INTERVIEW DE LA SEMAINE - Dimanche, Olivier Besancenot répondra présent à la marche organisée à Paris par Jean-Luc Mélenchon, à l'occasion du premier anniversaire de la présidence Hollande. Mais l'ancien candidat à la présidentielle n'est pas pour autant sur la même ligne que le leader du Front de gauche, dont il dénonce "l'ambiguïté". "Il faut arrêter de bégayer lorsque la question d'être ou de ne pas être dans l'opposition est posée", juge Olivier Besancenot. Quant à François Hollande, il estime qu'il est "en train de faire" ce que "Nicolas Sarkozy a promis".
Vous irez manifester dimanche. Comment vous démarquer du Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon?On n'y va pas pour se démarquer de qui que ce soit mais pour apporter nos propres revendications. Dès qu'il y a eu l'affaire Cahuzac, on a expliqué qu'il fallait une initiative unitaire de toute la gauche non gouvernementale sur ces questions-là. Même si sur la forme et le fond, il y a en effet des motifs de désaccords avec le Front de gauche, on pense qu'il faut frapper ensemble. On revendique aisément qu'en mobilisant un maximum, on peut transformer cette marche en première grosse manifestation de la gauche anti-gouvernementale.
Vous semblez sceptique quant à l'idée de Jean-Luc Mélenchon de donner un "coup de balai". Pourquoi?La VIe République conçue par Jean-Luc Mélenchon, ça n'est pas notre tasse de thé. Un "coup de balai" reviendrait à remplacer le personnel politique, mettre des bons à la place des mauvais, remplacer les uns par les autres. Et puis finalement, le changement de numéro de République, à bien écouter Jean-Luc Mélenchon, ça pourrait presque se réduire à un changement de Premier ministre.
Considérez-vous Jean-Luc Mélenchon comme un tribun populiste?Ça n'est pas mon sujet. Il est dans son domaine, avec ses ambitions, ses objectifs politiques. Moi je ne roule pas pour lui, je roule pour Philippe Poutou. Depuis le début, la direction du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon compris, explique qu'ils ne sont ni au gouvernement ni dans l'opposition. Il faut arrêter de bégayer lorsque la question d'être ou de ne pas être dans l'opposition est posée. A l'épreuve des faits, il faudra donner une perspective politique commune.
«Le Front de gauche n'assume pas son statut d'opposant»
Trouvez-vous la position du Front de gauche ambiguë?Ils n'assument pas leurs statuts d'opposants. A la fois, Jean-Luc Mélenchon cartonne François Hollande et réclame d'être son Premier ministre. C'est en effet une ambigüité politique qui ne peut pas résister aux faits. Si on assumait de dire que tous ceux qui sont en colère à gauche, révoltés contre le gouvernement, viennent manifester avec nous dimanche, ça nous aiderait. Notre perspective politique est de trouver une voix à la fois unitaire et radicale.
Et si Jean-Luc Mélenchon était à Matignon, comme il le souhaite, cela changerait-il la donne?S'il va à Matignon, son balai sera transformé en plumeau et il nettoiera le mobilier. Qu'est-ce que ça changera? L'option du changement de personnel, je n'y crois pas. C'est du relooking, même pas extrême. A partir du moment où les casseroles de gauche s'accumulent aux casseroles de droite, toute la cuisine est bousillée.
Vous parlez d’un "réveil du mouvement social de la gauche". Mais certains syndicats ont pourtant signé l’accord sur l’emploi soutenu par le gouvernement…A chaque fois que le PS est au pouvoir, il y a une partie des organisations syndicales qui jouent le jeu du gouvernement. Du coup, le mouvement syndical est fracturé. On l'a vu sur l'accord compétitivité-emploi, qui est une machine à remonter le temps. C'est revenir sur 140 ans qui ont été arrachés sur la législation collective du travail. Il faut assumer pour ceux qui ne signent pas ce type d'accord d'aller au carton contre le gouvernement.
Qu'entendez-vous concrètement par "aller au carton"?Assumer le bras de fer. Oui, il faut manifester. Oui, il faut faire grève. Oui, il faut la convergence des luttes. On est tous des travailleurs de PSA ou d'ArcelorMittal et quand ils perdent, on perd. Quand vous regardez partout ce qu'il se passe en Europe, tous les ingrédients qui existent dans les autres pays vont s'inviter d'une manière ou d'une autre dans la situation française. En France, on est dans l'œil du cyclone, c'est le calme avant la tempête.
«Ce que Sarkozy a promis, Hollande est en train de le faire»
Lors du défilé du 1er-Mai, beaucoup de manifestants scandaient "Hollande et Sarkozy, c’est la même chose". Est-ce aussi votre point de vue?C'est la grande continuité. Sur les questions économiques et sociales principalement. L'accord de compétitivité-emploi était une promesse de Sarkozy pendant la campagne. Ce que Sarkozy a promis, Hollande est en train de le faire. Sans parler de ce qui est déjà programmé sur la réforme des retraites. Le PS était contre quand il était dans l'opposition, il est pour au gouvernement. C'est une mascarade.
