Par Simon Barthélémy, publié par rue89bordeaux. Toujours en course pour le deuxième tour, le candidat de Bordeaux en Luttes refuse d’endosser le rôle d’ « idiot utile » de la droite, malgré le dernier sondage paru ce jeudi, qui lui donne 11% (pour 49% à Nicolas Florian et 40% à Pierre Hurmic). Selon l’ancien candidat NPA à la présidentielle, cela lui donne au contraire « une crédibilité politique » pour se confronter aux pouvoirs économique et politique et faire entendre les voix d’ « en bas », même dans l’opposition. Deuxième de nos entretiens-fleuves avec les trois aspirants à la mairie de Bordeaux.
Rue89 Bordeaux : Quelle serait votre première mesure en tant que maire de Bordeaux ? On mettrait en place deux mesures phares qui sont des mesures d’urgence mais donneraient le signal de la rupture. Il faut immédiatement faire en sorte qu’il n’y ait plus de sans-abri, donc on réquisitionnerait des logements vacants. Cette décision peut être prise par le maire quoi qu’en dise Pierre Hurmic, quitte à mener une bataille politique avec le préfet s’il l’entrave. C’est certes une mesure autoritaire, mais à un moment donné il faut en prendre, cela existe bien dans la vie de tous les jours. En général c’est plutôt contre les milieux populaires et là ça pourrait s’inverser un peu. Mais la réquisition n’est pas une mesure d’expropriation, c’est une utilisation d’espaces qui ne sont pas occupés, donc en général il y a une forme d’indemnisation. On est conscients des difficultés car ces mesures ne sont jamais prises. Beaucoup de maires pensent qu’ils ne peuvent pas le faire alors que les moyens juridiques existent pour les logements pas du tout utilisés. Et des bâtiments publics vides – anciennes maisons de retraite, Ehpad – sont aussi disponibles, ce qui permettrait d’aller plus vite pour loger les gens car on ne serait pas confrontés à des propriétaires privés. L’autre mesure c’est la gratuité des transports. Beaucoup pense que ce n’est pas moral et inefficace, pour nous c’est une mesure sociale et écologique permettant de sortir du tout voiture. Elle s’accompagnera de la remunicipalisation du service des transports. Il faut dégager Keolis (filiale de la SNCF qui exploite le réseau TBM dans le cadre d’une délégation de service public, NDLR) et le confier à une régie municipale car ce ne peut être qu’un service public. Mais cette mesure serait du ressort de la métropole, ce qui vous obligerait à trouver des alliés pour la faire passer. Tout ce qu’on défend, c’est l’idée de bataille politique, de convaincre. Bordeaux aurait une voix forte pour l’imposer dans l’agglo ou commencer par l’appliquer dans la ville. On peut s’appuyer sur des agglomérations comme Aubagne ou Dunkerque, de taille plutôt importante qui sont en train de mettre en place la gratuité des transports. Des rapports discutent très clairement des conditions techniques et financières pour mettre en place ça, donc on a des points d’appui. On sait très bien comment il faut faire mais il faut au départ être déterminés, pas dire que cela va être compliqué ou coûter cher. On sait que cela pose des problèmes de financement, mais l’école gratuite a aussi posé des problèmes de financement, la santé aussi, on trouve pourtant toujours des moyens de les financer publiquement. Derrière est-ce que c’est vraiment utile et répondrait à des besoins de la société et de la population ? On est convaincus que oui. Et catégoriquement pour la gratuité totale car on est pas des anti-riches non plus. Oui. Une politique offensive ne s’arrête pas dès qu’il y a un petit obstacle. Vous avez déclaré que la crise sanitaire avait conforté vos analyses et votre programme. Quels sujets vous semblent nécessiter une réaction rapide ? On a vu de suite le problème des sans-abri et de la sécurité alimentaire. On a vu des situations préoccupantes, de quasi famine, comme celle des étudiants du campus. Cela traduisait ce qu’on disait déjà de cette société pas taillée pour répondre aux besoins des gens. Les riches s’en sortent bien et les gens précaires jusqu’aux sans-abri se retrouvaient en danger, démunis. S’il n’y a pas de service public pour répondre à ces urgences là et limiter les conséquences des inégalités sociales, cela donne un monde très brutal et on a vu ça au moment du confinement. La solidarité est en bas Il faut forger des outils qui répondent à ça ; qu’une municipalité trouve le moyen de mettre des dispensaires de santé et s’assurer que l’ensemble de la population ait accès à de la nourriture à moins cher, voire gratuitement. Ça peut s’appuyer sur un réseau associatif, comme on l’a vu pendant la crise avec l’épicerie solidaire du Grand Parc qui fonctionne en circuits courts par des maraîchers. D’autres structures, comme les associations qui ont organisé les maraudes, en lien avec Darwin qui servait de banque alimentaire. La crise a aussi démontré que la solidarité elle est en bas, pas en haut. OK, Florian a voté des enveloppes pour remplir les stocks de la Banque alimentaire mais après ce sont des bénévoles qui les ont apportés dans les squats ou dans les rues aux sans-abris. C’est la démonstration qu’il faut que ce monde change. La sécurité sociale alimentaire ou encore le passage de l’eau en régie, ce sont des idées défendues aussi par Bordeaux Respire. Vous partagez beaucoup de propositions communes, pourquoi ne pas être parvenus à vous allier ? Ce que vous dites ne correspond pas vraiment à la réalité car la profession de foi de Hurmic du deuxième tour n’a pas grand chose à voir avec la nôtre. Il n’y a quasiment rien de social dans leur programme. La question du logement c’est tout nouveau, et encore ils disent « je serai capable de », nous on dit « il faudra faire » ; c’est la différence entre nous et un politicien bourgeois et faussement de gauche. On a quand même une grosse expérience avec le Parti socialiste girondin très macronien qui sont les alliés de Hurmic, et on a aussi une expérience nationale de gens qui font des promesses pendant une campagne, et rien ne change une fois qu’ils sont au pouvoir. Cela pose le problème d’un programme radical mais qui annonce la couleur, et la couleur c’est pas l’apaisement. C’est mentir aux gens que de dire que ce sera une politique apaisée car en face on a des requins qui n’accepteront jamais de partager les richesses. Les services publics des transports, ce sera une confrontation ; un arrêté anti pesticides pour arrêter de polluer et de flinguer la santé des gens, ce sera une confrontation car ceux qui ont le pouvoir économique, les grosses propriétés, ils n’en ont rien à faire de la santé des gens. Nous on pense qu’une politique sociale est nécessaire, et Hurmic peut difficilement dire l’inverse, mais ce qui nous distingue c’est le comment on fait. Il y aura un conflit avec les gens qui sont au pouvoir depuis très longtemps, tous ceux qui grenouillent autour des juppéistes et des macronistes à Bordeaux, des gros capitalistes sans trop de scrupule. Et la droite de Bordeaux n’a jamais mis en place de politique sociale même si Nicolas Florian commence à parler écologie et réponse sociale mais ce n’est pas parce qu’il le dit qu’il est en train de changer. Pierre Hurmic a souligné votre cohérence dans vos choix personnels. Cependant, Bordeaux en luttes est soutenu par la France insoumise qui ailleurs dans la métropole fusionne avec des listes écologistes ou socialistes. N’y a-t-il pas là un problème de cohérence chez vous ? On veut bien reconnaître qu’effectivement il y a des contradictions. Mais c’est une question de confiance. On a réussi à construire une équipe, avec des militants de la France insoumise, du NPA, associatifs, syndicalistes ou Gilets jaunes et on a réussi à trouver une force et une confiance en soi qui nous permet d’aller au bout. Parce que ce qui est particuler à Bordeaux, pour nous, ce n’est pas ce qu’on a envie de faire, c’est qu’on a réussi à résister à la pression du vote utile qui veut qu’à un moment donné il faut s’allier au moins pourri pour pouvoir combattre le plus pourri. On a dit non dès le départ, on s’est trop fait avoir par des gens qui ne font rien au nom du réalisme économique. La souffrance sociale n’apparaît pas Et on savait qu’on serait confrontés à cette échéance historique pour Bordeaux où c’était la première fois qu’il était possible que la droite se fasse dégager. On en a discuté dès le départ et on s’est demandé si on commençait une aventure pour l’arrêter en cours de