La crise globale dans laquelle le capitalisme mondial a plongé la planète n'est pas un orage dans un ciel d'azur. Elle traduit les contradictions du système accumulées depuis plusieurs décennies : intensification de la concurrence au niveau mondial, déréglementation des marchés financiers, développement insoutenable de capital financier sous forme de dettes bien supérieures aux richesses réellement produites. Cette crise globale exacerbe la contradiction capital/travail au cœur du capitalisme.
C'est aussi une crise de civilisation. La satisfaction des besoins humains et sociaux (santé, éducation, temps libre de qualité…) est incompatible avec la concurrence et à la course à la rentabilité financière qui implique le productivisme capitaliste. Celui-ci épuise la biosphère, nous détruit au travail – alors même que chômage et sous-emploi sont de véritables fléaux. Il nous soumet à un lavage de cerveau marketing de plus en plus sophistiqué pour manipuler nos comportements de consommateurs. La contradiction capital/travail se trouve ainsi aggravée par une contradiction capital/nature.
Expériences du mépris, désirs de reconnaissance écrasés, demandes d’autonomie déçus, besoins de créativité bafoués: la crise du capitalisme affecte aussi les individualités contemporaines dans l’entreprise comme dans l’univers de la consommation et des medias. Une véritable contradiction capital/individualité caractérise le capitalisme actuel en interaction avec la contradiction capital/travail comme l’a mis en évidence la vague de suicides à France Telecom.
Le capitalisme se révèle incapable de prendre en charge, dans l’intérêt de l’immense majorité de la population, la crise écologique planétaire qu’il a générée. L’échec du sommet de Copenhague à définir des objectifs impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour faire face à la crise climatique marque un tournant. Cette situation se retrouve dans toutes les dimensions de la crise écologique: effondrement de la biodiversité, crise de l’eau, érosion des sols, pollution chimique généralisée, etc. En même temps, les classes dominantes s’efforce d’instrumentaliser la crise écologique pour imposer des attaques redoublées contre les conditions de vie et de travail des exploitéEs au nord comme au sud.
Mais il faut constater que l'idéologie contemporaine du capital – le néolibéralisme – a du plomb dans l'aile. Les réformes néolibérales étaient censées apporter davantage de croissance et donc des retombées positives pour chacun – même inégalement réparties. C’est l’inverse qui se produit.
Entre août 2007 et septembre 2008, la crise a commencé par un krach financier et une crise bancaire. La seconde étape, en 2009, a été la plus grave récession depuis les années 1930. Elle s'est traduite par une hausse brutale du chômage (aujourd’hui 10% en France, 20% en Espagne…) et aussi, dans de nombreux pays, par une baisse des salaires réels. Les sauvetages financiers, les mesures de relance et la baisse des recettes liées à la baisse de l'activité ont accéléré la hausse de l'endettement public, déjà élevé avant que la crise ne commence. Cette dette publique est au cœur de la troisième étape. Prêts à tout pour préserver les intérêts capitalistes du secteur financier, les gouvernements si généreux avec les banques imposent aujourd'hui aux populations une féroce politique d'austérité au nom de son remboursement.
La dette est illégitime, l’austérité est violemment injuste et les appels aux sacrifices qui l'accompagnent sont indécents. Ceux-là mêmes qui, depuis les années 1980 ont dû travailler de plus en plus dur, supporter la précarité, les licenciements, l’asphyxie humaine et financière des services publics, le chômage et les fermetures d’usines, sont les premiers attaqués.
Les revenus de l’oligarchie : les Bouygues, Bolloré, Lagardère, de leurs amis industriels et banquiers et de tous ceux dont la richesse a décuplé, sont sanctuarisés.
À la suite du plan décidé le 9 mai 2010 par les gouvernements de l’Union européenne, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE) contre le peuple grec, l’ensemble des États européens ont engagé des plans d’austérité contre les salariéEs, les retraitéEs et la jeunesse dans tous les pays de l’Union. De l'Irlande à la Grèce, de la Lituanie au Portugal, de la Roumanie et de la Hongrie à l’Espagne sans épargner la France let l’Allemagne, les classes dominantes ont engagé une guerre sociale. Réduction du nombre de fonctionnaires et d’agents de l’État, d’infirmières et d’aides-soignants dans les hôpitaux, d’enseignants (dans les écoles, les collèges et les lycées) ; réforme des retraites; réduction d'aides au logement et d'allocations handicapés, … autant de mesures qui ne sont que les premières d’une vague sans précédent de baisse des revenus et de dépossession de nos droits .
La généralisation des plans de réduction des dépenses publiques et la baisse des salaires en Europe ne vont pas nous sortir de la crise. Au contraire, ils entraînent l'ensemble des économies dans une spirale vers le bas : récession, augmentation du chômage et explosion de la dette publique s'autoalimentent.
La crise a pour effet de détruire les collectifs et les solidarités, isolant la population, poussant à l’individualisme. Face à la crise, il faut donc donner la capacité de résistance aux individus et aux collectifs. Le syndicalisme, les associations, les collectifs de résistance, les formes locales de mobilisation, constituent autant de points d’appui pour un pouvoir des travailleurs qui devrait développer leurs capacités d’intervention. La prise en main démocratique par la population de son propre avenir passe aussi par ces multiples canaux.
La violence économique infligée aux sociétés et la paupérisation de masse, nous exposent à des régressions démocratiques majeures. Déjà, les réflexes nationalistes jouent à plein, favorisant une montée en puissance des extrêmes droites dans la plupart des pays d'Europe. Le sigle infamant de PIGS (cochons) a même été inventé pour stigmatiser les pays de l'Europe du sud (Portugal, Italy, Greece, Spain). On oppose les pays dispendieux – les cigales – aux pays vertueux – les fourmis – pour mieux occulter que ce sont les politiques de blocage des salaires, d'un côté, et de libéralisation financière tous azimuts, de l'autre, qui nous ont conduit là où nous en sommes.
