Article Libération 27 octobre par Pascal Virot.
Bonne nouvelle pour ceux que l’opposition désespère : la gauche est de retour. Du moins la gauche de la gauche.
Il y a un peu plus d’un an, Libération titrait : «La gauche vire-t-elle à droite ?» C’était au lendemain de la présidentielle et de la défaite de Ségolène Royal. C’était bien avant la crise financière et avant que Nicolas Sarkozy découvre les bienfaits d’un Etat régulateur. Autant dire un siècle.
Comme en 2005 et 2007, Libération publie un sondage sur l’identité de la gauche et une cartographie de ses familles (lire page 3).Effectuée après la faillite spectaculaire de la banque américaine Lehman Brothers, pendant le grand krach boursier mais avant la publication des tentatives de plans de sauvetage de la planète finance et l’actuelle déprime, notre enquête montre que les valeurs de la gauche anticapitaliste, son idéologie et ses mots ont le vent en poupe. Il y a un an, cette famille (incarnée, entre autres, par Olivier Besancenot, Marie-George Buffet et José Bové) ne représentait que 15 % de la gauche dans son ensemble. Aujourd’hui, elle grimpe à 25 %. Au détriment de la famille, des libéraux autoritaires, représentée par Ségolène Royal qui ne pèse plus que 24 %, contre 35 % en août 2007. La gauche radicale fait cependant jeu égal avec la gauche sociale-républicaine (24 %, sans changement) et est devancée de peu par la gauche sociale-démocrate (27%, + 1 point).
La gauche anticapitaliste
La famille la plus radicalisée s’appuie su une idéologie ancrée dans l’anticapitalisme et l’altermondialisme. Ses credo : dénonciation de l’économie de marché et du libéralisme économique. Pour cette gauche radicale, le clivage gauche-droite reste le plus pertinent. Elle souhaite un Etat puissant qui ferait payer les entreprises qui licencient quand elles font des profits.
La famille sociale-démocrate
C’est elle qui exerce la plus grande influence. Gauche «réaliste», elle rassemble «les catégories sociales moyennes et supérieures autour notamment de préoccupations liées à la croissance économique, la construction européenne, la santé, la réforme de l’Etat», rappelle l’institut Viavoice. Ce groupe accorde «une confiance forte au PS pour se préoccuper des conditions de vie des Français». Il est incarné par Bertrand Delanoë… et Martine Aubry, signataires de motions différentes en vue du congrès de Reims.
La famille sociale-républicaine
Proche de la précédente, du moins sur le plan idéologique, elle s’en éloigne s’agissant du clivage gauche-droite qui est, pour elle, plus d’actualité que jamais. Elle «se recentre sur les fondamentaux du socialisme : égalité des chances, éducation, laïcité, lutte contre la précarité», note Viavoice. Elle se situe dans la lignée de Lionel Jospin et François Hollande.
La contre-gauche
Ou, si on préfère, les «libéraux autoritaires». Ce sont eux qui, depuis la fin 2006 et la désignation de Ségolène Royal comme candidate à la présidentielle, ont marqué la gauche de leur sceau. C’est la famille la plus atypique, sa particularité étant de «se situer en retrait par rapport aux références usuelles de la gauche, tout en se déclarant "de gauche"» et est «plus distante que les autres familles à l’égard des idéologies», explique Viavoice. Elle représente des gens issus de milieux modestes, qui plébiscitent la sécurité et le contrôle de l’immigration. Ses membres «sont les plus favorables aux baisses d’impôt et à la réduction de la dépense publique», souligne Viavoice.
La perte d’influence de cette «contre-gauche» est parfaitement lisible dans le sondage. On y voit s’y opérer une «tendance à la réhabilitation de la gauche et de ses valeurs», souligne François Miquet-Marty, directeur des études de Viavoice, largement favorisée par les crises (financière, écologique, alimentaires) actuelles.
Alors qu’ils étaient 60 % à penser que le clivage gauche-droite avait perdu de sa pertinence en 2005, les sympathisants de gauche ne sont plus que 50 % à le croire. Corollaire : l’ouverture au centre réclamée par 68 % des électeurs de gauche en 2007, n’est souhaitée que par 58 % d’entre eux qui préfèrent que la gauche tienne davantage compte de la gauche antilibérale (69 % contre 62 % il y a un an). Cette prégnance des idées de gauche se retrouve dans les références idéologiques personnelles : si l’écologie reste en tête (81 %), la valeur «socialiste» grimpe de 11 points par rapport à 2005 (81 %) et la laïcité revient en force (80 %, plus 12 points), comme l’anticapitalisme (+ 10 points à 48 %). La volonté d’agir se retrouve aussi dans le rapport à la mondialisation : les sympathisants de gauche qui veulent soit s’y opposer soit la modifier totalisent 45 %. Ceux qui veulent «en aménager les effets les plus négatifs» perdent 9 points par rapport à 2007, à 44 %.
Reste un paradoxe : alors que la gauche semble pencher un peu plus à gauche, ses électeurs considèrent à 42 % que sa meilleure représentante est… Ségolène Royal. Mais c’est dans un mouchoir de poche que se joue ce leadership «moral» : l’ancienne candidate à la présidence devance Olivier Besancenot et Bertrand Delanoë d’un petit point seulement. Et c’est le maire de Paris qui est distingué pour mener le PS au cours des prochaines années.