route ou pour aller jusqu’au bout. C’est pourquoi on a voulu dès le départ clarifier la chose, sans créer d’illusion pour ceux qui voteraient pour nous. On peut représenter la vraie gauche anticapitaliste, combattive qui a envie de renverser la table. On a réussi à tenir à la différence de ce qui a pu se passer chez des camarades à Villenave d’Ornon qui n’étaient pas en position de force. Cela nous a aidé à tenir car il y a eu des coups de pression, des petites menaces. On sait que Pierre Hurmic et ses copains socialistes ne mèneront pas une politique de gauche, ils ne sont pas avec nous dans les manifs. Pour eux Bordeaux c’est l’hypercentre, au plus loin Saint-Augustin, ils ne connaissent pas les quartiers populaires, et la souffrance sociale n’apparaît pas dans leurs discours. Pour Ford, ils n’étaient pas là du tout, et ça ça s’oublie pas. Une usine avec 1000 emplois et 2-3-4000 derrière où il n’y a pas le PS, où il n’y a pas les Verts, il y a un problème. Le PS a signé le même document que Bruno Lemaire, en garantissant Ford qu’ils n’attaqueraient pas en justice, alors que Ford a détourné de l’argent, n’a pas respecté ses promesses. On est obligés de lier tout ça. Il y avait un combat social et de reconversion écologique du site industriel qu’ils n’ont pas mené. Un an après ils vont se revendiquer comme les candidats du changement ? On veut bien des alliances et des vrais points d’appui, mais là on n’en a pas. La pression dont vous parlez ne risque pas de retomber après le dernier sondage de Sud Ouest montrant que Bordeaux en luttes et Bordeaux Respire totalisent davantage de voix que Nicolas Florian (49% pour ce dernier, 40% pour Pierre Hurmic et 11% pour Philippe Poutou). Vous risquez de vous fâcher avec beaucoup de monde… Allez-vous déménager ? On sait qu’on est dans cette position délicate, on peut se faire maltraiter et on s’en rend d’autant plus compte qu’on fait partie évidemment de celles et ceux qui pensent que ce serait bien que les juppéistes et chabaniste giclent. On est autant Bordelais que Hurmic et compagnie. Et on a connu ces décennies de droite mais on en a marre de se faire avoir par des fausses gauche. Comment on peut demander aux électeurs de Bordeaux en luttes d’être raisonnables alors qu’on récupère des maires adjoints de Juppé la même semaine [NDLR : Michel Duchène, militant écologiste devenu un des cadres de l’actuelle équipe municipale, a appelé à voter Hurmic] ? Duchène se permet de dire qu’il va voter Hurmic par ce que la campagne d’Hurmic n’est pas en contradiction avec ce qu’il a fait pendant des années. Et cela ne peut pas coller avec nous, si c’est pour revendiquer des embauches juste dans la police alors qu’on pense que c’est dans les écoles et dans les centres d’animation qu’il faudrait recruter. En disant ça, Hurmic s’adresse à la droite et lui dit « n’ayez pas peur, ça changera pas tant que ça ». Comme lorsqu’il ne parle des Aubiers ou de Saint-Michel que pour parler des incivilités. Si pour le deuxième tour il fait des appels du pied aux électeurs de Juppé et Cazenave, on aura un couloir d’autant plus confortable On vous reproche de taper davantage sur Hurmic que sur Florian… Il est évident que quand on dit qu’il faut réquisitionner cela souligne que la mairie ne l’a jamais fait. Les questions nous amènent à parler de ça, et on assume un désaccord, on est capables d’en parler tranquillement. De tous temps les listes d’extrême-gauches ont été accusées de faire le jeu de la droite. On a toujours à se justifier de notre existence. Quelles sont nos différences avec la gauche ? Quelles sont nos raisons d’être là ? Mais seulement par rapport à la gauche. Donc on parle de la gauche et on la critique, et ça déforme effectivement la posture. Mais c’est évident qu’on est dans la rue contre les macronistes, certainement plus qu’Hurmic, et dans les manifs des Gilets jaunes on était confrontés à Florian et à la préfecture. On pourrait envisager un débat des deux listes sans Florian, il n’y a pas débat avec lui en réalité, alors que si Bordeaux bascule à gauche, cela permettrait de discuter plus précisément de ce à quoi cela pourrait ressembler. Quels enseignement tirez vous de sondage qui vous donne 11%, marquant