Ceux qui gouvernent feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher toute intervention des populations contre ce qu’ils veulent imposer. Dans ces conditions, limiter les libertés démocratiques et amplifier les politiques racistes et discriminatoires est à leurs yeux indispensable, c'est pourquoi intervenir sur ce terrain est indissociable du combat social.
La gravité de la situation appelle une réponse démocratique : une mobilisation en profondeur pour rejeter les plans d'austérité, défendre les droits des travailleurs et, au-delà, la mise en place d’un gouvernement au service de la population. Un gouvernement décidé à défendre les libertés, à protéger les salariés, la jeunesse et les retraités des agressions du capital et à assurer des conditions d’existence décentes à tous et un avenir aux jeunes. Un gouvernement décidé à mettre en place les mesures nécessaires pour assurer l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, à prendre en charge les défis posés par la crise écologique. Face aux mesures des banques, du patronat et des États pour sauvegarder leurs profits et leurs privilèges, il est urgent que les travailleurs et les classes populaires puissent leur opposer un projet d’ensemble pour sauvegarder leurs droits, c’est-à-dire ceux de la collectivité contre une minorité parasite, et pour assurer l'avenir même de la société.
L'impasse économique, écologique, civilisationnelle et idéologique dans laquelle se trouve le capitalisme contemporain appelle des réponses politiques qui contestent le droit d’une minorité richissime à décider du destin de l'immense majorité de la population. Sortir de la crise dans laquelle la politique de cette minorité plonge toute la société exige un bouleversement démocratique, la conquête par les exploitéEs et les oppriméEs des moyens de prendre en main le destin de la société, leur propre destin, des moyens de contrôler la production, la conquête du pouvoir politique.
1 – Nos vies pas leurs profits
Il ne peut y avoir de sortie de crise sans inverser le rapport de force sociale et politique entre le monde du travail et les classes possédantes. Contrairement à ce que prétendent les gouvernants, la lutte des salariéEs pour la défense de leurs droits, loin d’être vaine, représente la seule voie pour sortir de la crise.
Les couches sociales d’en bas, les plus nombreuses, s’appauvrissent visiblement: moindre consommation, en tout cas de plus en plus en deçà des besoins. Cet appauvrissement général en retour pèse sur la sphère de production: fermeture de pans entiers industriels, chômage de masse.
Augmenter les salaires, garantir un revenu décent
Ce sont les profits exorbitants, confisquant une part toujours plus importante de la richesse produite, qui sont à l’origine de la spéculation et de la crise financière. La meilleure façon de réduire les profits, c’est d’augmenter la part des salaires. Il y a urgence à augmenter les salaires de 300 €, à garantir que pas un revenu ne soit inférieur à 1500 € net, à opérer un rattrapage des salaires féminins.
Interdire les licenciements et la précarité!
Licenciements, temps partiel imposé, chômage partiel, heures supplémentaires, intensification du travail… le patronat traite les salariés comme une variable d’ajustement pour maintenir ses profits. Pour cela il combat pour la liquidation de toutes les garanties conquises par les luttes et tout statut protecteur comme celui de la fonction publique.
Pour en finir avec la précarité, nous n’avons besoin que du seul contrat à durée indéterminée et d’un statut de la fonction publique pour le secteur publique. Cela exige évidemment la fin des contrats précaires – CDD et intérim – qui ne servent qu’à ajuster au plus près les effectifs aux besoins des patrons et des administrations publiques gérées sur le modèle des entreprises..
Remettons les choses à l’endroit: le droit à l’emploi prime sur le droit de propriété.
En cas de diminution de la production, l’intensité et la durée du travail doivent être réduits sans perte de salaire. Les licenciements doivent être interdits.
Dans les entreprises qui font des profits comme dans celles qui apparaissent en difficulté mais dépendent en réalité d’un grand groupe qui fait lui des profits, les salariés doivent avoir accès aux comptes des entreprises et pouvoir remonter jusqu’aux donneurs d’ordre, ce qui implique la levée du secret bancaire.
Fondamentalement, c’est le statut même des salariéEs qui doit être totalement changé. En cas de modification de la production, l’entreprise, les donneurs d’ordre, le groupe, la branche doivent assurer le salaire, la poursuite de la carrière et de la formation. Dans tous les cas, par-delà les aléas de telle ou telle entreprise, c’est au patronat d’ assumer la responsabilité totale de la suppression d’un poste en finançant un fonds de financement mutualisé, afin de permettre le maintien des salaires et des contrats de travail.
Nous défendons inconditionnellement le droit à l’emploi, mais pas n’importe quelle production de biens ou de services. Pour des raisons écologiques et sociales, des productions doivent être arrêtées comme le nucléaire, ou réduites drastiquement comme l’industrie d’armement, le transport routier de marchandises ou encore la production de pesticides. D’autres par contre devraient être mises en place de toute urgence comme la production massive d’énergie à partir de sources renouvelables. Mais ni les salariés ni les collectivités de travail ne doivent faire les frais des bouleversements nécessaires. Interdire les licenciements, garantir le maintien des emplois, permet au contraire d’envisager sereinement des modifications de production protégeant les salariéEs, l’ensemble de la population et la nature.
Travailler toutes et tous, moins longtemps, moins durement!
Les gains de productivité ont été accaparés par les actionnaires. Il faut mettre fin à cette injustice : s’il faut moins de travail pour la même production, c’est aux salariéEs d’en bénéficier. Il faut passer tout de suite à 32 heures sans perte de salaire, embaucher et refuser la flexibilité.
