Par J.C.Laumonier. Commission Nationale Santé Sécu Social du NPA.
Introduction
Les attaques contre la Sécurité Sociale s’accompagnent d’une offensive convergente vis-à-vis de l’Hôpital Public. « Sécu » et Hôpital sont en effet les deux piliers indissociables d’un système de soins qui s’est construit, en France à partir de 1945.
L’Hôpital, issu des institutions charitables du Moyen Age, portait assistance à ceux qui n’avaient pas les moyens de payer leurs soins. Grâce à la Sécurité sociale, il s’est transformé, en pivot du système de santé, permettant à chacunE, d’accéder à des soins de qualité.
L’essor de la Sécurité sociale, au cours des années de boom économique de l’après guerre a favorisé de développement de l’Hôpital Public : (construction et modernisation des équipements, recrutement et qualification du personnel, instauration du « temps plein hospitalier » pour les médecins). Chaque assuré social, riche ou pauvre, a ainsi pu bénéficier des progrès considérables des outils de diagnostic et de traitement, et des compétences des meilleures équipes de soins.
C’est la raison de l’attachement persistant à l’Hôpital que démontrent tant enquêtes d’opinion, que les multiples luttes contre les fermetures et restructurations d’établissements
La fin de la phase expansive d’après guerre , dans les pays capitalistes d’Europe, s’est accompagnée de politiques libérales d’austérité
Celles-ci poursuivent un triple objectif.
- restaurer les profits en « baissant le coût du travail ». Cela passe, en particulier, par la réduction des cotisations sociales et des impôts payés par les entreprises, pour le financement des dépenses publiques socialisées.
- Ramener la satisfaction de besoins sociaux fondamentaux comme l’éducation ou la santé, à une question individuelle Au-delà d’un minimum nécessaire à la reproduction de la force de travail et à la cohésion sociale, chacun y répondrait en fonction de ses moyens.
- privatisatiser les services publics en offrant ainsi de nouveaux débouchés aux capitaux en quête d’investissement.
On trouve là les clés pour comprendre contre réformes de l’Hôpital, menées de manière continue, par les gouvernements « de droite » comme « de gauche », qui se sont succédés au cours des 40 dernières années :
L’Hôpital a été en première ligne de la politique dite de « maitrise des dépenses de santé ». Des gouvernements de R.Barre (1978) à ceux de Manuel (Valls 2014), la contrainte sur les budgets hospitaliers se renforce, chaque nouvelle « réforme hospitalière » créant des outils nouveaux à cet effet.
L’austérité budgétaire s’accompagne d’une réduction de la place prépondérante de l’Hôpital Public dans le système de santé.
Ce déclin organisé s’exprime clairement dans les chiffres : la part de l’Hôpital dans les dépenses d’Assurance Maladie qui était de 43% en 1983, est passée à 36% (-7%) en 2010.
Comme le préconise l’Union Européenne, il s’agit de ramener le service public de santé à ses missions traditionnelles d’assistance aux plus pauvres et à quelques missions non rentables, laissant la place au secteur privé là où des profits peuvent être réalisés.
Mon intervention abordera les 2 points suivants :
1) Un rappel sur le système hospitalier français et sa place dans le système de soins et un bref historique des réformes hospitalières jusqu’à la loi de santé (dite loi Touraine), actuellement en discussion au Parlement.
2) Une présentation des différentes modalités de la privatisation du système hospitalier et des conséquences de cette marchandisation et de cette privatisation pour les usagers, que pour les personnels.
I. Rappels sur l’organisation du systéme hospitalier historique des contre réformes
- Quelques rappels sur l’organisation du système de santé français.
A) Les limites de 1945 : le cloisonnement Ville/Hôpital.
La création de la Sécurité sociale, ne s’est pas accompagnée de la création d’un service public de santé unique assurant à la fois les soins « en ville » et à l’Hôpital.
Les soins de ville, sont restés, pour l’essentiel assurés par des médecins libéraux généralistes ou spécialistes. Le service public (à part le secteur psychiatrique, la PMI et un réseau restreint de centres de santé publics) s’est cantonné à l’Hôpital.
Néanmoins, par le biais des urgences, l’Hôpital permettait à tous, l’accès à des soins gratuits.
B) Les 3 types d’établissements hospitaliers.
Le secteur hospitalier lui-même, se compose de 3 types d’établissements, tous financés, essentiellement par la Sécurité sociale.
- Les hôpitaux publics, dont le personnel médical et non médical a un statut public (même si la précarité s’y est beaucoup développée). Ils constituent un réseau très large, allant des hôpitaux locaux et des centres hospitaliers de proximité, aux CHU en passant par les établissements de psychiatrie publique.
- Les établissements privés à but « non lucratif », de statut associatif ou mutualiste auxquels appartiennent, notamment, les Centre de lutte contre le Cancer (CLCC). Ces établissements n’ont pas d’actionnaires. Leur personnel relève de conventions collectives .
- Les établissements privés «à but lucratif », ou établissements commerciaux. Ce sont des entreprises privées qui versent des dividendes à leurs actionnaires. Leurs médecins y sont, pour l’essentiel, des praticiens libéraux, et leur personnel non médical relève de conventions collectives.
