Un inconnu sur le campus. Samedi, au premier jour de la conférence nationale du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) à l’université de Nanterre (Hauts-de-Seine), Philippe Poutou, 44 ans, se fait discret. Dans l’amphi D1, il est assis sur la même rangée qu’Olivier Besancenot. Protégé. Entouré de ses proches qui ne le lâchent pas, même dans les couloirs. Le soir, il sera désigné candidat du NPA pour la présidentielle avec 53% des voix des 230 délégués présents.
Fait de gloire. Cheveux gris ébouriffés et éclaircis sur l’arrière du crâne, longiligne, plutôt avenant, il repousse ses premiers entretiens avec les journalistes. Gêné de son nouveau statut. Jusqu’au 21 juin, il n’était qu’un ouvrier dans l’automobile, connu pour un fait de gloire dans la région bordelaise : la grève au sein de l’usine de boîte de vitesse Ford de Blanquefort (Gironde). Secrétaire CGT, ce réparateur de machines-outils s’impose comme le représentant des ouvriers. «On a démarré un mouvement au forceps en 2007 avec des manifestations à l’extérieur de l’usine», raconte-t-il avec son accent du sud-ouest. Ford a garanti en mai le maintien de 955 emplois. «On a gagné… Mais ça reprendra», dit-il.
Poutou gravite dans l’extrême gauche depuis près de trente ans. D’abord avec «une bande de potes plutôt anars», puis avec Lutte ouvrière. Sans diplôme, il bosse une dizaine d’années en intérim puis profite des 35 heures pour signer en CDI à Ford en 1999. Membre de Voix des travailleurs, organisation trotskiste créée en 1997 après son exclusion de LO pour avoir critiqué son «repli», il rejoint la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en 2000. Figure des «Ford de Blanquefort», il est bombardé candidat aux législatives de 2007 dans la 5e circonscription de Gironde (2,7%), et enchaîne, avec l’étiquette NPA, aux européennes et aux régionales (2,52%).
Le nom de Poutou est la surprise du casting présidentiel. Et gêne une partie de ses camarades. «Je ne suis pas jeune, je ne suis pas une femme, je ne suis pas membre de la direction, je ne suis pas parisien et en plus je suis ouvrier dans l’automobile ce qui n’est pas écolo ! J’ai plein de défauts en fait !» s’amuse-t-il. On attendait une des deux nouvelles porte-parole, Christine Poupin ou Myriam Martin. La première n’avait pas envie. La seconde a été mise hors-jeu car elle fait désormais partie de la minorité. Une commission a proposé Poutou. Les féministes ont hurlé au scandale. Certains au NPA jugent qu’il «n’a pas la carrure». «Je n’en ai rien à tamponner, a-t-il répondu samedi lors de ses deux minutes de grand oral, hésitant, devant près de 300 camarades. Ce qui compte c’est ce qu’on fera collectivement !» Besancenot aussi était inconnu en 2001. Mais il bénéficiait du soutien d’une LCR unie. L’inverse du NPA d’aujourd’hui (lire ci-contre). Son statut d’ouvrier lui donne-t-il un profil proche de LO ? «On peut être ouvrier sans faire une campagne ouvriériste, fait valoir Alain Krivine, cofondateur de la LCR. Et puis c’est mieux qu’ancien ministre.»«C’est un bon profil pour dire "merde !" à Marine Le Pen», défend Sandra Demarcq, de la direction. «Le FN se revendique des ouvriers, embraye Poutou. Il y en a qui votent FN, un certain nombre… Mais nous sommes un parti ouvrier. Eux s’en servent pour faire de la démagogie.»
Incarnation. Pendant la campagne, il espère continuer à bosser sur ses machines à Blanquefort. Plutôt compliqué pour battre les estrades… «Il faut trouver une solution où il y a plusieurs visages», souhaite-t-il. Mission impossible dans une élection présidentielle qui demande, par définition, une incarnation. Philippe Poutou a peur du piège de la personnalisation inhérent à une fonction dont LO et la LCR ont pourtant profité avec Arlette Laguiller et Olivier Besancenot : «Je suis un ouvrier candidat mais je n’ai pas envie d’être le candidat ouvrier.»
Lilian Alemagna