Avec lui, les grands médias audiovisuels semblent découvrir un ouvrier, un vrai, survivant d’une classe sociale qui aurait disparu avec la mondialisation. Philippe Poutou est candidat à l’élection présidentielle pour le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Métallo et syndicaliste CGT à l’usine Ford de Blanquefort (Gironde), il a la lourde tâche de succéder à Olivier Besancenot comme porte-drapeau de la gauche qui se veut révolutionnaire. Basta ! l’a interrogé sur son projet.
Basta ! : Vous êtes le seul candidat à être ouvrier et syndicaliste. Est-ce que vous pensez que cela joue dans la manière dont on vous considère à travers cette campagne ? [1]
Philippe Poutou : Être candidat d’un courant d’extrême gauche, c’est déjà être vu différemment. Quand, en plus, vous travaillez comme ouvrier dans une usine, vous êtes confronté à un côté hautain, voire à du mépris social. Cela s’est vu à l’émission de Laurent Ruquier (« On n’est pas couché » sur France 2, ndlr) : c’est qui cet ouvrier qui sort de nulle part ? À 40 ans, si tu es à l’usine, tu es considéré comme un looser. Tu n’as pas de Rolex… Le mépris social est cependant moins violent sur un plateau télé, où vous êtes invité en tant que candidat à la présidentielle, que dans l’entreprise. La violence et l’humiliation quotidiennes, comme ce qui s’est passé à France Télécom, c’est la réalité du monde du travail, de ceux qui sont au boulot comme de ceux qui n’en ont plus.
Créer une société coopérative (Scop) apparaît de plus en plus comme une alternative pour reprendre une entreprise en difficulté. L’économie sociale peut-elle, selon vous, constituer une alternative au capitalisme ?
C’est une solution dans l’urgence. S’il n’y a pas d’autres alternatives, autant la tenter, montrer que des salariés organisés et solidaires peuvent se passer du patron. Est-ce une alternative au système ? Cela paraît peu crédible : une coopérative évolue dans un contexte capitaliste soumis à une forte concurrence. La vraie solution, c’est de se débarrasser des rapports de production capitalistes. Les coopératives peuvent être autant de brèches qui, si elles se multiplient, reposent la question du pouvoir économique et politique.
Le NPA propose d’augmenter le Smic à 1 600 euros net. Comment faire en sorte que la majorité des PME, qui sont loin de réaliser les profits des multinationales du CAC 40, soient en mesure de le verser à leurs salariés ?
De l’argent, il y en a ! On le voit pour le CAC 40 ou l’augmentation des grandes fortunes. La France compte cette année 11 milliardaires de plus ! 300 euros de plus pour tous, dans toutes les entreprises, signifie de faire payer les plus gros et les plus riches. Derrière, se pose la question des caisses de solidarité financière abondées par les grandes entreprises pour financer l’ensemble. Les employeurs nous répètent que dès qu’on augmente les salaires, on met en difficulté les comptes de la boîte. Nous demandons donc la transparence des comptes. Cette transparence permettra d’apprécier la réalité des difficultés financières d’une entreprise et d’engager la discussion. Idem chez les commerçants et les artisans. Les difficultés d’une entreprise ne doivent en aucun cas justifier des atteintes au droit social. Aujourd’hui, la priorité est que l’entreprise s’en sorte. Résultat : on augmente les cadences, on baisse les salaires. Les gens vont mal, se rendent au boulot à contrecœur, les liens sociaux sont détruits, personne ne fait plus confiance. Nous devons inverser cette tendance pour retrouver le goût de vivre et de travailler ! Des gens mieux payés, moins pressurisés, peuvent contribuer à relancer la machine.
Que pensez-vous de la TVA sociale proposée par Nicolas Sarkozy ?
