Nanterre (Hauts-de-Seine) où l’enthousiasme de 600 étudiants lui a redonné autant le moral que le soutien du vieux chanteur Moustaki. Nanterre, haut lieu de résistance dont les amphis font le même effet au croisé de la lutte sociale que la grotte de Lourdes à un pèlerin.
De là à croire aux miracles…
L’après-midi, le candidat a remis le cap au Sud. Il débarque du TGV, jean usé, baskets élimées, un vieux Monde froissé dans la poche de la parka. Avant le meeting de Lyon, ultime étape d’un marathon de 24 heures, Poutou tient à ne pas être bousculé. Une interview, deux, trois, ça va… Sans se départir de sa bonhomie naturelle, il écourte sa conférence de presse, s’économise tel un coureur de fond gérant l’effort. Des bénévoles d’une association d’aide en milieu carcéral le prennent à part, il les écoute poliment puis s’échappe dans un bar, à l’écart. Usant la campagne ? “Pas autant que les trois- huit.” On peine à le croire. Au café Kléber, brasserie où la tête de veau ravigote est à 13,50 €, la pause n’a pas de prix. “C’est bon de préserver un peu son intimité”, fait-il comprendre aux photographes un rien collants. La semaine dernière, une caméra de BFM l’a suivi la journée, et pour ce salarié qui émarge bien en deçà des 2 000 €, tout cela n’est guère naturel.
Dans cette salle vieillotte de la mairie du 6 e arrondissement de Lyon, le public, jeune, ne se formalise pas du retard de 45 minutes du politique en CDD. Un indigné espagnol donne des nouvelles du front de l’autre côté des Pyrénées, une pasionaria gone dresse le topo de la lutte contre l’extrême droite dans la région.
Les opprimés dans la cour des grands
Le tapis rouge vif est déroulé au candidat qui a reposé sa voix et rangé ses esprits. Le voilà qui arrive et positive. À ces militants qui se désespèrent, il veut dire que c’est déjà bien d’être là, en lice : “Comme le facteur Besancenot, je suis la preuve qu’un salarié peut être le porte-parole des opprimés. On a eu nos parrainages et c’est une victoire. On est dans la cour des grands, on s’est invité au banquet des politiciens.”
Voilà pour la figuration. Pour la révolution, on verra. Pourtant ce serait si simple : “Les moyens de sortir de la crise sont dans les poches des capitalistes.” Sans note et dans le désordre, Philippe Poutou développe et précise cette voix des opprimés : anti-impérialiste, antiraciste, féministe, écologiste. Le discours est émaillé d’humour dans la veine des vannes qu’on s’échange à la machine à café et la salle est hilare. “Vous connaissez la dernière blague de Sarkozy ? Il avance le paiement des retraites au 1 er du mois. Ce gadget c’est la mesure phare de la journée.” Et la revue de presse est à l’avenant : “Hollande a dit qu’il allait convoquer les patrons du CAC 40 s’il est élu. Ça va chauffer, les capitalistes tremblent !” Et d’ironiser sur cette gent politique qui défile dans les usines comme au salon de l’agriculture. “Ils ont tâté le cul des vaches mais caresser le cul des ouvriers ça ne se fait pas, quand même.”
Front de gauche, Front Populaire
Il y a une forme d’impuissance dans l’humour. Mélenchon occupe tout l’espace contestataire, vampirisant ses forces et le noyant dans sa marginalité. Beau joueur, Philippe Poutou l’admet : “La dynamique du Front populaire ne me déplaît pas.” Il voulait dire “Front de gauche”. Lapsus terriblement révélateur. “Ce sont des camarades de lutte qu’on retrouve sur le terrain social. Après, il faut constituer un outil politique indépendant du PS. Si c’est pour être à la remorque de Hollande, c’est pas la peine.”
De cette campagne que peut-il encore espérer ? “Le minimum syndical : dégager Sarkozy et sa bande.”
Et la suite ? La probabilité qu’on l’y reprenne en 2017 est à l’aune de ses sondages. Mince.