Il est rare de voir ces deux-là autour d’une même table. Jean-Luc Mélenchon en débat avec Olivier Besancenot. L’un, en costume cravate. L’autre, en sweat-capuche. Deux stratégies différentes. Deux visions de la révolution. Le magazine Regards, dirigé par la militante antilibérale Clémentine Autain, a réuni les deux hommes pour son édition d’avril. Une renconte quasi inédite, tant le coprésident du Parti de gauche (PG) et le désormais ex-porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) évitent de s’afficher en face-à-face.
S’ils ont accepté de se voir, c’est pour causer «révolution». Chacun défendant son propre manuel en la matière. Les événements dans les pays arabes ? «Un appui», pose Mélenchon. L’ancien socialiste déroule ses «constantes» révolutionnaires : «accumulation» de colères et de frustration, puis, «comme pour un tremblement de terre», «il se passe toujours un événement qui vient rompre». Pour lui, la révolution «part d’un fait social et commence par une revendication démocratique».«C’est là que nous avons un différend, lui oppose Besancenot. La révolution ne peut pas être une promesse électorale.»
Tasse de thé. «Il n’y a jamais eu d’opposition entre le phénomène révolutionnaire et la question civique», lui rétorque le député européen qui ressort ses références sud-américaines : «constituante», «modification radicale du régime de la propriété»… «Je me bats pour que nous soyons majoritaires dans les élections, parce que je crois que c’est par ce chemin-là, aussi, qu’on peut faire la révolution. C’est pour ça que je l’appelle citoyenne», lance Mélenchon. Sauf que ça, ce n’est pas vraiment la tasse de thé du leader anticapitaliste… «Ce que tu proposes, c’est un processus par le haut ! […] Moi, je milite pour un processus par le bas», lui répond Besancenot. «L’objectif n’est pas d’instituer un cadre légal, mais que le peuple, et personne d’autre, prenne le pouvoir et le garde», poursuit-il. Parce que «le coup de "on va aller au gouvernement et ensuite, on va se battre pour l’implication populaire", on l’a entendu pendant des années». Toujours cette satanée déception de la gauche de gouvernement. Et ce maudit soupçon que Besancenot et les siens portent sur la participation de Mélenchon à un éventuel gouvernement avec les socialistes. «Je n’irai dans aucun autre gouvernement que dans celui que JE dirigerai», tranche Mélenchon.
2012… Ils ont beau se lancer dans de grandes dissertations révolutionnaires, ils y reviennent toujours. Les deux hommes refont le match des mobilisations contre la réforme des retraites. Besancenot reproche à Mélenchon d’avoir appelé au référendum et non à la grève générale. Puis les voilà partis dans une inextricable discussion sur la présidentielle.
Alliance. «Tu as tort de faire l’impasse sur le gouvernement», attaque Mélenchon, qui cherche - en vain - la prise pour persuader le NPA d’une alliance. «Tu es en train de me convaincre qu’il faut se présenter aux élections», ironise Besancenot. Mélenchon le coupe : «Je suis en train de te convaincre qu’il faut gagner !»«Ben, écoute, s’il n’y a que ça, pars et gagne…» balaie Besancenot. «Je ne crois pas une seule seconde, malgré les bonnes intentions que tu auras, qu’une fois arrivé au pouvoir tu seras capable d’impliquer la population, fait-il valoir. Tu seras pris au piège d’alliances politiques, d’un jeu institutionnel déjà bien balisé, marqué par sa propre histoire et qui fait qu’au bout du compte c’est le pouvoir économique qui décide.»
Après une heure et demie de discussion, Mélenchon et Besancenot en restent au même point : dans cette incompréhension qui fait qu’en 2012 on devrait les retrouver chacun de leur côté. Ce qu’il leur manque pour s’entendre : de la confiance.
Lilian Alemagna