Alors qu’à la Martinique un premier accord a été conclu sur les 200 euros et qu’à la Guadeloupe le MEDEF s’est isolé dans le refus, le porte-parole de Liyannaj kont pwofitasyon (LKP) revient sur le mouvement qui peut être bientôt victorieux.
Comment pouvez-vous faire appliquer l’accord sur une augmentation de 200 euros des bas salaires aux entreprises affiliées au MEDEF et à la CGPME, non signataires ?
Élie Domota. Nous ne contraignons personne à signer. Simplement, dans les entreprises dont les organisations patronales n’ont pas signé l’accord, les salariés sont en grève.
Cet accord prévoit que la majeure partie de l’augmentation salariale est prise en charge par les finances publiques. Cela ne vous pose-t-il pas problème ?
Élie Domota. Les entreprises ont toujours été subventionnées par l’argent public. Les lois successives sur l’outre-mer ont ménagé une large place aux exonérations de cotisations patronales. Les grandes entreprises bénéficient depuis des années des aides de l’État. Le dispositif sur lequel nous avons abouti a été proposé par les petites entreprises de Guadeloupe. Pour se relancer, pour répondre aux revendications salariales, elles ont besoin d’un soutien de l’État et souhaitent accéder aux marchés publics.
Pensez-vous que dans trois ans les entreprises prendront effectivement le relais en assumant la totalité de ces hausses de salaires ?
Élie Domota. Bien entendu. Il faudrait poser la question aux organisations patronales signataires. Il me semble que ce sont des patrons prévoyants, prêts à honorer cet engagement dans trois ans.
Le MEDEF agite la menace d’une explosion du chômage à la Guadeloupe, due aux conséquences de la grève. François Fillon prédit des « conséquences catastrophiques » de ce conflit sur l’économie. Cela vous inquiète-t-il ?
Élie Domota. Depuis quarante ans, le taux de chômage est de 40 % à la Guadeloupe. Cela n’a jamais inquiété le grand patronat. D’ailleurs, les entreprises du MEDEF préfèrent recruter ailleurs qu’en Guadeloupe. C’est bien la première fois que le MEDEF s’inquiète de la situation de l’emploi en Guadeloupe.
Comment expliquez-vous la différence de comportement patronal en Guadeloupe avec la Martinique, où le MEDEF est signataire de l’accord sur les salaires ?
Élie Domota. Peut-être veulent-ils répondre à notre attitude, plus revendicative, par davantage d’intransigeance. Ils sont toujours dans le même état d’esprit. Pour eux, il est hors de question que les nègres se rebellent pour réclamer des augmentations de salaires.
Laurence Parisot se dit prête à concéder une « prime ». Qu’en pensez-vous ?
Élie Domota. Une prime, ce n’est pas une augmentation de salaire. Laurence Parisot ferait mieux de demander à ses amis des colonies de signer l’accord conclu.
Comment percevez-vous les dénonciations des « méthodes musclées » du LKP ?
Élie Domota. Ce discours relève du mensonge. De telles accusations visent à discréditer le mouvement en faisant passer les Guadeloupéens pour des sauvages. Elles émanent de gens qui n’ont jamais mis les pieds en Guadeloupe et ne connaissent rien à nos problèmes. Lorsque, dans un pays, la quasi-totalité des habitants soutiennent un mouvement, la moindre des choses est de les respecter.
Une reprise du travail est-elle possible d’ici à la fin de la semaine ?
Élie Domota. Nous avons rendez-vous avec le préfet pour finaliser l’accord. Il faudra un peu de temps pour travailler sur chaque article, mais nous pensons pouvoir y arriver.
Comment ce mouvement a-t-il réussi à préserver son unité si longtemps ?
Élie Domota. L’unité vient du puissant soutien de la population guadeloupéenne. Le rassemblement à la base a poussé les organisations à l’union. On peut sonder toutes les couches de la population, le soutien au combat mené par le LKP est unanime.
Ce mouvement porte-t-il l’aspiration des Guadeloupéens et des Martiniquais à davantage de responsabilité ? Peut-il déboucher, à l’avenir, sur des évolutions institutionnelles ?
Élie Domota. Le débat institutionnel n’a jamais été posé par le LKP. Seulement la presse, M. Sarkozy et quelques politiciens l’ont posé. Le peuple guadeloupéen demande plus de respect, plus de dignité, du travail, la fin de la discrimination raciale, l’augmentation des salaires et des formations pour assurer l’avenir de la jeunesse. Voilà ce que nous voulons. Le débat institutionnel, lui, a été monté de toutes pièces pour noyer le poisson. Ce n’est pas une évolution statutaire ou institutionnelle qui réglera ces problèmes sociaux.
Comment appréciez-vous la convocation par le gouvernement d’états généraux de l’outre-mer ?
Élie Domota. Nous sommes habitués aux grandes annonces. Depuis une trentaine d’années, loi après loi, la défiscalisation, les exonérations de cotisations patronales dans les DOM n’ont eu aucune incidence positive sur l’emploi et sur le développement économique. Le bilan de ces politiques de cadeaux aux patrons est désastreux. La Guadeloupe s’est enfoncée dans une économie d’import-distribution. L’agriculture a été laminée. Ces états généraux seront-ils un tournant ? Nous attendons de voir ce qui sera proposé.
Les grévistes se sont montrés très sévères envers la politique conduite par Nicolas Sarkozy. Comment sera-t-il accueilli lors de sa visite dans quelques semaines ?
Élie Domota. Je n’en sais absolument rien. M. Sarkozy est président de la République française. Il a le droit de venir en Guadeloupe quand il le souhaite. Une éventuelle visite relève de sa décision. Mais je ne peux pas prédire l’accueil qui lui sera fait.
Ce mouvement va-t-il imprimer des changements profonds à la société guadeloupéenne ?
Élie Domota. C’est l’objectif. Il faut, maintenant, des changements dans tous les compartiments de la vie. Il faut surtout des changements dans les organigrammes des administrations et des entreprises pour permettre aux jeunes Guadeloupéens diplômés d’accéder aux postes à responsabilité.
Demain, les Réunionnais seront en grève à leur tour. Vont-ils prendre le relais de ce mouvement ?
Élie Domota. Je crois surtout qu’ils sont confrontés à des problèmes similaires aux nôtres. Si la mobilisation touche aujourd’hui la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion, ce n’est pas un hasard. Ces sociétés sont bâties sur un modèle colonial. Voilà des pays qui veulent, à l’avenir, être reconnus en toute dignité, en tout respect.
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui