Publié le Dimanche 27 février 2022 à 09h37.

Les Russes ordinaires ne veulent pas de cette guerre

Le 24 février au petit matin, la Russie a lancé une attaque contre l’Ukraine, confirmant les pires craintes. On ne sait pas encore jusqu’où ira l’invasion, mais il est déjà clair que l’armée russe a attaqué des cibles dans tout le pays, et pas seulement dans le sud-est (le long de la frontière des soi-disant « républiques populaires »). Ce matin, les Ukrainien·nes de plusieurs villes ont été réveillé·es par des explosions.

Vladimir Poutine a clairement indiqué l’objectif militaire de l’opération : la reddition complète de l’armée ukrainienne. L’objectif politique reste flou – mais le plus probable est que le Kremlin cherche à mettre en place un gouvernement pro-russe à Kiev. Les dirigeants russes supposent que la résistance sera rapidement brisée et que la plupart des Ukrainien·nes ordinaires accepteront consciencieusement le nouveau régime. Il ne fait aucun doute que les conséquences sociales pour la Russie elle-même seront graves – dès le matin de l’invasion, avant même l’annonce des sanctions occidentales, les bourses russes se sont effondrées et la chute du rouble a battu tous les records.

Le discours de Poutine hier soir, dans lequel il a annoncé le déclenchement de la guerre, a usé du langage non dissimulé de l’impérialisme et du colonialisme. En ce sens, son gouvernement est le seul à adopter aussi ouvertement le type de langage d’une puissance impérialiste du début du vingtième siècle. Le Kremlin ne peut plus cacher sa haine de l’Ukraine et son désir de lui donner une « leçon » punitive derrière d’autres griefs – pas même derrière celui de l’élargissement de l’OTAN. Ces actions vont au-delà des « intérêts » compris rationnellement et se situent quelque part dans le domaine de la « mission historique », telle que Poutine la conçoit.

Depuis l’arrestation d’Alexei Navalny en janvier 2021, la police et les services de sécurité ont écrasé l’essentiel de l’opposition organisée en Russie. L’organisation de Navalny a été jugée « extrémiste » et démantelée, les manifestations en sa faveur ont donné lieu à quelque quinze mille arrestations, et presque tous les médias indépendants ont été soit fermés, soit qualifiés « d’agents étrangers », ce qui a fortement limité leur activité. Les manifestations de masse contre la guerre sont peu probables – il n’existe aucune force politique capable de les coordonner et la participation à toute manifestation de rue, y compris même un piquet individuel, est rapidement et sévèrement punie. Les milieux militants et intellectuels de Russie sont choqués et démoralisés par les événements.

Un signe rassurant est qu’aucun soutien clair à la guerre n’est perceptible dans la société russe. Selon le Centre Levada, le dernier institut de sondage indépendant (qualifié lui aussi « d’agent étranger » par le gouvernement russe), 40 % des Russes ne soutiennent pas la reconnaissance officielle des « républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk par les autorités russes, tandis que 45 % des Russes y sont favorables. Si certains signes de « ralliement au drapeau » sont inévitables, il est remarquable qu’en dépit d’un contrôle total des principales sources médiatiques et d’un déferlement spectaculaire de démagogie propagandiste à la télévision, le Kremlin soit incapable de susciter l’enthousiasme pour la guerre.

Aucun mouvement tel que la mobilisation patriotique qui a suivi l’annexion de la Crimée en 2014 ne se produit aujourd’hui. En ce sens, l’invasion de l’Ukraine réfute la théorie populaire selon laquelle l’agression extérieure du Kremlin vise toujours à renforcer sa légitimité à l’intérieur de la Russie. Au contraire, cette guerre va déstabiliser le régime et même menacer sa survie dans une certaine mesure, car le « problème de 2024 » – la nécessité de présenter un spectacle démocratique crédible conduisant à la réélection de Poutine lors de la prochaine élection présidentielle – est toujours d’actualité.

La gauche du monde entier doit s’unir autour d’un message simple : non à l’invasion russe de l’Ukraine. Rien ne justifie les actions de la Russie ; elles entraîneront la souffrance et la mort. En ces jours de tragédie, nous appelons à la solidarité internationale avec l’Ukraine.

Article initialement publié sur jacobinmag.com(1) et traduit de l’anglais par Nathan Legrand.