Mais au-delà, parce que le chômage de masse est une arme redoutable dans les mains du patronat: contre les chômeuses et chômeurs d’abord, méprisés et culpabilisés, contre les femmes et les étrangers accusés de voler le travail, contre les précaires condamnés à accepter ce qu’ils ou elles trouvent, contre tous les salariéEs, insécurisés et menacés… parce que le travail fatigue, use et tue prématurément, parce que nous avons besoin de temps pour se reposer, partager les tâches domestiques, réfléchir, se cultiver, militer, participer à la vie sociale et politique… vivre!…Il faut réduire et partager le temps de travail jusqu’à l’abolition du chômage!
Défendre la protection sociale, développer le salaire socialisé
Alors que le patronat cherche par tous les moyens non seulement à bloquer les salaires mais aussi à détruire l’ensemble de la protection sociale et en premier lieu les retraites, nous revendiquons plus que jamais le salaire socialisé.
Bien que, sur le bulletin de paie, figurent le salaire net, les cotisations dites patronales et salariales, c’est l’ensemble du salaire qui rémunère notre force de travail. La cotisation sociale, le salaire socialisé, finance les retraites, les indemnités du malade ou du chômeur, les allocations familiales.
Le principe du salaire socialisé s’oppose à la logique du système capitaliste : bien que ne travaillant pas, les personnes au chômage, en arrêt de travail pour maladie ou accident, en retraite, bénéficient d’un salaire! Alors que le salaire obéit aux lois du marché capitaliste, la redistribution du salaire socialisé repose sur une autre logique «à chacun selon ses besoins» en rupture avec le dogme libéral qui prétend que le sort de chacun est fonction de l’effort individuel. Bien loin d’être une «charge», les cotisations vont dans le sens d’une libération.
Comme nous n’accepterions pas que notre employeur ou le gouvernement décident de l’utilisation de notre salaire direct, nous devons rester maître du salaire socialisé, qui aujourd’hui n’échappe pas au contrôle des capitalistes présents dans la gestion des caisses et fait l’objet d’une gestion bureaucratique non démocratique. Les seuls légitimes pour gérer les caisses de Sécurité sociale qui sont notre salaire collectif sont les représentantEs des salariéEs démocratiquement élus, mandatés et révocables sans intrusion du patronat et de l’État.
Le montant de la retraite, des indemnités chômage, maladie, accident de travail, invalidité… doit être égal au meilleur salaire et indexé sur l’évolution salariale. Les allocations familiales doivent couvrir totalement les charges liées aux enfants.
Les soins et les médicaments doivent être gratuits car remboursés à 100 %. Mais notre protection sociale ne doit pas alimenter les profits de la médecine libérale, des cliniques privées, des trusts pharmaceutiques. Il faut un véritable service public de santé avec des moyens et du personnel pour l’hôpital public bien sûr, mais aussi le développement d’un réseau de centres de santé de proximité. L’affaire du Mediator illustre dramatiquement l’incompatibilité entre la santé de la population et l’intérêt privé. Les grands groupes de l’industrie pharmaceutique qui occupent le haut du CAC 40, doivent simplement être expropriés dans le cadre d’un service public de la recherche et de la production des médicaments auxquels seront étroitement associés les usagers organisés.
Le salaire socialisé doit aussi être imposé durant toute la vie de la crèche à la formation, jusqu’à la retraite, par l’extension des services publics de la petite enfance, du 3e âge, par le salaire étudiant ou allocation d’autonomie.
Le droit à un revenu digne doit être imposé comme un droit universel.
Nous n’avons pas l’illusion que le capital se laissera amputer passivement, seul le rapport de forces imposera la progression et l’extension du salaire durant toute la vie, associées à sa gestion démocratique dans la perspective d’une gestion solidaire et non capitaliste.
Garantir l’accès aux biens communs dans un but social et écologique
Aujourd’hui, une partie importante du salaire est consacrée à se (mal) loger. Le blocage des loyers, leur fixation y compris dans le secteur privé, la création d’un grand service public du logement en expropriant les grands groupes de l’immobilier sont des priorités. C’est aussi une condition pour proposer des logements bien isolés, sobres en consommation d’énergie.
De même, les prix des produits alimentaires de première nécessité doivent être bloqués et la TVA sur ces produits doit être supprimée. La grande distribution et l’agro-business, les quelques centrales de distribution doivent cesser de dicter leurs lois tant aux consommateurs qu’aux producteurs afin que chacunE ait accès à une nourriture de qualité dans un environnement sain.
Défendre des conditions de vie décentes pour la population passe par des services 100 % publics et une extension de la gratuité : santé, transports collectifs de proximité, télécommunications... Il s'agit de constituer de nouveaux «communs» en donnant accès à des biens et services hors des circuits marchands échappant à la domination qu'exerce le capital sur la consommation via la maîtrise de la production et le marketing. La mise en place de ces services publics implique une socialisation de leur gestion et de leur financement qui associe les consommateurs, les salariés et les représentations des collectives publiques pertinentes. S’agissant de certains biens communs tels que l’eau ou l’énergie, la garantie du droit d’accès pour tous et toutes doit s’accompagner d’une maîtrise de leur utilisation pour des raisons écologiques. La gratuité de la consommation de base pour tous les citoyens – fixée au niveau de la consommation moyenne d’un salarié – doit donc être complétée par une taxation fortement progressive de la consommation excédentaire qui pénalise le gaspillage et les usages de luxe.
Pour un enseignement public de qualité et pour tous.
L’éducation nationale, comme l’ensemble des services publics, subit ces dernières années une attaque sans précédent: suppression de postes, réduction des budgets, recours aux personnels précaires, dégradation de la formation… Le transfert vers des secteurs marchands de prestations, de services rentables (pédagogiques, parascolaires…), afin de pallier aux déficiences engendrées par cette politique de destruction des services publics accentuent par la sélection financière les inégalités sociales et les chances de réussite professionnelle des classes populaires. Le néo-libéralisme et la gestion comptable de la société imposent à l’école une logique utilitaire adaptée au marché de l’emploi au détriment d’une culture et d’un enseignement généraliste. La diminution voire la suppression programmée de matières jugées «inutiles», est révélatrice de cette volonté de réduire les élèves, donc les futurs salarié-e-s , à la seule fonction «d’outils de production». C’est une remise en cause en profondeur de la mission de l’Ecole publique, qui doit être avant tout l’accès à la connaissance, le développement de la réflexion, et l’acquisition d’un bagage culturel et intellectuel. Redonner les moyens matériels et humains à l’Ecole d’assumer ses missions est primordial, car l’éducation et la culture, c’est ce qui permet à chaque individu d’accroître ses connaissances, développer son intelligence, de penser par lui même, de créer, de développer une pensée critique de l’industrie culturelle à la culture pour tous.
