Ghislaine Joachim-Arnaud, secrétaire générale de la CGTM, estime que les salaires au-dessus de 1 840 euros brut doivent aussi être revalorisés.
Quelle est votre appréciation sur l’accord-cadre conclu en Martinique pour une hausse de 200 euros des bas salaires ?
Ghislaine Joachim-Arnaud. Cet accord montre que les organisations patronales n’ont rien perdu de leur arrogance. Il était prévu, au départ, d’acter une augmentation immédiate de 200 euros, financée par le patronat, les collectivités et l’État, puis de négocier 50 euros supplémentaires à l’automne prochain. Or les organisations patronales ont refusé d’inclure dans le protocole d’accord toute future négociation. Mais cet accord est fixé. Il s’agit maintenant d’entrer en négociation sur son application. Pour les salaires inférieurs ou égaux à 1 840 euros brut, mais aussi pour les salaires supérieurs à cette somme. Nous demandons, pour ceux-là, que soit arrêté le principe d’une augmentation minimale.
Pourquoi, malgré ces avancées, ne pas appeler à la levée de la grève ?
Ghislaine Joachim-Arnaud. De nombreux points restent encore à discuter. La grève a pris corps à partir de revendications sur la baisse des prix, l’augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux, l’emploi, la reconnaissance du fait syndical martiniquais, etc. Concernant la baisse des prix des produits de première nécessité, des produits pétroliers et des services, différentes commissions travaillent. Certaines baisses ont été actées, mais il nous manque beaucoup de résultats. La commission qui travaille sur une baisse de 20 % des produits de première nécessité n’a pas encore rendu son rapport. Pour différents services (banques, télécommunications, assurances, eau, logement), nous n’avons pas encore abouti. Peut-être cela tombera-t-il cette semaine. Cette importante revendication de baisse des prix concerne toute la population, pas simplement les salariés. Reste aussi à obtenir des avancées sur la revalorisation des pensions de retraite et des minima sociaux.
La majeure partie de l’augmentation des bas salaires que vous avez gagnée est financée par des deniers publics. Cela ne vous pose-t-il pas problème ?
Ghislaine Joachim-Arnaud. De nombreux travailleurs ont parfaitement conscience que l’argent public est leur argent. Ce sont les gros capitalistes békés qui devraient payer. Mais habituellement, l’État consacre l’argent public à des cadeaux au patronat qui ne finissent jamais dans la poche des salariés. Donc les salariés ne peuvent pas refuser cette contribution de l’État. Pour les collectivités, la même problématique est posée. Cette contribution publique est temporaire. Dans trois ans, il faudra s’assurer que le patronat prend effectivement le relais.
Le MEDEF agite la menace d’une forte augmentation du chômage après cette grève. François Fillon prédit des « conséquences catastrophiques » sur l’économie des Antilles. Cela vous inquiète-t-il ?
Ghislaine Joachim-Arnaud. Sans grève, le chômage est ici trois fois plus important qu’en France. Sans grève, des centaines de petites entreprises déposent le bilan. Le patronat cherchera bien sûr à utiliser la grève pour justifier certains de ces choix. On ne peut pas reconnaître l’ampleur des problèmes économiques et sociaux en Martinique et en Guadeloupe, et reprocher aux travailleurs de se mettre debout pour tenter de les résoudre. Si le conflit a été si long, la responsabilité en revient entièrement au patronat, à ses manœuvres dilatoires lors des négociations. L’administration, par son soutien manifeste au patronat, porte elle aussi une lourde responsabilité.
Que pensez-vous de la proposition gouvernementale d’états généraux de l’outre-mer ?
Ghislaine Joachim-Arnaud. Des états généraux, des réunions, cela se fait tous les jours en ce moment. Nous avons dressé ces dernières semaines un panorama complet de la situation économique et sociale de la Martinique. On verra. L’immédiat, aujourd’hui, est de rendre la vie moins chère pour les populations.
Le président de la République a annoncé sa venue en Guadeloupe et en Martinique dans quelques semaines. Les grévistes se sont montrés très sévères envers sa politique. Comment expliquer cette dimension politique du mouvement ?
Ghislaine Joachim-Arnaud. Un mouvement social qui perdure pendant près d’un mois finit forcément par revêtir une dimension politique. Si les gens sont restés mobilisés si longtemps, c’est que les Antilles souffrent profondément. L’organisation économique qui prévaut ici, avec la concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques-unes, est au cœur des problèmes. C’est une question hautement politique. Il faut y répondre. De ce point de vue, ce mouvement a permis une prise de conscience importante de la population sur les causes fondamentales des problèmes auxquels elle est confrontée.
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui