L’ex-candidat à l’élection présidentielle, figure de la gauche radicale, est plus rare dans les médias. S’il assume de prendre du recul vis-à-vis du «brouhaha ambiant», il n’entend pas baisser les armes pour autant.
Mais où est passé le Besancenot offensif, toujours prêt à s’emporter contre la violence des riches et à batailler pour une société meilleure ? Il a (presque) disparu des écrans radars. Tout juste l’a-t-on vu porter la parole de Philippe Poutou pendant la campagne présidentielle. Quelques jours avant la rentrée, on le retrouve assis à la terrasse d’un bar de Port Leucate. C’est là que sont réunis les militants du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) jusqu’à jeudi pour leur traditionnelle université d’été.
A 48 ans, en tee-shirt noir, il arbore une barbe de trois jours et une silhouette toujours gracile. Les traits, eux, ont mûri. Ni le macronisme triomphant, ni l’extrême droite conquérante, ni la gauche errante ne semblent en mesure de l’inciter à revenir aux avant-postes. «Dans la rue, les gens m’arrêtent pour me demander si je continue. Bien sûr que je continue», se marre-t-il derrière ses lunettes de soleil. Avant d’expliquer : «On est cohérent avec ce qu’on fait. Je ne peux pas, d’un côté, dire que je suis contre la personnalisation de la politique, et de l’autre ne pas chercher à le mettre en musique».
Avec son ton assuré, son sens de la formule et sa repartie à toute épreuve, Olivier Besancenot a pourtant de quoi déstabiliser n’importe quel adversaire. Militant dès l’adolescence, à SOS Racisme puis aux Jeunesses communistes révolutionnaires, il surgit aux yeux des Français en 2002. Cette année-là, lui, le jeune facteur âgé de vingt-huit ans, au visage rond de monsieur Tout-le-monde et à la jovialité assumée, se lance dans la course à l’Elysée. De passages télé en meetings, de manifs en réunions publiques, l’homme apprend à se faire connaître. Et réunit 4,25 % des voix au premier tour, un joli score pour un candidat trotskiste. En 2007, il rempile et se hisse à la cinquième position, loin devant la communiste Marie-George Buffet et l’écologiste Dominique Voynet. Un véritable succès qui ne se reconfirmera jamais pour sa famille politique.
«En politique, le je n’existe pas»
Aujourd’hui son vrai-faux retrait – il assure tout de même «consacrer autant de temps au militantisme qu’avant» –, est aussi dû à un changement de génération. Celle d’aujourd’hui, avide de radicalité sur les questions de féminisme, d’écologie ou d’antiracisme, n’est pas la même qu’hier. «C’est normal que ça tourne», juge Olivier Besancenot, qui a rangé sa bicyclette de facteur au placard, lui préférant un fauteuil de guichetier. Il travaille désormais dans un bureau de poste du nord de Paris. Sous son épaisse carapace et ses airs de faux timide, Besancenot est sincèrement rétif à l’idée de parler de lui. «Nous, c’est nous. En politique, le je n’existe pas.»
Loin de la direction du NPA, ce marxiste convaincu continue néanmoins de payer de sa personne. Il a enregistré une série de capsules vidéo pour le média en ligne indépendant Là-bas si j’y suis, fondé par Daniel Mermet en 2015. Sa série s’appelle «Je serai des millions» et il revient, face caméra, sur l’histoire des «luttes pour l’émancipation». On le voit relater les aventures d’Hô Chi Minh, réexplorer la pensée du philosophe italien communiste Antonio Gramsci ou remettre au goût du jour le Maitron, cette encyclopédie du mouvement ouvrier. «Je kiffe faire ça, lance-t-il. C‘est super intéressant et c’est une manière pour moi de prendre un peu de recul et de tenter de sortir du brouhaha ambiant.»
Ces chroniques historiques participent aussi de la bataille des idées. S’il ne laboure plus le champ politique comme il y a quelques années, Besancenot n’en oublie pas moins les idéaux de la révolution. Et tente d’imposer un récit qui puisse contrebalancer celui des «libéraux» et de «l’extrême droite». «Eux, ça fait vingt ans qu’ils ressassent leurs grands thèmes au point de saturer l’espace public et de devenir hégémoniques.» Il en est convaincu, la gauche anticapitaliste a encore quelque chose à dire. Encore faut-il y prêter une oreille. Et de regretter : «Partout, c’est la prime au clash. Discuter de fond devient compliqué.»
«Erreurs stratégiques»
La rentrée s’annonce mouvementée sur le plan social. La CGT a annoncé une grosse journée de mobilisation le 29 septembre. Avec un mot d’ordre : augmentation des salaires. Pour Besancenot, pas question de rester à la maison ce jour-là. Pas plus qu’en octobre, où aura lieu une marche contre la vie chère lancée à l’initiative de la France insoumise. Il répète que le «contexte général» est porteur et qu’il faut, pour cela, «mettre de l’huile dans les rouages». Chez lui, la flamme est toujours ardente. Malgré «l’immense tristesse» éprouvée au printemps avec la disparition d’Alain Krivine, son mentor. «C’était un grand monsieur», dit-il sobrement. A ses obsèques, fin mars, «toutes les générations étaient représentées. Il y avait des milliers de personnes. C’était bouleversant. En sortant, les gens disaient : “Oh c’est sympa.” C’est curieux de sortir d’un enterrement en disant qu’on a passé un bon moment».
Alain Krivine, qui a marqué le siècle dernier de sa verve révolutionnaire, laisse derrière lui un parti en pleine recomposition. Les expressions varient. Pour Poutou, le NPA «vivote». Pour Besancenot, il faut le «dépasser». Ça donne : «Un parti politique, ce n’est pas une fin en soi et ça ne l’a jamais été. Si un outil est plus adapté, on n’hésite pas. Il n’y a pas de rapport sacré au parti.» Le prochain congrès du NPA, prévu en décembre, devrait voir s’affronter deux camps : ceux qui veulent travailler avec les autres forces de gauche radicale au sein de la Nupes, dont LFI mais sans le PS, pour peser davantage et ceux qui s’accrochent à l’idée d’un parti autonome. Besancenot fait partie des premiers. Il appelle même à un «bouleversement semblable à celui de 2009» où la NPA était né sur les ruines de la LCR. S’il conçoit que son mouvement a pu faire «des erreurs stratégiques» et que «l’objectif de départ n’a pas été tenu», l’ex-facteur rappelle, tel Daniel Bensaïd, un autre de ses mentors, que «la seule erreur aurait été de ne pas tenter». Alors il y va à fond. Et tant pis si ça rate.