Dans un entretien à Politis.fr, le candidat du NPA réaffirme le bien-fondé d’une candidature anticapitaliste autonome. Il défend l’annulation de la dette, la « destitution » des banques et la planification de l’économie.
Politis.fr : Dans une déclaration du 12 février, la « Gauche anticapitaliste », courant qui représente 40 % du NPA, évoque« l’impasse patente et grave »de votre candidature et vous invite à rejoindre la« réponse politique unitaire »en vous ralliant au Front de gauche. Quelle est votre réaction ?
Philippe Poutou :Je ne partage évidemment pas ce constat. Les temps sont durs pour nous, nous avons un problème de visibilité, mais nous avons des choses à dire que Mélenchon ne dira pas. On veut faire entendre une voix anticapitaliste. Il faut dégager Sarkozy certes, mais nous voulons dire clairement qu’il n’y a rien à attendre du Parti socialiste et de François Hollande. Ce qui sera déterminant, c’est notre capacité à résister ensemble et à nous mobiliser par en bas et imposer une politique de gauche.
Avec Mélenchon il y a une ambiguïté. Nous ne voulons pas être embarqués dans un autre coup fourré de la gauche plurielle, d’autant plus derrière un ancien ministre du gouvernement Jospin, qui a cautionné les attaques contre les services publics. Le Front de gauche n’est pas crédible, ses élus votent les budgets du PS dans toutes les régions alors qu’ils sont à l’envers de ce qu’ils revendiquent : les régions donnent des millions aux grosses entreprises sans exiger de contrepartie. En Aquitaine par exemple, Alain Rousset a donné 1 million d’euros à Ford qui réalise des profits de 6 milliards, avec les voix du Front de gauche.
Nous avons aussi des désaccords de fond avec le Front de gauche sur la question écologique, car nous sommes pour la sortie du nucléaire. Il ne défend pas non plus l’annulation de la dette, qui est pour nous le seul moyen d’éviter l’austérité. On ne peut pas non plus affirmer, comme le fait Mélenchon, que c’est une bonne chose de vendre des Rafales pour bombarder des peuples on ne sait où et que Dassault est un mec finalement respectable. Il reste que le Front de gauche, ce n’est pas un adversaire. Il faut arriver à construire des résistances ensemble.
Pensez-vous pouvoir réunir les parrainages pour vous présenter ?
Nous étions à 430 promesses jeudi 16 février. Soit à peu près au même niveau qu’il y a cinq ans à la même date.
La quasi-totalité des candidats disent aujourd’hui qu’il faut « s’attaquer à la finance ». Vous êtes d’accord ?
C’est du baratin. Tout le monde sait le faire, jusqu’à Sarkozy avec sa « taxe Tobin ». Les milliardaires eux-même disent qu’il y a eu des abus. Mais pour s’attaquer à la finance il faut lui enlever leur pouvoir de nuire. Il faut exproprier les banques, c’est-à-dire les nationaliser et les mettre sous le contrôle de la population. On ne peut pas se contenter d’un pôle public bancaire coexistant avec les banques privées, comme le revendique le Front de gauche. L’expérience a déjà été menée, les règles de rentabilité du secteur privé finissent toujours par s’imposer. Il faut un monopole public bancaire à l’échelle européenne. Cela passe par un rapport de force et une bataille sociale dans toute l’Europe.
Des comités d’audit citoyen de la detteprennent forme en France pour demander l’annulation d’une partie« illégitime »de la dette de la France. Quelle est votre position ?
Nous défendons l’annulation de la dette et l’arrêt immédiat du paiement des intérêts de la dette. On est d’accord avec Attac et les autres parties prenantes de la campagne « d’audit public de la dette ». Il faut tout remettre à plat pour savoir à qui profitent les 1700 milliards d’euros de dette.
Nous pensons surtout que cela permettra de montrer l’illégitimité de la dette et que cela nous amènera à exiger son annulation quasi complète.
On peut parler des exemples du Venezuela ou de l’Argentine, où la dette a été annulée sans que l’économie ne s’écroule. La dette grecque a aussi été annulée de moitié, sans que ça perturbe grand monde. C’est une question de rapport de force et de pouvoir. Le problème c’est que la crise du monde capitaliste ne cesse de s’aggraver.
