Un gouvernement de «gauche» qui mène une politique de droite doit, dorénavant, être traité comme un gouvernement
de droite qui mène une politique de droite : par l’action massive et le rapport de force.
La grève reconductible menée, depuis le 10 juin, par les cheminot(e)s prend l’allure d’un bras de fer. Bien sûr, bien des luttes emblématiques ont déjà animé le quinquennat de Hollande (les PSA, les Arcelor Mittal, les Goodyear, les manifestations radicales contre les licenciements et l’écotaxe en Bretagne, contre le projet d’aéroport Notre Dame des Landes…) mais la grève cheminote draine dans son sillage une charge explosive qui pourrait coûter cher à un gouvernement déjà affaibli.
Intonations thatchériennes
D’abord, parce que depuis 1995, et la grève générale en défense de la sécurité sociale, nous savons que ce secteur du monde du travail peut entraîner avec lui un large flot de mécontentements. Ensuite, parce que la raison d’être de cette grève est directement liée à un projet de réforme que le gouvernement entend faire passer comme la preuve supplémentaire de sa fermeté contre le mouvement social. Avec un François Hollande, discrédité et impopulaire, qui pense se refaire une santé en s’essayant à des intonations thatchériennes sur le thème : «il faut savoir arrêter un mouvement» ainsi qu’un Premier ministre, Manuel Valls qui, comme à l’accoutumée, se plaît à singer les ministres de droite qui l’ont précédé. Docile, ou simplement en phase, surtout sans imagination, une meute bien-pensante «anti-gréviste» envahit les écrans, les ondes, les éditos, pour appeler à la fin du conflit, et sans négociations, hurlant, sur tous les tons, la rengaine pavlovienne de la réaction : «halte à la prise d’otage» «c’est une grève minoritaire menée par des salariés privilégiés». Les plus retords d’entre eux tentent de présenter la réforme comme favorable aux revendications des agents car «elle réunifierait la SNCF en une seule entité» (sic !).
Il s’agit d’un abus de communication mensonger car cette réforme, dans la stricte application des réglementations libérales européennes (le quatrième paquet ferroviaire), scinde la SNCF en trois entités et ne la regroupe sûrement pas en une seule. Ce premier genre de coup porté au service public ferroviaire unifié date de 1997 et l’a été par le gouvernement Jospin, sans que l’on entende l’un de ses ministres s’en émouvoir réellement. Le Réseau Ferré de France (RFF) chargé de s’occuper des infrastructures, est ainsi devenu une entité séparée de la SNCF, qui a alors hérité de l’attribution des trains. Le loup entrait dans la bergerie. Aujourd’hui, la réforme créerait une structure de plus : la première, le Gestionnaire d’infrastructures unifié (GIU) compterait, outre RFF, les 14 000 aiguilleurs et les 35 000 agents qui entretiennent les voies : la deuxième organiserait les 100 000 cheminots restant ; la troisième, une holding ferait office de donneur d’ordre pour les deux premiers groupes, concentrant principalement la direction de l’entreprise. Voilà la SNCF démembrée et prête à l’ouverture à la concurrence. Les bases de la guerre économique qui attend ce «marché» seraient, de cette manière, posées et le système ferroviaire savamment dépecé, car les parties lourdes, et coûteuses (l’entretien et la gestion du réseau) reviendraient à l’Etat, tandis que les activités rentables (les trains, TER, TGV….) deviendraient, elles, privatisables.
Les cheminots se battent pour une certaine idée du service public
Les libéralisations des différents services publics, qu’il s’agisse de l’énergie, de la poste, des télécommunications, ou de la santé, suffisent à nous dire à quel point la logique est toujours la même : n’offrir au privé que ce qui est susceptible de dégager des bénéfices sans s’encombrer des frais d’entretien imputés aux contribuables. Et pas une de ces libéralisations, en France ou en Europe, ne s’est traduite par une baisse des tarifs, bien au contraire, partout les prix ont flambé et la sécurité des prestations a fondu comme neige au soleil devant le temps court de profits immédiats prioritaires sur le bien être des usagers. Difficile à admettre pour certains, mais les cheminots ne luttent pas seulement pour eux, pour leur statut, leurs conditions de travail, leurs salaires, ou pour leur organisation du travail que cette réforme veut niveler par le bas, à l’image des accords compétitivité emploi qui polluent le monde du travail. Non, ils se battent aussi pour une certaine idée du service public. Quitte à faire grincer quelques dents, nos heures de galère dans les transports sur les routes, ces jours-ci, vaudront, peut-être demain, quelques années gagnées pour le service public pour peu que nous sachions nous révéler solidaires. Car, plus que la grève, à la SNCF, dans plus de 90% des cas, ce sont les fameux retards qui pourrissent la vie et sont dus au manque de moyens, d’investissements et au sous-effectif chronique (plus de 30000 suppressions d’emplois en 10 ans !) qui sapent l’activité ferroviaire. La direction de la SNCF désinforme sciemment avec des chiffres de grévistes fantaisistes qui ne résistent pas à la réalité vécue et ressentie du nombre de trains annulés.
