L’ouvrier, rodé au terrain syndical mais peu au fait des codes du monde politique, avoue ses peurs face à l’enjeu de 2012.
Philippe Poutou n’est pas un homme craintif. Pour mesurer sa peur panique il faut l’écouter souffler comme un aveu libérateur : «J’ai la trouille vous savez ! La trouille de ne pas bien faire, de décevoir les copains.» Elu candidat du Nouveau Parti anticapitaliste à la présidentielle par la conférence nationale du parti, le 25 juin, cet ouvrier automobile et secrétaire CGT se retrouve en terra incognita. Successeur anonyme du très médiatique Olivier Besancenot, représentant d’un parti en ruines, et pas vraiment prophète en son pays. Certains pensent au NPA qu’«il n’a pas la carrure». «Il y en a beaucoup qui se demandent : pourquoi se compliquer la vie en mettant quelqu’un qui va se gameller ?», rapporte-t-il. Lui-même n’est pas sûr de la réponse.
Il reçoit dans le local du NPA bordelais au cœur du quartier Victoire. Chemise en coton côtelée, jean, baskets, cheveux gris-blanc et visage avenant, il porte bien ses 44 ans, dont quinze à l’usine Ford de Blanquefort (Gironde) comme réparateur de machines-outils. Salaire : 1 700 euros.
«Tous postiers».
Philippe Poutou, c’est l’histoire d’un mec presque normal. L’homme qui malgré sa peur est monté au front quand tous ceux qui auraient dû aller à la présidentielle se sont défilés. Besancenot, le candidat naturel, en premier. Le parti s’est ensuite déchiré entre ceux, minoritaires, qui étaient partisans de discuter avec le Front de Gauche de Mélenchon, et le courant majoritaire, hostile au ralliement. Poutou est de cette dernière obédience. «On nous appelle la branche sectaire, mais c’est juste qu’il y a de véritables différences idéologiques qui justifient qu’on ne fasse pas de candidature commune.»
Le plus dur, c’est de parler au nom de ce parti divisé, alors qu’il n’appartenait même pas à la direction. Il se lance dans une diatribe : «On n’était pas d’accord…» mais s’interrompt très vite. «Quand je dis "on" en parlant du NPA, c’est toujours compliqué, il y a des nuances»… Difficile d’assumer le «on», quand on est pas sûr du «je».Candidat par défaut donc.
«Hollande, quand vous le voyez, il est persuadé d’être destiné à ça. Royal, elle entend des voix». Lui avoue ne «jamais» avoir vraiment eu envie d’y aller. Mais Poutou n’est pas du genre à se défausser. Il a appris la persévérance en presque trente ans de militantisme politique et en quatre ans de luttes syndicales acharnées. Fils d’un facteur et d’une ex-dactylo devenue mère au foyer, il a un frère et deux sœurs. «Tous postiers», sourit celui qui a raté le concours. «A la maison en 1981, c’était la fête quand Mitterrand a gagné.» Lui, qui se dit «anar vers 15-16 ans», adhère à Lutte ouvrière à 18 ans. Mais il quitte le parti après 1995, quand une grande partie de la section de Bordeaux se fait virer. Il rejoint la LCR en 2000.
Il se révèle en leader syndical lors du combat pour empêcher la fermeture de l’usine Ford de Blanquefort entre 2007 et 2011. «Il fallait aller parler aux caméras, les copains m’ont poussé.» En mai dernier, les employés ont obtenu la préservation de 950 postes sur le site.
Malgré cet apprentissage, Philippe Poutou a encore du travail pour apprendre les codes du monde politique. Il a la candeur d’un nouveau-né médiatique.«J’ai fait une interview à la radio, c’est la galère. J’ai la crainte de ne pas avoir le bon argumentaire.» La peur encore.
Le candidat du NPA espère compter sur l’expérience de Besancenot. Mais pour l’instant celui-ci se contente de quelques conseils téléphoniques.«C’est sympa de sa part,moi, je ne voulais pas le déranger.» Bon camarade, le facteur lui a soufflé le soir de son élection : «Maintenant, c’est toi qui es dans la merde.» Il ne peut même plus fumer pour se déstresser. Il se trouve qu’il a arrêté le jour où Ghesquière et Taponier se sont fait enlever. «J’avais le compteur à la télé qui me disait combien de jours j’avais tenu.»
Sur le fond, il a commencé un travail de fiches. «Il y a plein de sujets où je ne connais pas grand-chose. Je suis plus à l’aise sur les inégalités au travail, la répartition des richesses, l’interdiction des licenciements.» Bref, tout ce qui touche à son expérience syndicale.
Volant.
D’ailleurs la langue de Philippe Poutou ne se délie vraiment que quand il parle de cette usine Ford aux teintes jaunes et bleues, semblable aux entrepôts Ikea. Il avoue l’aimer. «L’usine, ce n’est pas que l’exploitation au travail, c’est aussi tous les copains avec qui on passe des moments géniaux.» Il a d’ailleurs décidé qu’il continuerait à travailler pendant la campagne. Pour ne pas se couper de son milieu. Quatre jours à l’usine et un jour pour aller à Paris. «Ça me fait chier de devoir aller voir le patron pour négocier ça avec lui. Eux, ils aimeraient bien que je parte tout court.» Il ne roule d’ailleurs même pas en Ford (mais en Peugeot) pour ne «pas voir le logo du patron sur le volant».
Lorsqu’il ne travaille pas, Philippe Poutou s’occupe des jeunes enfants de sa compagne. «Quand ils sont couchés, on regarde des films sur l’ordi.» Le téléchargement ? «Illégal bien sûr. On échange les films avec les potes.»Il profite de ses vacances pour préparer le meeting de l’université d’été, le lancement de sa campagne.«Parler à la tribune, c’est ce qui me terrifie le plus. Je ne sais pas faire ça.» La peur toujours.
Nicolas Chapuis, envoyé spécial à Bordeaux.