La TVA sociale est une escroquerie. Cette mesure prépare la suppression des cotisations sociales patronales. C’est une attaque en règle contre le système de Sécurité sociale. Cela fait des années que l’on nous explique que le coût du travail doit diminuer, et que l’on multiplie les exonérations. En attendant, ni l’emploi ni les salaires ne progressent. Autant de recettes qui ne rentrent pas dans les caisses. Derrière, c’est la population qui paiera. La solution, c’est de supprimer tous les cadeaux fiscaux dont profitent essentiellement les grosses entreprises : alors que le taux de l’impôt sur les sociétés est de 33,3 %, les entreprises du CAC 40 ne paient en moyenne que 8 %, contre 28 % pour les très petites entreprises ! Dans ce cas, nous sommes réformistes : placer l’impôt sur les sociétés à 50 %, instaurer un impôt sur le revenu et sur la fortune fortement progressif. Bref, faire payer les riches. Même en appliquant un programme qui n’est pas révolutionnaire, nous pouvons largement améliorer les conditions de vie.
Peut-on être ouvrier et écologiste ?
Je fabrique des boîtes de vitesse pour des voitures très polluantes, le 4X4 Explorer de Ford. Cela ne m’empêche pas d’être favorable à la sortie du tout-automobile. Mais il faut une perspective crédible. Le boulot d’un ouvrier dépend souvent d’une activité très polluante. Du coup, sa priorité, c’est de défendre son boulot. Regardez la position de la CGT énergie, qui défend le nucléaire au nom de l’emploi. Il n’est pas sûr que tous les salariés qui bossent dans une centrale rêvent d’y travailler toute leur vie. La question est : quelle transition vers quel boulot et pour quel revenu ? Au NPA, nous sommes désormais les seuls à être catégoriquement pour la sortie du nucléaire, dans un délai de dix ans. Le parti (Europe écologie-Les Verts, ndlr) censé porter cette question ayant fait tant de compromis qu’on ne sait plus trop où ils en sont. Remplacer 75 % de la production électrique, cela signifie développer les énergies renouvelables, rénover des logements mal isolés et en finir avec une consommation d’énergie aberrante. C’est aussi pour cela que nous défendons les transports publics gratuits.
Au risque de vous mettre au chômage ?
Nous pouvons fabriquer des bus ! Les patrons n’arrêtent pas de nous dire que nous sommes flexibles, que nous ne ferons pas ce boulot toute notre vie, que nous devons nous adapter. Nous sommes prêts à la reconversion économique et écologique ! Nous sommes des métallos : fabriquer des boîtes de vitesse ou des engrenages d’éoliennes, là n’est pas le problème. Si nous avons le souci d’améliorer la vie des gens, il y aura du boulot !
Comment vous positionnez-vous dans le débat actuel sur le protectionnisme européen ?
Produire en France… C’est vrai que c’est à la mode, mais c’est devenu difficile. Une voiture, par exemple, même si elle est assemblée en France, ses composants électroniques sont fabriqués à Taïwan ou autre part en Asie, et le moteur est construit encore ailleurs. C’est comme le nucléaire « français » avec de l’uranium produit au Niger. Et l’idée que les salariés d’un pays pourraient être protégés par des gens qui se moquent depuis des années des plans de licenciements, c’est n’importe quoi ! On protège quoi et qui ? Que ce soit un protectionnisme réac de droite, ou le protectionnisme de gauche invoqué par Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon, en réalité, c’est la protection du capitalisme. La question n’est pas de protéger un peuple, mais de protéger les peuples. Cela passe par une expropriation des banques : que tout le système bancaire et de crédit soit public, contrôlé par les usagers et la population, pour faire en sorte que cet argent réponde à des besoins sociaux et au développement économique. Nous ne devons pas avoir peur de la mondialisation mais, au contraire, discuter de l’internationalisation. Le protectionnisme laisse croire qu’il y aurait un salut, pour les salariés et les patrons ensembles, à l’intérieur des frontières. C’est un piège.
Existe-t-il une convergence européenne de la gauche anticapitaliste ? Quel lien entretient le NPA avec d’autres mouvements européens proches ?
Les organisations anticapitalistes existent – au Danemark, au Portugal, en Grèce, en Allemagne –, et elles organisent des rencontres internationales, mais les forces sont inégales. Le NPA (environ 5 000 adhérents, ndlr) est l’une des organisations les moins faibles d’Europe. Ce qui est inquiétant et révèle la faiblesse du mouvement révolutionnaire et anticapitaliste.
