À l’heure de l’offensive de l’État Islamique en Irak et en Syrie, et du renforcement du Maréchal Sissi en Égypte, c’était salle comble à Port-Leucate pour tenter de comprendre, où en est le processus révolutionnaire international ouvert en 2011 et visiblement en grand danger aujourd’hui.
En introduisant la séance, Chawqui Lotfi rappelait pourquoi nous avons analysé comme un processus révolutionnaire au long cours la vague de mouvements de masse qui s’est propagée en 2011 dans la région arabe : des dictatures et des couches dirigeantes sclérosées, perdant leurs derniers éléments de légitimité avec le rouleau compresseur des politiques néolibérales ; des formations sociales particulièrement inégalitaires, et des peuples aspirant à la démocratie et à la justice sociale dynamitées par une jeunesse au niveau d’éducation élevé mais sans perspectives d’emploi stable. Les immenses mouvements de 2011, les méthodes de lutte, les premiers acquis ont semé des germes profonds. Mais nous avons aussi noté les limites de l’auto-organisation populaire, la faiblesse de la gauche et la vigueur de la résistance des divers centres d’oppression qui indiquaient que ce processus durerait longtemps, avec des avancées et des reculs violents. Les différents intervenants ont soulignés combien en 2014, ce sont les reculs qui dominent. Il faut dire que la difficulté est grande quand les mouvements de masse sont condamnés à s’affronter à plusieurs contre-révolutions sauvages à la fois, sans bénéficier de soutiens internationaux réels !
SyrieGhayath Naisse, membre du Courant de la gauche révolutionnaire syrien, alertait sur le grand péril que vit la révolution syrienne. Ayant pu desserrer l’étau du régime sanguinaire de Bachar Al Assad sur 60 % du pays début 2013, elle a été victime d’une offensive méthodique du dictateur et de ses alliés internationaux – iraniens, russes, libanais et irakiens – pour écraser la résistance dans la destruction de masse, pendant que les milices de « Daech » récemment rebaptisées « État Islamique » (EI), bénéficiaient de bien des complicités pour s’accaparer par la violence les zones libérées. Pourtant la résistance se poursuit, sous ses versants militaires et civils, dans les zones encore libres, comme dans les régions globalement sous le contrôle des forces totalitaires. Et le camarade rappelait l’urgence d’un soutien concret aux révolutionnaires, en insistant sur l’interdépendance entre les différents pays de la région.
IrakUn camarade irakien du NPA a lui aussi resitué l’offensive de l’EI en Irak dans son contexte : un pays malaxé par le régime de Saddam Hussein, puis par l’invasion américaine, puis par l’affirmation autoritaire et confessionnaliste du premier ministre Al-Maliki. Les tentatives d’autodétermination des populations irakiennes sont maintenant balayées par l’alliance entre EI et une partie de l’ancienne hiérarchie militaire de Saddam Hussein reconvertie dans le jihadisme. Pourtant, là aussi, de nombreuses voix, sunnites comme chiites, récusent la spirale confessionnelle. Un débat a commencé sur l’appréciation du rôle des forces kurdes dans cette situation, qui a été approfondi dans un atelier spécifique animé par un camarade kurde de Toulouse.
ÉgypteDeux camarades du NPA qui ont séjourné ces derniers mois dans le pays ont précisé la situation difficile des militants et militantes de la révolution égyptienne, face au retour des militaires au pouvoir. Sissi a réussi à surfer sur l’exaspération populaire face à l’aventurisme réactionnaire et néo-libéral des Frères Musulmans. La politique de répression terrible qu’il mène contre ceux-ci s’étend aux militants démocrates, ouvriers et révolutionnaires. Malgré cela les conflits sociaux, en particulier dans les entreprises ne cessent de renaître car aucun problème de fond n’est réglé, même si pour l’instant le nouveau pouvoir tente de renforcer sa légitimité en se prétendant le garant de la stabilité… et de l’arrivée massive de capitaux étrangers.
TunisieDominique Lerouge, complété par d’autres camarades dans le débat, revenait sur la montée d’une contre-révolution plus « douce », mais tout autant déterminée à étouffer le processus ouvert fin 2010. Cette tendance s’appuie sur l’absence d’auto-organisation de la population et les faiblesses de la gauche, ainsi que sur les contradictions de l’UGTT, syndicat incontournable du peuple tunisien. Dans cette situation, les gouvernements successifs relaient la pression des institutions internationales, et les perspectives d’alternative apparaissent encore bien faibles.
LibyeUne contribution a été apportée par Françoise Clément, militante altermondialiste, montrant qu’au delà du chaos actuel autour des batailles pour le pouvoir permis par la profusion des milices armées, le processus reste ouvert avec une société civile réellement existante, des élections qui n’ont jamais permis aux islamistes de légitimer l’hégémonie qu’ils recherchent, et des impérialistes qui ne savent plus à qui se vouer pour obtenir un retour sur leur investissement militaire de 2011. Un débat riche a eu lieu sur les interactions politiques régionales comme la question palestinienne, sur la façon dont pourrait émerger une alternative anticapitaliste, ainsi que sur nos responsabilités en tant que NPA. Il s’est poursuivi dans le Forum internationaliste du mardi après-midi, et en « off » autour de jeunes camarades syriens et égyptiens présents à l’Université d’été.
Jacques Babel