2- Pour sortir de la crise, conquérir la démocratie
Ces exigences légitimes et vitales pour protéger le monde du travail des effets dévastateurs d’une crise dont il n’est en rien responsable ne pourront être conquises que par un mouvement social et politique de masse qui, inévitablement, posera la question de qui dirige la société au nom de quels intérêts.
Les intérêts des travailleurs sont antagonistes de ceux de la minorité qui aujourd’hui tient entre ses mains le pouvoir économique, financier, politique, qui contrôle tous les principaux moyens d’information.
L’évolution du capitalisme ne marie pas harmonieusement démocratie et marché comme nous le vantent tant d’idéologues libéraux. En relation avec la contradiction capital/travail, la phase actuelle du capitalisme se trouve traverséée par une contradiction capital/démocratie. En Chine, la croissance capitaliste s’accompagne d’une dictature maintenue d’un parti-État qui n’a de communiste que le nom. Ailleurs, la démocratie politique recule au même rythme que le démantèlement des acquis sociaux. Plus largement la population est dessaisie, les affaires du monde qui concernent l’ensemble de la population sont tranchées par une minorité de décideurs économiques et politiques dans les conseils d’administration des firmes transnationales, par les marchés financiers, les institutions internationales comme le FMI ou l’OMC qui toutes sont aux mains de l’oligarchie capitaliste mondiale. En Europe, le fonctionnement même de l’Union européenne est en recul vis-à-vis des standards démocratiques européens nés aux XVIIIe et XIXe siècles. L’adoption du traité de Lisbonne est en ce sens parfaitement révélateur de cette confiscation du pouvoir. Dans les États, et en France en particulier, la concentration du pouvoir se renforce tandis que d’éventuels contre-pouvoirs (médias, justice) voient leurs marges de manœuvre réduites. La diminution des libertés publiques, la remise en cause du droit syndical, l’arsenal répressif envers l’immigration, les politiques ultra-sécuritaires, accompagnent la régression sociale. Avec leur cortège de discours et d’actes xénophobes et racistes inspirés de l’extrême droite.
Le droit de décider et de contrôler
Le combat social et le combat démocratique sont donc liés. Il s’agit de défendre les droits démocratiques et de considérer qu’une rupture avec le capitalisme nécessite aussi de nouvelles conquêtes démocratiques permettant aux travailleurs et à la population de s’emparer de leur destin. Défendre les droits des travailleurs et de leurs organisations syndicales, les droits des jeunes et des sans-papiers, des migrants, participe de ce combat. Nous voulons développer et conquérir tout ce qui permet aux travailleurs et à la population d’intervenir directement dans la gestion de la société, dans les entreprises, les services publics, les collectivités publiques.
Cela implique d’imposer la levée des différents secrets bancaires ou commerciaux qui structurent l’économie de marché, de développer le contrôle des salariés sur les principales décisions concernant l’organisation du travail et de la production, de faire trancher directement par la population elle-même à l’échelle du problème posé (local, national, européen…) les principales décisions engageant l’avenir de la collectivité.
Une démocratie politique élargie implique de rompre avec les institutions de la Ve République et leur hyper présidentialisme, de supprimer la fonction présidentielle. De revendiquer la proportionnelle intégrale, l’élection d’une Assemblée constituante, la suppression de toutes les instances qui comme le Sénat ou le Conseil constitutionnel confisque encore plus la démocratie. D’établir une rotation et une limitation stricte des mandats, la parité réelle dans tout corps élu. De développer une citoyenneté complète de résidents-travailleurs basé sur le droit du sol intégral. Ces nouvelles conquêtes démocratiques ne peuvent se penser sans des mobilisations profondes, émancipatrices, inventant de nouvelles formes de pratiques démocratiques répondant aux défis du monde d’aujourd’hui.
Garantir à la population des conditions de vie décentes débouche sur une réorganisation de la production, de la distribution et de la consommation, de l’administration. Elle nécessite un bouleversement démocratique, l’organisation de la population pour qu’elle soit en mesure d’assurer son contrôle à tous les niveaux de la vie économique et sociale. Ce bouleversement signifie une rupture avec des institutions vouées à la défense des classes privilégiées, la mise en place à travers les mobilisations sociales et politiques qui naîtront de l’approfondissement de la crise, d’un gouvernement issu de ces mobilisations, placé sous leur contrôle, capable enfin d’imposer l’interdiction des licenciements et le droit à un emploi stable comme un droit social fondamental pour toutes et tous. Ce gouvernement sera l’instrument d’une réorganisation radicale de la société dont l’objectif sera de mettre la production et l’ensemble des activités humaines au service de la population et non d’une minorité parasite.
Coordonner les luttes au niveau européen pour construire une Europe des travailleurs et des peuples
Dans toute l’Europe est posée la nécessité de traduire concrètement, dans une série de mesures d’urgence, le mot d’ordre des manifestations grecques : «ce n’est pas aux travailleurs et aux peuples de payer la crise, c’est aux capitalistes!» Le rejet des plans d’austérité doit s’accompagner d’une politique d’ensemble qui s’attaque à la logique capitaliste, propose une autre répartition des richesses et n’hésite pas à remettre en cause la propriété capitaliste. C’est avec cette perspective politique que nous travaillons à la convergence et à l’unification des luttes par-delà les frontières, en collaboration avec les différentes forces anticapitalistes européennes.
