Atlantico : Les candidatures d’extrême gauche - Philippe Poutou (NPA) comme Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) - sont créditées de moins d'1% dans les sondages. Comment expliquer que ces campagnes aient du mal à décoller ?
Alain Krivine : Il y a d’abord la situation politique qui fait qu’il y a un décalage encore plus grand que d’habitude entre l’écho que les organisations d’extrême gauche peuvent avoir dans les mobilisations, y compris dans l’implantation sociale, et la crédibilité électorale de ces partis. Aujourd’hui, il existe une confusion politique très forte dans la tête des gens. Non seulement en France, mais partout en Europe, on le voit bien avec les alternances politiques en Espagne, en Grèce et en Italie.
Il y a une vraie volonté de chasser Nicolas Sarkozy, surtout après l’échec du mouvement sur les retraites. Il y a l’idée, chez certains, que cela peut se faire par les élections. Sur le plan électoral, le vote utile pour le Parti socialiste risque de peser plus que d’habitude.Il est évident que pour beaucoup, le Parti socialiste est plus capable de « vider » Nicolas Sarkozy que le NPA.
La crise économique semble offrir un boulevard aux idées d’extrême gauche. Comment expliquer le fait que l’électorat populaire se tourne plus vers les partis d’extrême droite ?
Avec la crise, il est évident qu’aujourd’hui, être anticapitaliste, ce n’est pas apparaitre comme un « zombie ». Le système est pourri, cela parait comme une évidence. Mais là encore, il y a un vrai problème de crédibilité électorale. Je crois que les idées d’extrême-gauche ont un écho beaucoup plus important qu’avant mais ce sont les forces déjà présentes sur le plan électoral qui risquent d’en bénéficier. Face à la crise, il y a une poussée des groupes d’extrême droite et des partis nationalistes car je pense que c’est la voie de la facilité dans la situation actuelle.
Les différents groupes d’indignés, idéologiquement proche de l’extrême gauche, ne votent pas et quand ils votent, ce n’est pas pour vous. Comment expliquez-vous cela ?
D’abord, contrairement à certains pays en Europe, les groupes d’indignés restent faibles en France. D’une part, je pense que les idées de ces groupes sont radicalement anti capitalistes, encore plus que le mouvement altermondialiste. En même temps, cela témoigne d’une déchéance totale vis-à-vis des institutions et des partis politiques. Je ne pense pas que cela soit juste, mais c’est pourtant légitime. Il y a un sentiment général, l’idée qu’au niveau institutionnel la droite et la gauche sont la même chose. C’est cela qui pousse fortement à l’abstention.
Le programme d’Olivier Besancenot en 2002 et celui de Philippe Poutou aujourd’hui semblent en tous points identiques. Peut-on expliquer le décalage entre les intentions de vote par la personnalité moins charismatique de Philippe Poutou ?
D’abord, nous ne sommes qu’au début de la campagne. Au tout début de la carrière d’Olivier Besancenot, lors de la première émission que nous avions faite ensemble, il était quasiment ignoré. Marc-Olivier Fogiel ne lui adressait presque pas la parole. Je ne peux donc faire aucun pari sur l’évolution de la popularité de Philippe Poutou.
Ensuite, la personnalité du candidat joue bien-sûr beaucoup, mais cela ne fait pas tout. Il y a deux ans, et encore aujourd’hui d’ailleurs, Olivier Besancenot était l'une des personnalités politiques les plus populaires. Il n’a fait pourtant que 5% à l’élection présidentielle, il y a un gouffre entre la popularité et la crédibilité électorale.
Philippe Poutou a déclaré : « Les meetings ? Ce n’est pas mon truc, cela ne m’éclate pas mais il faut le faire. » Le candidat du NPA parait désabusé par la campagne. Qu’en pensez-vous ?
Je ne crois pas du tout. D’après ce que j’ai pu voir, Philippe Poutou semble véritablement passionné par l’ouverture d’un nouveau champ d’intervention. Comme il le dit, il apprend tous les jours des choses qu’il ne connaissait pas. Les émissions radio, télé et les débats politiques ce n’est pas sa formation, il est avant tout un dirigeant syndical.
Philippe Poutou a l’habitude des meetings syndicaux. Je vous assure que quand il fait un meeting à la porte de son usine, sans notes ni rien, il est fantastique. Mais il est vrai que, comme il le dit lui-même, il n’est pas un politicien.
A l’instar d’EELV, qui fait ses meilleurs scores aux élections législatives ou européennes, il semble que les partis d’extrême gauche ne soient pas réellement battis pour la campagne présidentielle. Est-ce aussi votre avis ?
Plus ou moins, c’est quand même lors d’une présidentielle que l’on a fait le plus de voix(plus d’un million de voix pour Olivier Besancenot). Plus que jamais, pour une présidentielle, je crois que la personnalité de celui qui est candidat joue beaucoup. Le Parti communiste n’avait personne à proposer, ils se sont donc ralliés à Jean-Luc Mélenchon. Ils n’ont trouvé personne qui soit capable de faire un score honnête.
Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud