La première grève nationale des femmes a eu lieu le 24 octobre 1975 en Islande, jour où le groupe féministe Red Stockings a appelé une grève féminine pour revendiquer l’égalité. Bien que l’Islande ait été le troisième pays au monde à reconnaître le droit de vote aux femmes (1915), celles-ci n’en subissaient pas moins des discriminations sexistes. La grève a été un succès. Les femmes ont réussi à bloquer les entreprises et les institutions à travers le pays. Ce succès historique a permis plus récemment de faire de la grève un outil politique central de la lutte féministe.
Grèves nationales… et internationales
Le 3 octobre 2016, les femmes polonaises ont manifesté et fait grève en masse pour le droit à l’avortement. Peu après, le 19 du même mois, le meurtre d’une fille de 16 ans en Argentine a fait sortir des milliers de personnes dans les rues, dans la continuité des manifestations organisées par le collectif « Ni Una Menos » en 2015 et 2016. Les femmes ont organisé une grève d’une heure contre les violences sexistes qui, en Argentine, tuent une femme toutes les 30 heures.
La grève des femmes comme outil de lutte est devenue centrale pour la nouvelle vague du féminisme qu’on voit se développer de manière internationale depuis le début des années 2010. Depuis 3 ans, chaque 8 mars, les féministes argentines produisent un nouvel appel pour la Grève internationale des femmes. En France, l’appel à la grève des femmes pour le 8 mars est défendu depuis 2014 par l’union syndicale Solidaires. Depuis quelques années, il est également repris par le Collectif national pour les droits des femmes et la CGT.
Le 8 mars 2017, ce n’est pas une grève nationale mais internationale des femmes qui a été appelée. Dans pas moins de 30 pays, les féministes ont organisé une grève internationale des femmes de la production et du travail domestique.
Pour le 8 mars 2018, les femmes espagnoles ont préparé la grève pendant un an, notamment en organisant des assemblées. Six millions de femmes ont été en grève (voir ci-contre).
Ce qui est nouveau et qui caractérise cette mobilisation, c’est la tentative d’unifier la lutte dans le monde entier, qui confère à ce « nouveau » mouvement des femmes un caractère international.
Grève de la reproduction sociale : kezako ?
Il ne s’agit pas de n’importe quelle grève. La grève des femmes allie grève du travail salarié et grève du travail reproductif. Le travail reproductif, c’est l’ensemble des tâches, rémunérées ou non, ayant lieu dans la sphère privée, familiale ou non, qui permettent la reproduction des travailleurEs, la reproduction de la force de travail. Il comprend donc l’ensemble du travail domestique (tâches ménagères, éducation des enfants, préparation des repas, des habits, entretien de la maison…), du travail de soin psychologique (travail émotionnel, charge mentale), et du travail sexuel. Pour le 8 mars, il ne s’agit donc pas uniquement de se mettre en grève sur notre lieu de travail, mais aussi de cesser d’effectuer l’ensemble des tâches qui sont attendues socialement des femmes, qui constituent la fameuse double journée de travail. C’est-à-dire à la fois stopper la production (les femmes sont la moitié de la classe ouvrière) et stopper ce qui permet au système de se renouveler, de se reproduire.
La grève des femmes permet de visibiliser le travail reproductif comme un véritable travail. Souvent invisible, gratuit, il passe inaperçu. Pourtant, il est central dans le système capitaliste. Sans lui, il n’y a plus de travailleurEs, plus de production de sur-valeur, plus de profit.
À l’heure actuelle, ce travail est accompli en partie par des femmes racisées, dans la mesure où dans les pays occidentaux il a été partiellement externalisé notamment par les foyers qui ont des revenus suffisants. Défendre la grève du travail reproductif, c’est donc aussi faire le lien entre lutte des classes, féminisme et antiracisme, qui sont intrinsèquement liés. On notera qu’à l’heure actuelle, nombre de luttes victorieuses ont lieu dans les secteurs du travail reproductif salarié : grève d’ONET, grève des Holiday Inn, etc.
La grève des femmes permet, enfin, de remettre sur le devant de la scène l’une de nos principales armes, la grève. En faisant la grève du travail productif et reproductif, non seulement nous bloquons la production et la reproduction, mais nous dégageons également du temps pour nous organiser, pour débattre politiquement, etc. Trop souvent les femmes ne peuvent pas se mettre en grève et lutter car pèsent sur elles la charge de la famille ! Cette grève est à la fois une grève sociale mais aussi politique, elle est contre le système dont l’oppression des femmes est une des pierres angulaires. En défendant une grève totale, une grève politique, on libère un espace pour la lutte des femmes. Alors, touTEs en grève pour le 8 mars !