Ces propositions exigent la rupture avec l’Union européenne actuelle. Mais l’Europe est bien la bonne échelle pour avancer des solutions à la crise. C’est à ce niveau que doit se déployer un projet de coopération étroite dans la mise en commun des ressources humaines et technologiques au service des besoins sociaux, des projets industriels, des innovations portées par les économies d’énergies, la substitution vers les énergies renouvelables et la protection de l’environnement, de nouvelles relations avec les peuples du Sud. Mais cela ne peut se faire dans le cadre de l’Union européenne qui est fondée sur la «concurrence libre et non faussée» des capitaux et la recherche du profit maximum. Cela ne peut se faire non plus dans le cadre de replis nationaux, même si la lutte peut commencer sur le plan national en y ouvrant des brèches dans la domination capitaliste. Il faut une réponse européenne à la crise, en rupture avec l’UE. La crise exige des solutions radicales sur le plan socio-économique et écologique comme sur le plan démocratique. Il faut mettre à bas le type de construction européenne faite à ce jour, rejeter les traités européens, démanteler les institutions actuelles pour ouvrir un processus constituant pour une nouvelle Europe des travailleurs et des peuples.
Contre le militarisme et l’impérialisme, pour la coopération des peuples
Alors que tous les gouvernements prêchent et imposent rigueur et austérité à la population, les dépenses militaires, ce gaspillage éhonté, ne cessent de progresser. Le développement de l’économie de marché et du libéralisme à l’échelle mondiale à un niveau jamais vu s’accompagne d’une montée du militarisme, du maintien du monde dans un état de guerre chronique. Pour s’assurer le contrôle des sources d’approvisionnement en matières premières, en pétrole, comme celui des circuits des échanges, pour maintenir leur domination contre les peuples et tenter de préserver un équilibre mondial, que leur politique déstabilise en permanence, les USA et leurs alliés regroupés dans le cadre de l’OTAN accroissent leur pression militaire. Au cœur de cet affrontement, l’Afghanistan est le théâtre d’une guerre sans fin, comme encore en Irak ou au Moyen-Orient contre le peuple palestinien.
Nous ne voulons pas payer pour leurs guerres impérialistes, nous voulons mettre fin à ce gaspillage humain et à ces destructions. Nous plaçons au cœur de notre combat la lutte contre la guerre, pour le retrait de toutes les troupes d’Afghanistan, pour une paix démocratique qui respecte le droit des peuples. L’Europe qui naîtra de la convergence des luttes sera une Europe de la paix, une Europe de la coopération des peuples pour mettre fin au militarisme.
3 – Exproprier le secteur financier, socialiser le crédit au service des besoins sociaux
Ce sont «les marchés», c’est-à-dire les grandes banques internationales et les fonds de placement, qui dictent les plans d’austérité contre les peuples : «garder sa notation» tient lieu de boussole aux gouvernements. Personne ne conteste plus ce constat. Mais les positionnements politiques et sociaux changent du tout au tout. Pour les défenseurs du capital «la dette doit être honorée», car l’endettement serait la preuve du «laxisme» des gouvernements et du «poids insupportable» des «transferts sociaux». Pour nous la dette est illégitime. Les salariés ne doivent pas la reconnaître. Ils ne doivent pas la payer.
Aux origines de la crise
La crise actuelle est celle des dispositifs mis en place pour résoudre la crise précédente des années 70. Libérés de toute contrainte du fait des décisions prises par les gouvernements depuis les années 1980, les capitaux financiers circulent en temps réel et de manière continue sur toute la planète. Les travailleurs et les systèmes de protection sociale sont ainsi mis brutalement en concurrence. C'est au nom de la compétitivité que des normes de rendement de 15% des capitaux employés pour les actionnaires ont pu être imposées. Le secteur financier est aussi, le vecteur principal de l'accroissement inouï des inégalités à l'origine d'un retour en force des rentiers : en 2007, plus du quart de la fortune des 400 personnes les plus riches au monde provenait ainsi directement de la finance et, dans les pays capitalistes avancés, ce sont les 1% les plus riches qui ont vu leurs revenus s'envoler au cours des vingt dernières années. Ainsi, en France, entre 1998 et 2005, les revenus de 90% de la population n'ont quasiment pas bougé (+4, 9%). Par contre, ceux des 1 % les plus riches ont progressé de 19, 4%, ceux des 0, 1% les plus riches de 32% et ceux des 0, 01% les plus riches de 42, 6 % !
Mais, la financiarisation des économies, l’augmentation des dettes des particuliers, des entreprises et des États, depuis les années 1980 sont aussi un des symptômes de l'épuisement du capitalisme. C'est aussi une sorte de fuite en avant alors même que l'accumulation réelle du capital est rendue plus difficile par l'intensification de la concurrence des capitalismes brésilien, russe, indien et chinois (pays connus sous le nom de BRIC). L'accumulation du capital financier a aussi un caractère fictif : les titres financiers qui s'amoncellent correspondent à des reconnaissances de dettes qui ne pourront jamais être honorées. C'est ce que révèle la déconnexion entre le rythme très rapide de croissance des marchés financiers et celui, bien plus lent, auquel a progressé la production de marchandises.
Les crises financières, plus violentes à chaque fois, se multiplient depuis deux décennies. Elles découlent du caractère partiellement fictif de cette énorme baudruche financière qui menace à tout instant de crever. Pour l'empêcher, les États sont sommés par les capitalistes d’intervenir de plus en plus massivement à chaque fois en faisant payer à la population les promesses insensées qui ont été faites aux détenteurs de titres financiers.