Vous attendiez-vous à ce que François Hollande mène cette politique?On a mis un bulletin dans l'urne pour mettre une grande claque à Nicolas Sarkozy, je ne le regrette pas. On a expliqué à tous qu'avec le PS, on n'obtiendrait rien. Quand on n'avait pas d'espérance, on n'a pas de désillusions. On savait qu'il serait rattrapé par la réalité.
Soutenez-vous les ministres Arnaud Montebourg, Cécile Duflot et Benoît Hamon qui ont mis en garde contre les politiques d'austérité en Europe?Je ne vais pas individualiser les postes et les ministres. Je prends le gouvernement dans sa cohérence et toute sa globalité. Donc tous ceux qui sont au gouvernement assument le bilan du gouvernement sur les questions économiques, sociales, de société, ou même sur les questions d'amnistie sociale. Je me souviens parfaitement que Benoît Hamon et Cécile Duflot avaient tenu des propos très forts sur la question. Mais quand on rentre au gouvernement, on avale la politique du gouvernement et toutes ses couleuvres. C'est toujours la même histoire. Avant d'y rentrer, on me dit dans les yeux : "Promis, juré, Olivier : si je n’ai pas ça, je me barre!" Ça fait trente ans que j'entends ça. C'est l'effet "KissCool", l'effet magique du pouvoir. Dans l'opposition, vous êtes chaud-bouillant comme la braise et quand vous arrivez au pouvoir, vous faites "coin-coin".
Le gouvernement considère qu'il doit "avoir une seule réponse, le respect de la loi républicaine pour tous"…Je m'en bats les reins! C'est du flan. Il faut comprendre pourquoi les gens luttent et résistent! On parle de gens qui perdent leur boulot! Qu'ont-ils fait? Ils étaient simplement aux avants postes du combat contre Sarkozy.
«Ce gouvernement n'est pas capable de prendre des mesures sociales»
Les députés socialistes ont déposé mardi un projet de loi pour favoriser la reprise des sites industriels rentables. Est-ce selon vous un premier pas?C'est plutôt un pas en arrière par rapport au premier pas qu'ils avaient annoncé. Ça arrive beaucoup trop tard, par rapport notamment aux salariés du site ArcelorMittal de Florange. Ce sont des effets d'annonces qui ne vont rien régler pour ceux qui sont dans les usines.
Arnaud Montebourg a pourtant mené différentes batailles contre des plans sociaux, allant jusqu'à évoquer des nationalisations temporaires...Sa menace n'a fait peur à personne. Quelles nationalisations temporaires ont eu lieu? Ce ne sont pas les mots qui m'intéressent, mais les actes. Ce gouvernement ne nationalisera rien. Il n'est pas capable de prendre des mesures sociales, même "ultra-lights".
Qu'avez-vous pensé des mesures sur la moralisation de la vie publique annoncées après l'affaire Cahuzac?Sur les paradis fiscaux, c'est du Sarkozy dans le texte. Au final, rien n'est fait. Quant à la publication du patrimoine des élus, ça ne règle rien en soit. C'est juste l'occasion de se rendre compte que la classe politique n'est pas à l'image de 80% de la population. Dans le mouvement altermondialiste, on appelait cela "l'effet Dracula" : vous projetez de la lumière en espérant que ça puisse culpabiliser les gens et ainsi que ça s'arrête tout seul. Mais les patrons du CAC 40 sont riches, tout le monde le sait et ils ne culpabilisent pas pour autant.
L'affaire Cahuzac discrédite-t-elle l'ensemble de la classe politique, la gauche radicale comprise?Moi, je ne suis pas un homme politique, mais un militant. Au NPA, nous n'avons pas de retombées négatives de ce point de vue.
«A gauche du Front de gauche, il y a encore un espace politique»
Cette affaire nourrit toutefois le discours de "politiques, tous pourris"...Ce ne sont pas "les politiques" qui sont "tous pourris", mais le système dans son ensemble. Moi, je ne suis pas populiste, je ne fustige pas les individus. Je suis un internationaliste, un anticapitaliste qui propose des solutions alternatives au système. C'est pourquoi j'attends un sursaut, un réveil démocratique "du bas", de la base de la société.
Le NPA, porté par Philippe Poutou, n'a fait que 1,15% à la dernière élection présidentielle. Auriez-vous envie de vous représenter en 2017?Chez nous, ça tourne. Nous avons plusieurs visages et aucun d'entre nous ne cherche à s'accrocher à son poste. Nous nous obligeons à ça.
Quel avenir imaginez-vous pour le NPA?Nous avons vécu des moments difficiles sur lesquelles nous n'avons rien à cacher. Mais, depuis un an, le milieu ouvrier se retourne vers nous. Ces gens ne partagent pas toutes nos idées mais pensent que nous pouvons être utiles. A gauche du Front de gauche, il y a encore un espace politique, plus petit mais réel.