un tassement par rapport à votre score du premier tour (11,7%) ? On reste dans une sorte de crédibilité politique. On résiste à une pression du vote utile et cela légitimise notre existence et notre présence. On n’est pas anti-Hurmic, on est pour nous. Pourtant la pression est là car tout le monde autour de nous veut que Nicolas Florian et les juppéistes giclent. Cela veut dire qu’on a un électorat qui fait plus que de la protestation et nous on aimerait bien ça, qu’on arrive à convaincre qu’on ne veut pas juste gueuler pendant la campagne mais derrière bosser et pourquoi pas même influencer, jouer un rôle utile. C’est là où Hurmic est vache : on ne s’en fout pas ! On n’a pas fait une liste juste avec le NPA comme il y a 6 ans où on faisait 1%. On a envie de prendre une place. Même si on a que 3, 4 ou 5 élus, on sera plus forts au même nombre que les autres car derrière on a ce lien direct avec le milieu associatif, syndicaliste et militant qui peut nous permettre de jouer un rôle sous forme de pression et de mobilisation C’est notre conception du rôle de l’élu d’ailleurs : on a constitué un quatuor permettant de représenter la liste, on sait qu’on a du monde derrière avec Myriam Eckert (collectif Contre les abus policiers), Antoine Boudinet (Gilet jaune) et Evelyne Cervantes-Descubes (France insoumise et CGT). On fera des AG avant les conseils municipaux pour étudier l’ordre du jour, on peut représenter une vraie force politique même à quatre. C’est l’avantage qu’on peut avoir sur les élus PS et écolos déconnectés des franges militantes. Avec un rôle d’opposant dans un conseil municipal qui reste limité… Peut-être qu’on fera rien de spécial mais la situation sociale évolue aussi. La société est à la fois plus brutale et moins démocratique. En même temps il y a une colère bien présente et on ne sait pas quelle sera la suite. Si on est dans le parlement bordelais en relais d’une colère sociale, on peut peut-être bousculer les choses. On peut exposer les problèmes sur la place publique et cela peut mettre la pression sur Florian ou Hurmic. Demain il pourrait y avoir des mobilisation importantes sur les loyers. On nous promet une crise très grave et il peut y avoir une bataille pour geler les loyers. On parle beaucoup des commerçants qui arrivent moins à vendre. Mais si on payait des loyers moins élevés, on aurait plus d’argent pour consommer. Si on est dans le parlement bordelais en relais d’une colère sociale, on peut peut-être bousculer les choses. Ca parait envisageable qu’il y ait des points d’accord avec la gauche dans l’opposition. Sur l’écologie, Pierre Hurmic est faible mais il dit des choses que Nicolas Florian et la droite ne feront jamais. Ce n’est pas compliqué à imaginer qu’on sera ensemble sur plusieurs points. Et on l’aidera à être plus radical sur d’autres sujets. Si vous êtes élu maire, vous consacrerez-vous entièrement à la ville ou serez-vous comme Juppé candidat à la présidentielle ? Je n’en ai pas envie. Mais je ne sais pas comment va se passer 2022, ça risque d’être un gros foutoir. On voit déjà tous les prétendants s’activer. Au NPA on réfléchira à ça au dernier moment. On aimerait bien que ça pète dans la rue et que le contexte social crée une candidature originale. Si on remet Mélenchon, Poutou ou Arthaud, on fera comme d’habitude. Sur quoi voudriez-vous être jugé à l’issue de votre mandat de maire ? On aimerait mettre en place la démocratie directe, pas « moi le maire », et que l’équipe municipale mènerait une politique qui corresponde vraiment à la volonté et aux besoins de la population. Il est possible qu’une population s’organise et qu’on soit juste les relais. Qu’on applique ce qui est décidé en bas, et pas un homme ou une femme en haut qui décide de tout. On tient beaucoup aux conseils de quartier. Pas juste une réunion d’une heure où on mange de petits fours à la fin comme le fait Florian, mais un truc où la population a le droit de décider : on veut une piscine, une salle de théâtre ou un dispensaire de santé… OK, comment on fait pour le budget. Et que la population n’ait pas à attendre 6 ans et le bilan catastrophique d’un élu pour en trouver un autre. C’est cette démonstration politique qu’on aimerait faire.