Cette campagne présidentielle n'est décidément pas simple pour Philippe Poutou. Choisi tardivement par le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), soutenu par une partie seulement de cette organisation, l'ouvrier de Ford n'aurait pour l'instant recueilli que 250 promesses de signature parmi les élus, sur les 500 nécessaires pour se présenter.
Inconnu du grand public – fin octobre, seuls 3 % des Français étaient capables de citer son nom comme candidat du NPA, selon un sondage TNS-Sofres pour Canal+ –, M. Poutou est crédité de… 0 % des intentions de vote dans les sondages récents.
"Les radios et les télés commencent à s'intéresser à lui", juge Alain Krivine, après le passage de M. Poutou sur France Inter, jeudi 24 novembre. L'ancien candidat à la présidentielle de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), devenue le NPA, souligne aussi qu'Olivier Besancenot était dans la même situation quand la LCR avait décidé de le présenter, en 2001.
"Quand il a été choisi, il était effectivement inconnu du grand public, mais pas au sein de la LCR. Il avait l'habitude de prendre la parole publiquement et de défendre ses idées de façon argumentée", nuance Florence Johsua, chercheuse au Cevipof, le centre d'études politiques de Sciences Po, et spécialiste du NPA.
C'est une autre difficulté à laquelle M. Poutou doit faire face: succéder au très médiatique facteur de Neuilly (Hauts-de-Seine), qui avait obtenu 4,25 % des voix en 2002 et 4,08 % en 2007. "Pour arriver à se faire un nom, il faut du temps", souligne Léon Crémieux, un "historique" de la LCR.
C'est un défi qui n'est pas facile à relever, surtout quand l'ancien candidat reste très présent dans la campagne, au point d'animer des meetings à côté du candidat officiel, comme ce fut de nouveau le cas, jeudi, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), devant environ 500 personnes.
LA FAUTE DES MÉDIAS
"Je suis le facteur officiel de Philippe Poutou dans le cadre d'une campagne collective", plaisante M.Besancenot. Opposée à la personnalisation qu'induit une élection comme la présidentielle, la direction du NPA met aussi en avant cette "dimension collective". "Il n'y a pas qu'une seule voix au NPA, indique M. Crémieux. Pour nous, c'est logique qu'Olivier soit présent, il ne s'est pas retiré de l'activité politique." "Olivier est porte-parole de fait", admet M. Krivine.
Autre argument, mis en avant par Christine Poupin, l'une des deux porte-parole du NPA : M. Poutou continue à travailler à temps partiel dans son usine. Et si on continue à voir M. Besancenot à la télévision, ajoute-t-elle, "c'est parce que les médias nous disent que c'est Olivier ou rien".
"Il n'y a pas de raison qu'Olivier Besancenot ne fasse pas profiter Philippe Poutou de sa notoriété, estime Ingrid Hayes, qui fait partie des minoritaires du parti. C'est logique qu'il assure la transition, mais il faudra bien que Philippe apparaisse seul."
Sa première prestation télévisée en solo, dans l'émission de France 2 "On n'est pas couché", n'a pas été une réussite. M. Poutou, visiblement peu à l'aise, a été plus que malmené par Laurent Ruquier et ses chroniqueurs.
"Je ne suis pas du tout gêné qu'Olivier soit là, assure M.Poutou. Je vais essayer de faire aussi bien que lui, mais je ne suis pas dans la comparaison." Celle-ci s'impose, pourtant, quand on observe les deux hommes à la tribune de la Bourse du travail de Saint-Denis. A la différence de son prédécesseur, qui lui a chauffé la salle, le candidat du NPA n'est pas rodé aux discours devant un public assez nombreux, et peine à se détacher de ses notes.
Cela ne l'a pas empêché de présenter son "programme d'urgence" : annulation de la dette, interdiction des licenciements, smic à 1 600 euros net, retraite à 60 ans, service public bancaire, "fiscalité anticapitaliste" ou encore sortie du nucléaire. "J'ai perdu la ligne", s'excuse-t-il dans un sourire après un léger blanc dans son discours.
Les mesures que propose le NPA devraient résonner dans le contexte actuel, mais elles peinent à franchir les murs de la salle. Pour Mme Johsua, le parti d'extrême gauche est aussi victime de son succès passé. "Le NPA a beau être contre la personnalisation du jeu politique, il en paie aujourd'hui le prix", estime-t-elle.
Raphaëlle Besse Desmoulières