Annulation de la dette, interdiction des licenciements, sortie du nucléaire: des solutions radicales, mais pas d’homme providentiel. Malgré l’urgence de la crise, le NPA peine à se faire entendre auprès d’une rue qui a la gueule de bois des retraites. L’ouvrier de chez Ford, candidat à la présidentielle, analyse le climat de résignation qui pèse sur la France, mais ne désespère pas de remotiver ses troupes pour la lutte finale. Rencontre.
CHARLIE HEBDO: Les conflits internes au NPA sont devenus plus visibles que vos propositions. Comment s’est faite la transition avec Besancenot ?
Philippe Poutou: On s’est mis en difficulté tout seuls. On a eu un temps très court après l’annonce du retrait de Besancenot. On n’a pas pris un ouvrier pour le côté Zola, mais parce qu’il y a une victoire sociale chez nous, dans le combat des Ford: on a empêché la fermeture d’une usine. Symboliquement, ça veut dire qu’on peut se battre et ne pas perdre. Et l’idée pour ne pas faire exploser le NPA, c’était de choisir quelqu’un qui ne fasse pas partie de la direction. Au final, c’est moi qui avais le plus de points, même s’il y a encore une bataille politique interne, si certains refusent de faire la campagne. Le regard extérieur est caricatural, mais c’est vrai qu’on est tous fragilisés par ce qui se passe.
Pourtant, la crise aurait pu mobiliser autour de vous.
On hérite de l’échec des retraites, qui ajoute à la résignation générale. Quand on est trois millions dans la rue et qu’on ne fait pas reculer le gouvernement, on se demande combien il faut être. Il y a un ressenti négatif, un ras-le-bol, qu’on paye. Le NPA n’a pas la forme, et je ne suis pas sûr qu’au Front de gauche ce soit mieux. Même les syndicats sont démoralisants! Les bases militantes n’ont pas confiance dans leur état-major, mais ça ne se traduit pas par une contestation: c’est la débandade, alors que la colère et l’écœurement existent. La crise est très brutale, plein de gens ont peur de perdre leur boulot en 2012, peur de sombrer demain. Cette peur, du côté des organisations militantes, donne des résultats pas terribles. Mais dans un mois il peut y avoir quelque chose qui pète.
C’est le sens de votre candidature ?
Moi, je dis qu’on est à notre place à l’élection présidentielle. C’est une tribune, l’occasion d’un débat politique. On pourra mettre Hollande ou les autres face à des responsabilités. Nous, on ne dit pas «votez pour nous, ça va changer»! Alors que même Mélenchon dit ça. C’est aux gens de s’emparer de l’action politique. Il n’y a pas de sauveur. Mélenchon est passé sur Canal+, il expliquait ce qu’il ferait s’il était aux sommets européens face à Merkel. Pour nous, ce n’est pas comme ça qu’on change les choses. On s’appuie sur la colère des peuples, sur un rapport de forces sociales. C’est fondamental, on n’est pas dans la diplomatie, les rencontres de ministres-machins.
Donc, vous n’appellerez pas à voter Mélenchon au second tour ?
C’est difficile de discuter du second tour alors qu’on cherche déjà nos cinq cents signatures. On veut que la démocratie permette qu’on soit présents. Le point commun qu’on a avec le PS et Mélenchon, c’est qu’on veut dégager Sarkozy. Une victoire de la droite aurait un effet très négatif sur le mouvement social, sur le moral des militants, un truc nous échapperait. Comment Sarkozy pourrait-il regagner? On a un ennemi à abattre, mais la solution n’est pas la victoire d’Hollande.
Quelles différences y a-t-il entre le NPA et le Front de gauche ?
Mélenchon dit qu’on peut faire bouger le PS sur sa gauche, que te PS fait une erreur en tendant la main à Bayrou. Mais pour nous, le PS est cohérent, archi-libéral! Entre UMP et PS, on discute austérité, de droite ou de gauche. Les amis du PS, Zapatero et Papandréou, on voit ce qu’ils font. Je ne pense pas qu’on puisse faire bouger le PS. On se prépare à être dans L’opposition, on sera amenés à se battre contre eux, comme les deux dernières fois en France. On n’a aucun espoir dans un gouvernement de gauche.
Mais Mélenchon dit aussi qu’il n’irait pas dans un gouvernement PS. Quelles sont donc vos différences politiques ?
Sur la question de la dette, par exemple, pour nous, c’est l’annulation. Mélenchon, même s’il reprend l’idée de l’audit, axe plus sur la BCE, sur la façon dont elle peut prêter différemment. L’interdiction des licenciements, l’arrêt des suppressions d’emplois dans les services publics, ce n’est pas dans leur programme. On peut dire qu’on est des «Monsieur Plus», mais, pour nous, c’est une guerre contre le patronat. On aura les moyens de la faire ou pas, mais il faut a minima le dire: on va prendre tout ce qu’on peut dans la poche des capitalistes, on ne va pas se gêner!
Votre discours est-il entendu ?
Pour l’instant, on ne résiste pas à la propagande autour de la crise, la règle d’or, le nouveau traité... Du côté de la contestation sociale, des gens d’en bas, on est un peu balayés, et je suis le symbole de ça. On a un problème de crédibilité. Plein de choses se mélangent, qui entraînent une attitude condescendante des médias, avec ce qu’on peut appeler le mépris social envers L’ouvrier: d’où il sort, celui-là? Pour le grand public, je suis le débarqué, le Poutou qui n’assume pas d’être candidat, qui n’est pas à l’aise. Il ne reste aucun espace pour discuter des propositions du NPA. Quand on fait des meetings à Grenoble, à Rouen, au Havre, on a des articles dans la presse régionale, où on voit le programme et nos idées, mais dans les médias parisiens, il n’y a que des articles à la con!
C’est-à-dire ?
Le problème, c’est qu’on passe les mêmes conneries en boucle. Chez Ruquier, on m’a reproché de ne pas avoir donné les grands axes de notre programme sur le nucléaire, mais je les avais donnés, et ils ont été coupés! Sortie en dix ans, chiffrée par les copains qui bossent là-dessus, avec développement des énergies renouvelables et économies d’énergie sur les logements, sans oublier la question de l’emploi. Progtio et Besson racontent n’importe quoi: s’il y a une politique ambitieuse sur les énergies renouvelables, l’emploi induit reste le même, que ce soit dans le nucléaire ou dans les éoliennes. Chez Ruquier, au montage, ils n’ont gardé que le passage où je dis que je ne suis pas spécialiste. Ça renforce le côté candidat qui n’a rien à faire là... Cette émission a beaucoup fait réagir... Depuis, des gens m’abordent et, eux, ils se sont sentis agressés. Moi, sur le coup, j’étais spectateur de tout ça, j’ai cherché à placer mes trucs. Mais le mépris social a éclaté à la figure de plein de gens. Même de la part d’Onfray, qui a pourtant cette image de philosophe de gauche.
Vous avez servi de révélateur.
Il y a eu un processus d’identification. Quand on présente un candidat salarié, comme Besancenot, ou un ouvrier, comme moi, forcément, des gens se trouvent plus proches de nous, parce qu’on bosse. Là, l’identification se fait par la négative: parce qu’on est attaqués et méprisés ouvertement. Ça montre qu’au moins il y a quelque chose qui passe.
Propos recueillis par Charb, Sylvie Coma et Valérie Manteau