Comment voyez-vous les nouveaux mouvements qui émergent – Indignés ou « Occupy Wall Street » ?
Ce sont des mouvements importants et surprenants – 70 villes occupées aux États-Unis ! Ils révèlent une résistance sociale qu’on ne voyait pas avant. Cela fait partie des choses qui me rendent optimiste : une jeunesse qui cherche des voies pour se battre, en dehors des syndicats et des partis traditionnels. En France aussi, la colère sociale est là, mais de manière plus dispersée. Il y a une grande méfiance exprimée – et justifiée – vis-à-vis des partis et des syndicats. Un réseau entre ces mouvements et des organisations qui partagent leur combat doit se mettre en place, et une discussion s’engager pour arriver à rendre plus crédible la riposte des peuples.
Alors que les marchés financiers sont pointés du doigt, que le capitalisme débridé est de plus en plus critiqué, que les analyses énoncées par une partie de la gauche – Attac, par exemple – il y a dix ans se sont révélées juste, comment expliquez-vous que les candidats à la gauche du PS n’attirent pas davantage d’électeurs ?
Nous vivons un paradoxe : chacun voit bien que les responsables de la crise sont les banquiers, les traders ou les spéculateurs, même si certains s’accrochent à l’idée que les fautifs seraient les immigrés. Mais les courants anticapitalistes n’en sortent pas plus costauds. Le mouvement syndical est aussi affaibli. La crise fait des dégâts énormes dans la tête des gens. Quand on ne va pas bien, quand on souffre, on n’a plus de repères. Et beaucoup d’efforts sont déployés pour diviser les opprimés.
Comment expliquez-vous l’apparente attirance de Marine Le Pen pour une partie de l’électorat, notamment populaire ?
Nous ne devons pas nier l’influence du FN, mais il y a aussi un écœurement général, le sentiment de n’être représenté par personne. La moitié de la population ne vote plus et rejette tout ! Marine Le Pen, comme Nicolas Sarkozy, joue au sauveur : votez pour moi mais ne bougez pas, vous allez voir ce qui va se passer, je reviens au franc et cela va vous sauver… Le FN n’a pas soutenu le mouvement sur les retraites. Marine Le Pen joue sur la démagogie et son côté antisystème. Les discours anti-immigrés, anti-sans-papiers continuent de fonctionner chez des gens pris dans cette idée de concurrence entre les opprimés. Nous, salariés et ouvriers d’en bas, nous devons prendre nos affaires en main et ne pas donner un chèque en blanc à ceux qui sont du côté des privilégiés, dont Marine Le Pen fait partie. Nous pouvons inverser le cours des choses pour que les opprimés retrouvent la voie de la solidarité.
La convergence de la crise sociale, d’une possible réélection de Sarkozy, de la présence assez forte du FN, ne doit-elle pas obliger les forces de gauche qui aspirent à changer le système à se regrouper ?
Avec Lutte ouvrière, nous avons en commun la dénonciation du capitalisme et donc la division peut paraître difficilement justifiable, mais il y a un désaccord sur le type de parti à construire, que nous souhaitons large et ouvert. Quant au Front de gauche, il pense qu’il peut faire bouger François Hollande sur sa gauche. Soit c’est se bercer d’illusions, soit c’est juste tacticien. Il n’est pas question de nous refaire le coup de la gauche plurielle. François Hollande ou DSK sont autant liés avec les Bolloré et les Lagardère que Sarkozy. Anticapitaliste, ce n’est pas un mot au hasard : veut-on s’en prendre aux grandes fortunes et à la spéculation financière ? Avec le PS, on ne pourra pas le faire. Mais c’est vrai qu’à l’avenir la question d’une unité avec le Parti communiste, le Parti de gauche et LO est nécessaire. Le premier enjeu sera d’empêcher que la TVA sociale ne passe, pas de courir derrière Hollande.
Recueillis par Ivan du Roy et Agnès Rousseaux
Notes
[1] Le candidat du NPA avait, mi-janvier, recueilli 335 promesses de parrainages sur les 500 nécessaires pour être candidat à la magistrature suprême. Son prédécesseur, Olivier Besancenot, avait recueilli 4% des suffrages à l’élection présidentielle de 2007.