Il y a plusieurs manières de subvertir un plateau télévisé.
On connaissait la méthode Mélenchon: envoi au diable ou projection de noms d’oiseaux divers sur les animateurs pour les forcer à sortir de leur fausse neutralité et les ramener à leur condition de perruches de la doxa. Il y aura désormais, à l’inverse, la méthode Philippe Poutou. Le candidat du NPA était, l’autre week-end, l’invité de Ruquier, sur France 2. Ce fut une longue démonstration de naïveté, de sincérité, de gentillesse désarmantes, face aux leçons admonestées par les présentateurs, les chroniqueurs et les invités (prestation globale que l’on pourrait résumer sous le titre de Dîner de cons).
Oui, admettait Poutou, pressé sans relâche, oui, il était là par hasard, par défaut, parce que Besancenot en avait marre. Non, c’est vrai, le NPA ne traversait pas sa période la plus faste. Oui, sur plusieurs sujets, comme le port du voile, ça tanguait ferme entre camarades. De très longues minutes durant, Poutou fut submergé, englouti par le dispositif, qui ne le laissait respirer quelques secondes, que pour mieux lui replonger ensuite la tête dans la baignoire. Au-delà de son programme politique, sur lequel on ne s’attarda guère, il apparut que les principaux reproches adressés à l’ouvrier de chez Ford étaient son patronyme (attendrissant mais ridicule et franchement inadapté, quoi), son déficit de notoriété, son rôle d’allié objectif du sarkozysme et, surtout, sa sincérité, et son absence de motivation à remplir ce rôle de candidat. Démotivé? A-t-on idée!, s’exclamait l’hydre Ruquier-Pulvar-Polony-Onfray. A-t-on idée de ne pas se lever le matin, se coucher le soir, en pensant aux positions de pouvoir que l’on va conquérir, ou préserver? C’est pas beau l’ambition, c’est certain, mais ça marche comme ça depuis toujours! Donnez-nous donc envie, Poutou, soyez un peu charismatique! Montrez que vous en avez!, lui enjoignait le système à quatre bouches.
Faudra apprendre à mentir
Et quant à cette sincérité qui vous fait admettre que le NPA n’est pas au mieux de sa forme, quelle drôle d’idée encore! Faudra apprendre à mentir, mon petit Poutou. Pas comme Sarkozy, bien entendu, ce repoussoir, ce loser. Mais à mentir juste. A mentir du bon côté. A mentir pour la cause. Comme Montebourg. Comme Mélenchon. Faudra apprendre à balancer des chiffres sortis d’on ne sait pas où, et rester droit dans tes bottes quand on te les démonte, arguments à l’appui, tout plutôt que de perdre la face en admettant une faiblesse, une erreur.
Faudra mettre des chaussettes propres pour aller chez Drucker, puisque, chez Drucker, t’es obligé d’y passer, ils s’y sont tous assis sur le canapé rouge, c’est le système qui le veut, c’est malheureux mais c’est comme ça. Faire péter l’Europe d’accord, mais on ne va quand même pas faire péter Drucker. Compris, Poutou? Que nous manquait-il donc, alors, pour basculer du côté de Poutou contre le dispositif oppresseur? Qu’est-ce qui nous maintenait sur la ligne de crête, ne sachant de quel côté nous ranger, de la victime ou des bourreaux, du con ou des convives? Tout simplement ceci: cette démonstration qu’opérait Philippe Poutou, il la faisait involontairement, malgré lui. Il n’avait pas le discours de sa démonstration.
Comme on aurait aimé...
Comme on aurait aimé qu’il se lève, et leur dise: «Regardez-vous, ô confortablement assis, qui avez place réservée et rond de serviette à la télé, qui festoyez avec les puissants, qui avez tué père et mère pour arriver là, convaincus que vous êtes d’être les plus légitimes, les plus brillants, les plus drôles, les plus justes. C’est bien vous, qui n’avez pas de mots assez durs contre le cumul des mandats et les fripouilles politiques, c’est bien vous qui me reprochez mon amateurisme? Vous ne voyez pas comme on en crève, de tous les arrivistes, les cumulards, qu’il faut sortir les pieds devant, du cumulard Montebourg, de la parachutée Royal, de l’indécence des Dati et des Fillon qui s’arrachent? Et parlons donc de ma sincérité: c’est bien vous qui fustigez dans tous les micros la langue de bois des professionnels, c’est bien vous qui me reprochez ce soir ma transparence et ma sincérité?».
Comme on aurait aimé qu’il exprime ce que nous ressentions à cet instant comme jamais, que tout dispositif télévisé est par nature totalitaire et normatif. Comme on aurait aimé qu’il mette des mots sur la magnifique démonstration en train de se faire: si le système politique ne tolère qu’un type de comportement (discipline de parti, langue de bois, obsession du pouvoir pour le pouvoir), c’est parce que les dispositifs médiatiques participent, à leur place, à la sélection. Mais le travail était fait à moitié, ce qui est mieux que rien.
Daniel Schneidermann