Cette grève est massive, unitaire, radicale, débattue en assemblées générales. Elle tiendra bon pour avoir la peau de cette réforme. Et il faut l’aider à cela. Le climat social se colore à nouveau, par petites touches successives, depuis la nomination de Valls. Sous Ayrault, le pavé semblait monopolisé par la droite, l’ultra droite et l’extrême droite. Sous Valls, ce sont principalement des cortèges de gauche qui manifestent contre le gouvernement (le 12 avril, le 1 er mai, services publics…). Et voilà maintenant des grèves qui cheminent à la surface. Les intermittents et les précaires, dans leur combat légitime contre la renégociation de la convention Unedic, ont déjà engagé depuis plusieurs mois une épreuve de force essentielle contre la politique libérale du pouvoir. Lundi manifestation des intermittents et précaires, mardi manifestation des cheminots, ces luttes changent le climat de résignation par leur détermination; comme celles des postiers qui, dans plusieurs départements, résistent aux réorganisations, à la précarité, et à la répression face à une direction sourde et aveugle. Les exemples pourraient même se multiplier (Air France, Véolia etc.). Rien de la lame de fond, bien sûr, mais des preuves vivantes et stimulantes que la résignation et les doutes n’ont pas vocation à nous paralyser plus longtemps. Plus que jamais, les échecs du passé nous imposent de travailler à la convergence de toutes ces luttes afin d’emporter quelques précieuses victoires qui redonnent la confiance. C’est la condition pour que l’énergie de nos combats ne parte pas dans les sables.
Créer des collectifs «usagers grévistes solidaires»
A gauche, les hésitations ou les atermoiements face au gouvernement, qu’ils soient animés par un vrai sentiment de culpabilité ou par des vraies connivences tenaces, n’ont fait qu’affaiblir notre camp jusque maintenant. Un gouvernement de «gauche» qui mène une politique de droite doit, dorénavant, être traité comme un gouvernement de droite qui mène une politique de droite : par l’action massive et le rapport de force. Il est crucial que les grévistes de la SNCF ne sentent pas la gauche non gouvernementale prise en défaut de solidarité. La gauche sociale, syndicale, associative, et politique (Front de gauche, NPA, LO, AL ….) doit parler d’une même voix pour dire, avec conviction, sa solidarité avec le mouvement. Pourquoi ne pas multiplier des collectifs «usagers grévistes solidaires»? Des usagers solidaires des grévistes ?
Durant la grève, nous, les passagers, redevenons pourtant «usagers» aux yeux de tous, dans une unanimité presque troublante. Même la classe politique libérale, qui ne voit en nous que des «clients» le restant de l’année, s’égosille, et s’indigne, trémolo dans la voix, du sort réservé aux «malheureux usagers», instrumentalisant ainsi les quais surchargés à des fins politiciennes. Ces collectifs unitaires pourraient être des lieux de convergences militantes. Pourquoi pas des meetings unitaires devant les gares ? Pourquoi pas, dans la continuité de la manifestation du 12 avril, au-delà des débats publics qui sont utiles, planter dans le décor de la rentrée la perspective d’une mobilisation d’ensemble nécessaire, combinant manifestations, grèves, et occupations de place ? Rien ne se décrète, mais la crise sociale et politique, qui s’est exprimée, de la pire manière aux dernières élections, nous oblige à comprendre que lorsque la grogne sociale repointe le bout de son nez, il faut l’accompagner et la renforcer car elle, seule, pourra féconder nos perspectives politiques du renouveau qui nous fait jusqu’à présent cruellement défaut.
Olivier BESANCENOT Membre de la direction du NPA, Christine POUPIN Membre de la direction du NPA et Philippe POUTOU Membre de la direction du NPA