En 2008-2009, l'intervention publique s'est effectuée à une échelle inédite – mobilisant, tous dispositifs confondus, des sommes de l'ordre de 10% du PIB des pays du G8 et de bien plus encore en Chine. Et cela sans aucune contrepartie significative en termes de contrôle sur les banques ou de réglementation des marchés. Leur arrogance n'a aucune limite. Moins d'un an plus tard, les grandes institutions ont lancé des attaques spéculatives contre la dette de plusieurs pays européens. Il s'agit maintenant de faire payer cash aux populations – par des cures d'austérité drastiques – les sommes que les gouvernements ont engagées quelques mois plus tôt pour sauver le système financier.
Il y a urgence à prendre le contrôle du secteur financier. Il faut en finir avec les diktats imposés aux peuples. Un gouvernement au service des travailleurs et de la population, s’appuyant sur leur mobilisation, leurs organisations à travers des comités démocratiques en particulier dans les secteurs des banques et de la finance prendrait trois mesures clés qui permettraient d'atteindre un tel objectif : l'annulation de la dette illégitime, la socialisation du système de crédit et le contrôle des capitaux.
L'annulation de la dette publique illégitime
La dette publique n'a cessé de progresser depuis les années 1980. En France, elle est ainsi passée de 20 % du PIB en 1980 à 64% en 2007, bondissant à 77, 1 % en 2009 avec la crise. Cette hausse de l’endettement public provient d'un mécanisme simple : les gouvernements commencent par emprunter auprès des actionnaires et des riches qu’ils renoncent à taxer, avant de les protéger ouvertement de l’impôt comme Sarkozy. Le service des intérêts opère ensuite un transfert de richesse au bénéfice des détenteurs des titres de la dette et renforce ainsi leur pouvoir économique et politique. En 2008, le seul paiement des intérêts de la dette représentait 45 milliards d'euros, l'équivalent des trois-quarts du budget de l'éducation nationale.
Les gouvernements ont soumis les finances publiques aux diktats des banques, des fonds d’investissements et des agences de notation. La BCE a été conçue dans cette perspective de protection des intérêts des rentiers. La dette accumulée depuis les années 1990 est une création du capital financier et des gouvernements qui le servent.
En finir avec la soumission volontaire des gouvernements face aux banques et aux fonds de placement financier passe par l'annulation de la dette illégitime.
L’essentiel de la dette est détenu par des banques et fonds d’investissement qui doivent être nationalisés. Il est possible d’annuler la dette illégitime tout en garantissant une pension aux ménages modestes qui détenaient des titres publics.
La socialisation du système du crédit
Une telle annulation de la dette sape les bases de la domination des grandes institutions financières. Il n'est évidemment pas question de venir les sauver une nouvelle fois, mais au contraire, de mettre en œuvre une appropriation publique et sociale complète du système de crédit. Cette socialisation vise à mettre en place un véritable service public bancaire décentralisé et démocratiquement contrôlé.
Le contrôle sur la circulation des capitaux, une nécessité pour tous les travailleurs et la population d’Europe
La socialisation du crédit est indissociable du contrôle de la circulation des capitaux et donc des places financières. Elle implique la fermeture des bourses et le contrôle des échanges monétaires. Une telle politique qu’engagerait un gouvernement démocratique des travailleurs ne signifie nullement en repli sur les frontières, un isolement national.
Quel que soit le pays où les travailleurs parviendront les premiers à se mettre en position de ne pas payer la dette illégitime et de socialiser le crédit, les mesures seront accueillies avec enthousiasme par ceux des autres pays. Les formidables mobilisations répétées en Grèce, les appels des syndicats à la grève générale au Portugal, en Italie, le sentiment de révolte profond qui s’est manifesté en Roumanie en attestent. Dès lors qu'il s’agit d’aller vers une Europe des travailleurs, tout gouvernement de rupture anticapitaliste devra se protéger contre la fuite des capitaux.
4 - Engager une transition écologique et sociale en rupture avec le capitalisme et le productivisme
La grande crise que nous traversons est une crise globale : économique, sociale, mais aussi écologique et civilisationnelle. Les réponses proposées doivent être aussi globales. La transition écologique et sociale que nous défendons vise à mettre au cœur du fonctionnement des économies la satisfaction des besoins humains individuels et sociaux dans le respect des équilibres écologiques de plus en plus menacés.
La crise écologique en cours résulte en premier lieu du fonctionnement même du capitalisme et de sa fuite en avant destructrice. Les atteintes portées aux écosystèmes comme les perturbations des grands cycles régissant la biosphère – comme celle du cycle du carbone à l’origine du changement climatique en cours – menacent la pérennité de nombreuses activités humaines qui reposent sur leurs bases.
Si la «chasse passionnée» au profit est le moteur de la croissance au sein du capitalisme, la mise au centre des problèmes de besoins et de sauvegarde des conditions écologiques de la reproduction sociale suppose de rompre avec le productivisme tout en mettant fin dans le même mouvement au chômage structurel. L’enjeu est de sortir d’une situation où la fuite en avant productiviste refuse à beaucoup de femmes, hommes et enfants plus que des moyens de survie. Notre projet s'inscrit dans une logique de «bien vivre» et vise à donner à chacun la possibilité de participer à la production sociale au lieu d’en être marginalisé. Cette transition suppose de s’attaquer aux mécanismes d'oppression inhérents aux rapports sociaux capitalistes : l'exploitation par laquelle les détenteurs du capital s'approprient le fruit de notre travail ; la soumission à l'autorité patronale et la manipulation de nos désirs par la publicité ; la concurrence qui nous oppose les uns aux autres tant au sein d'un même établissement que d'un bout à l'autre de la planète ; les rapports impérialistes sur lesquels sont fondés la production d’énergie notamment le pétrole (Total), l’uranium (Areva)] exigée par les modes de transport, d’habitat et de consommation qui nous sont actuellement imposés.
La rupture avec le capitalisme vers le socialisme repose sur la construction d'autres relations entre les êtres humains et de ceux-ci avec la nature. Il s'agit d'établir une démocratie étendue notamment à la sphère économique : les travailleurs doivent se saisir de la gestion des entreprises ; les citoyens doivent décider des grandes orientations de l'évolution des économies. Cette démocratisation économique implique une socialisation des grands moyens de production et de services ainsi que la mise en place de mécanismes de planification démocratique. Dans l’agriculture, il faut donner aux petits et moyens paysans les moyens de sortir de formes de production agricole dont les fortes difficultés qu’ils subissent aujourd’hui sont l’expression. Ils connaissent mieux que quiconque ce qu’il faudrait faire au plan agronomique. Ce sont les conditions économiques et politiques qui leur font défaut, celles qui les libéreront des diktats du marché mondial et du productivisme. Dans tous les domaines, la transition vers le socialisme reposera sur la libération des potentialités créatrices, sur le développement des expériences d'autogestion et des communs, à tous les niveaux de la société du local au national.
Un plan de transformation économique, écologique et sociale
L’arrêt des licenciements, la réduction du temps de travail, l’égalité hommes-femmes sur le plan salarial et du partage des tâches, sont autant de mesures qui doivent obligatoirement s’accompagner d’un «plan de transformation économique, écologique et sociale». La libéralisation et la mondialisation rendent ce plan impératif. La lutte contre le réchauffement climatique, contre la réduction accélérée de la biodiversité, les processus insidieux d’empoisonnement radioactif et chimique (liste non limitative) tout autant.
Les grands groupes industriels et de services ne font aucun mystère du fait que ce qu’il leur importe le plus est de situer leurs nouveaux investissements en Chine et en Inde, d’accepter la production locale de composants pour gagner des appels d’offre, de sous-traiter aux entreprises de pays à bas salaires chaque fois qu’ils le peuvent, jusqu’aux travaux d’ingénierie dans l’aéronautique. Leur logique est clairement incompatible avec une relocalisation des productions et encore moins avec une gestion durable et économe des ressources: même les maigres avancées du Grenelle de l’environnement ont été balayées par le poids des lobbies industriels qui ne peuvent supporter qu’une norme sociale ou environnementale entrave leurs profits.
Il n’y a que les salariés et les paysans petits et moyens eux-mêmes qui peuvent assurer l’existence, en France et en Europe, d'un outil de production garantissant l’emploi de toutes et tous, placé au service des besoins sociaux, basé sur de bonnes conditions de travail, ne gaspillant ni l’énergie, ni les matières premières ni le temps de travail humain, et préservant les équilibres écologiques. C’est la course au profit qui a façonné depuis trente ans l’organisation spatiale du travail dans l’espace français et européen et la division internationale du travail dans l’espace mondial. Les unités de production ont été disloquées entre la sous-traitance et les délocalisations, les travailleurs ont subi la précarité, les transports ont explosé, les pollutions ont été occultées. La reconstruction de filières industrielles réintégrant la chaîne de fabrication et les services associés sur un même lieu permettrait de combiner stabilité de l’emploi, visibilité et contrôle sur la production et les nuisances, réduction des transports. La transformation écologique et sociale dont les salariés et les paysans seront les protagonistes devra donc s’accompagner d’importantes relocalisations.
Les issues à la crise conjointe, sociale et écologique, sont d’abord politiques. Au plan industriel et technologique, il s’agit de mettre les «travailleurs associés», en position de construire les nouvelles interconnexions entre l’emploi, la sortie du nucléaire et des productions polluantes et la transition vers les énergies alternatives, la réorganisation des villes et des transports, la construction de logements sociaux à basse consommation énergétique, les services publics (éducation, santé, transports, eau …), la sortie des systèmes agricoles très polluants et à haute intensité d’émissions de gaz à effets de serre, l’évolution des habitudes alimentaires, etc.
La transformation économique, écologique et sociale prendra appui sur toutes les expériences régionales et locales. Mais son cadre sera nécessairement coordonné au niveau national et aussi vite que possible européen. À ces deux niveaux, des mécanismes de planification démocratique pour les principaux secteurs de l’économie et de la production devront être mis en œuvre dans une perspective de coopération internationale des peuples.
En effet, le fonctionnement désordonné et à court terme de la coordination économique par le marché ne peut pas rendre cohérente une telle transition. L'interdépendance entre les diverses dimensions des changements engagés doit être organisée : relocalisation des économies, transformations progressives du logement, des transports, des investissements industriels et agricoles, des infrastructures, de l'énergie. Il faut pouvoir établir des priorités, par exemple favoriser le développement des transports collectifs et des modes de déplacements non polluants. À un autre niveau, un maillage des territoires garantissant l'accès de l'ensemble de la population aux services de santé (prévention et soins) se construit dans la durée et nécessite des investissements et des politiques de formations adéquates.
Les mécanismes du marché sont incapables de faire émerger efficacement de tels choix qui engagent le long terme. Dans le cadre des échanges marchands, nul n'est incité à se préoccuper des conditions de la production des biens et services qu'il consomme sauf sur un mode culpabilisateur des individus pris séparément et qui vise à dédouaner les véritables responsables exploiteurs et pollueurs. Inversement, les débats publics qui accompagneraient des processus de planification ouverts participeraient au contraire d'une politique des modes de vie poussant les individus à intégrer dans leur comportement les intérêts de la communauté étendue, c'est-à-dire y compris les générations futures.
Développer l’auto-organisation et les expériences d’autogestion
Dans tous les domaines, sur tous les terrains, la transformation sociale repose sur l’auto-activité des travailleurs et de la population. Nous encourageons en particulier toutes les formes d’auto-organisation ouvrière, de l’assemblée générale souveraine au comité de grève et aidons à développer chaque fois que les conditions sont réunies, toutes les expériences basées sur l’auto-activité des collectifs de salariéEs, de producteurs ou de citoyens dans tous les domaines de la production matérielle ou intellectuelle. L'ensemble des expériences socio-économiques autogérées et décentralisées doit ainsi être soutenu et renforcé: prise de contrôle d’entreprises en faillite par les salariés, mais aussi création de coopératives de production ou de services, de structures rapprochant producteurs et consommateurs, ou encore création de nouveaux biens communs sociaux comme les logiciels libres.
Dans le cadre du capitalisme, ces initiatives sont menacées en permanence d’être récupérées et normalisées. Leur développement n’en constitue pas moins un enjeu important qui doit être pensé non comme une alternative au mouvement ouvrier et citoyen mais comme une partie de celui-ci: il s'agit en effet de cadres qui échappent – au moins partiellement – aux logiques capitaliste, productiviste et à la verticalité du pouvoir étatique. De même, nous tentons de susciter et soutenons les processus d’autogestion ouvrière que les vagues de licenciements et de fermetures d’entreprises remettent à l’ordre du jour. La question de la récupération d’entreprises par leurs travailleurs eux-mêmes, de la poursuite ou reprise de la production en autogestion, pourra être de plus en plus fréquemment posée – comme cela avait été le cas dans l’Argentine post-2001.
Ces expériences sont doublement importantes. D'abord, parce qu'elles constituent des démonstrations certes limitées, mais concrètes, que des relations économiques efficaces peuvent se lier entre les êtres humains qui ne soient ni celle de la redistribution bureaucratique et ni celle de la concurrence capitaliste. Ensuite, parce qu'il s'agit d'une formidable source de créativité et d'invention sociale, permettant de tester et d'inventer des procédures de coopération, d'en mettre en évidence les limites et les forces.
Nous devons entretenir des relations avec ces secteurs qui remettent en cause la logique marchande, afin d’en nourrir notre projet d’une société basée sur d’autres rapports sociaux et écologiques de production mais aussi afin d’amener la contestation politique du capitalisme et la nécessité d’une véritable démocratie des producteurs-citoyens au cœur de ces démarches d’autogestion.
Nous avançons les revendications de maîtrise collective de l’organisation du travail, la contestation du pouvoir du patronat sur la production, la réquisition et la prise de contrôle des outils de productions et des profits.
Dès à présent, des mesures de soutien conditionnel – sur la base de critères sociaux et écologiques – à ces secteurs non soumis à la logique du profit doivent être envisagées, notamment en termes de fiscalité, de soutien logistique, d'accès aux infrastructures et de commandes publiques. Dans le cadre de la transition, il faudrait favoriser leur montée en puissance et organiser leur articulation aux activités planifiées.
La planification socialiste écologique et démocratique
La planification démocratique doit permettre à la société de définir ses objectifs concernant l’investissement et la production à l’intérieur d’un secteur donné de l’économie, comme entre les différents secteurs en prenant en compte les impératifs de respect de l’environnement, de coopération internationale, de respect des conditions de travail de tous et des droits démocratiques.
Dans la même logique, nous nous battons pour une sécurité sociale autogérée permettant aux assurés sociaux de prendre collectivement les décisions concernant leur salaire socialisé. C’est le sens de notre combat pour une sécurité sociale institution du salariat, dont les caisses seraient gérées uniquement par les représentants des assurés élus , sans présence des patrons ni intervention de l’Etat, et où toutes les grandes décisions à chaque niveau seraient directement soumises aux assurés sociaux.
La production et la consommation doivent être organisées rationnellement non seulement par les «producteurs» mais aussi par les usagers-citoyens et, de fait, par l’ensemble de la société, soit la population productive ou «non productive» : étudiants, jeunesse, retraités, etc. Les prix des biens eux-mêmes ne répondraient plus aux lois de l’offre et de la demande, mais seraient déterminés autant que possible selon des critères sociaux, politiques et écologiques; de plus en plus de produits et de services seraient distribués gratuitement. L’évitement du gaspillage et les contraintes écologiques conduisent cependant dans une série de cas à combiner la gratuité d’une quantité de base, garantissant à chacun un doit effectif au bien suffisant, et la taxation de la consommation du surplus.
Le caractère démocratique de la planification s’appuiera sur le partage et l’extension des savoirs dits «experts» établis de manière contradictoire au cours du processus démocratique de prise des décisions. Par exemple concernant la réponse aux besoins alimentaires, énergétiques, de déplacement, de qualité de vie… la connaissance concrète et partagée des conditions écologiques et agronomiques de la production et de leurs limites devra être à la base des débats et des décisions.
Il y aurait, bien entendu, des tensions et des contradictions entre les établissements autogérés et les administrations démocratiques locales et d’autres groupes sociaux plus larges. La planification socialiste doit être fondée sur un débat démocratique et pluraliste, à chaque niveau de décision.
L’émancipation que nous visons est indissociablement collective et individuelle. Comme Marx et Engels dans «le manifeste communiste», nous souhaitons bâtir une «association où le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous». Le socialisme du XXI siècle verra se développer l’autonomie individuelle dans le cadre de rapports de solidarité.
Sortir de la crise, c’est aller vers le socialisme du XXIe siècle
Tout le monde sent bien l’urgence de la situation. Le basculement historique que représente la crise globale du capitalisme exige des réponses radicales pour beaucoup inédites.
La rupture avec l’économie de marché, avec la concurrence et le productivisme capitaliste, le développement d’une planification démocratique permettant aux hommes et femmes de prendre leur destin en main ne se fera pas d’un seul coup. Une phase de transition où l’avenir le disputera au passé, est inévitable. Il n’y a pas de sortie possible de la crise sans une lutte radicale pour le pouvoir démocratique de celles et ceux qui produisent les richesses tant matérielles que culturelles, sans une lutte pour un autre monde, celui du partage et de la communauté des biens, de la coopération des peuples, de la liberté et de l’émancipation humaine, la lutte pour un monde socialiste. Cette perspective suppose de concilier le développement humain avec l’impératif écologique.