Quel est votre contre-modèle ?
La répartition équitable des richesses. Mais aujourd’hui ça n’existe nul part sur la planète. Cela suppose un système fondé sur la démocratie directe, où le peuple décide de ce qu’on peut produire et comment on peut produire. Nous discutons d’une perspective de renversement du capitalisme.
Sans parler de révolution, il s’agirait au moins dans l’urgence de mettre en place une fiscalité plus juste, ne serait-ce que sur les critères d’imposition d’il y a 20 ans. Les impôts sur les sociétés étaient à 20 % ou 30 % avec une plus grande progressivité de l’impôt sur les revenus. Pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État, il faut aussi augmenter les salaires et embaucher. On peut faire disparaître le chômage avec un politique volontariste d’embauche.
Aujourd’hui les trois quarts de la population mondiale ne mange pas à sa faim. Il y a urgence à combattre le capitalisme. Peut-être que nous n’avons pas les solutions, qu’il y a un côté utopique dans notre combat, mais ce qui est inadmissible, c’est ce système criminel et inégalitaire.
Vous êtes pour la sortie du nucléaire. Comment mettre en place une telle rupture ?
Il faudra une reconversion industrielle dans les énergies renouvelables, la construction de logements pour des économies d’énergie, le transport collectif gratuit.
Sur cette question, on se heurte aux lobbies, aux intérêts financiers et à la logique de rentabilité. Le capitalisme ne se préoccupe pas de la vie des gens ou de son impact sur l’environnement. La question du nucléaire, mais aussi les scandales de l’amiante, des laboratoires Servier en sont les derniers exemples. Une vraie politique cohérente socialement et écologiquement exige un service public de l’énergie au service et sous le contrôle de la population. Nous devons donc défendre une société démocratique où les gens maîtrisent collectivement la production. Cela passe par le rapport de force.
Comment analysez-vous l’émergence du mouvement des « Indignés », « apartisan » et très hostile au mouvement social traditionnel et - d’une certaine manière - au NPA ?
Mais nous sommes présents aux côtés des « Indignés », sans drapeaux ni autocollants. Ça n’a pas d’importance. Ce qui prime, c’est le besoin de reconstruire, du côté des opprimés, l’espoir et la confiance dans notre propre force. Si la formule de demain se situe en dehors des partis, ce n’est pas grave.
Pour nous, la période est compliquée. Nous ne remplissons pas les salles comme peut le faire Mélenchon ou comme a pu le faire Besancenot. Mais c’est difficile aussi pour le mouvement syndical ou les altermondialistes. La crise a provoqué beaucoup de résignation, l’écoeurement est généralisé.
Mais le rejet de la politique est légitime. Nous avons trop été trahis par les partis et la gauche a largement discrédité l’espoir de lutter contre les inégalités sociales. Les gens ne croient plus en rien, ils sont écoeurés. Et beaucoup d’« Indignés » ne votent pas, comme la moitié de la population.
Vu la gravité de la crise, il est vrai que nous ne sommes pas en capacité de riposter. Si on regarde en arrière, en 1968, 1936, ou même avec la révolution tunisienne, les changements de cap surviennent sans qu’on s’y attende forcément. Il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. C’est ce qui nous donne de l’espoir.
Les médias vous accordent peu de place dans cette campagne. Certains ironisent même sur votre « manque de popularité ». Comment le vivez-vous ?
C’est ce qu’on appelle le mépris social. On se confronte souvent à cette arrogance. Pour [les chroniqueuses] Pulvar et Polony, lorsque j’étais invité de l’émission« On n’est pas couché », l’ouvrier qui est en face d’elles n’a rien à faire là. Ça se voit dans les regards. Cette émission a été un tournant pour moi. J’étais reconnu dans la rue le lendemain avec beaucoup de retours positifs. Les gens m’encourageaient. Certains se sont sentis agressés et m’en voulaient même de pas avoir eu assez de gueule pour répondre par moment.
Mais ce n’est pas le pire : l’arrogance sociale et le mépris sont plus violents quand Wauquiez, Sarkozy ou Guéant nous expliquent que les chômeurs sont oisifs. La violence est aussi quotidienne sur les lieux de travail et pour les chômeurs qui doivent subir la précarité et la pauvreté.