C) Quelques données pour situer la place de l’Hôpital.
Capacités d’accueil des établissements de santé
| Public | Privé non lucratif | Privé lucratif | Total |
Nombre d’établissements | 931 | 699 | 1030 | 2660 |
Nombre de lits | 258 158 soit 62,23% | 58 137 soit 14% | 98 545 soit 23,75% | 414 840 |
Source : panorama des établissements de santé 2014
DRESS Ministère de la santé
Nombre d'entrées totales en hospitalisation complète et de semaine
Année 2012
Source : site de la FHF
Espic : Etablissement de Santé Privé d’Intérêt Collectif (privé non lucratif)
Nombre de journées d’Hospitalisation complète et de semaine
Année 2012
Source : site de la FHF
Nombre de consultations et soins externes
SAE 2011
Année 2012
Source : site de la FHF
Même, en déclin, l’Hôpital conserve une place déterminante dans le système de soins., et est donc un obstacle majeur à sa privatisation
- L’Etat intervient pour imposer l austérité budgétaire et réduction de la place de l’Hôpital
La volonté de maîtrise des dépenses hospitalières publiques a inspiré les réformes qui se sont succédées depuis 1979, date à laquelle une loi instaure la possibilité de fermeture de lits par autorité du ministre de la santé.
.
A) 1983 : budget global et forfait journalier
En 1983, un gouvernement socialiste, avec un ministre communiste à la Santé, institue le « budget global ». Chaque établissement reçoit, désormais, une enveloppe budgétaire fixée à l’avance, en fonction d’un « taux directeur ». Il devra y faire entrer l’ensemble de ses dépenses.
Cette réforme concerne, exclusivement, les hôpitaux publics.
Elle s’accompagne de l’instauration du « forfait journalier », contribution quotidienne non remboursée par l’Assurance maladie, dont le patient (ou son assurance complémentaire) doit s’acquitter. Une brèche est ainsi ouverte dans la gratuité des soins hospitaliers. Le forfait journalier n'a cessé d'augmenter est aujourd’hui de 18€, hors la psychiatrie où il est de 13€50
B) La loi Evin de 1991 , autonomie des établissements et outils pour restructurer.
Cette loi constitue un premier pas vers l’autonomie des établissements publics, qui devront désormais se doter d’un « projet d’établissement ».
Elle instaure les Schémas Régionaux d’Organisation Sanitaires (SROS), renouvelable tous les 5 ans, sur la base desquels les préfets pourront fermer des lits et restructurer les établissements.
Elle permet le développement de « coopérations » public et privé, par la création de GIE1 et de GIP2.».
C) Le « Plan Juppé » : maitriser pour privatiser.
Je ne reviendrai ici que sur le volet hospitalier du Plan Juppé.
Celui-ci comporte deux grandes innovations :
- le vote d’une enveloppe nationale fermée des dépenses hospitalières dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale (ONDAM3 hospitalier)
-la création des ARH (Agences Régionales de l’Hospitalisation).
Officiellement la maitrise des dépenses dans une enveloppe fixée, chaque année au parlement par le vote du PLFSS4 concerne les soins de ville et l’Hospitalisation. Dans la réalité il ne s’appliquera qu’au secteur hospitalier. L’ONDAM hospitalier est toujours resté inférieur aux besoins . Il ne permet même n’a pas de maintenir les moyens existants .
Pour imposer l’austérité budgétaire, et les restructurations, la réforme Juppé se dote d’un véritable « bras armé » : les ARH (Agences Régionale de l’Hospitalisation) dont le directeur détient les pleins pouvoir pour attribuer les budgets et les autorisations, fermer les établissements, imposer les regroupements et les privatisations. l’ARH a autorité tant sur les établissements publics que privés.
Le plan Juppé illustre de manière particulièrement nette le rôle de la restriction par l’Etat des dépenses publiques et du service public, comme préalable et outil des privatisations.
Contrairement à ce qu’affirmaient à l’époque les soutiens prétendument« de gauche » de Juppé, celui-ci n’avait pas pour fonction de « sauver » l’Hôpital et le système public de soins. Selon eux, une une « maîtrise » certes douloureuse des dépenses publiques de santé par l’Etat aurait été le seul moyen d’éviter une croissance incontrôlable de celles-ci. En détruisant le système public cette dérive libérale aurait ouvert la voie à sa privatisation.
La régulation étatique imposée par les ordonnances Juppé, doit être à mon sens comprise de manière exactement inverse : en réduisant la place de l’Hôpital et des dépenses socialisées elles permet d’ouvrir la voie à un espace plus large, aux établissements privés lucratifs et aux assurances.
Nous pourrons peut être revenir sur cette question dans la discussion, car ce débat se poursuit aujourd’hui face à la loi Touraine. Des défenseurs reconnus de l’Hôpital Public, tels qu’A. Grimaldi, prônent en effet la régulation du système de soins public par l’instauration d’un « panier de soins » remboursé intégralement par la Sécurité sociale, comme seul moyen de "sauver" l'Hôpital et la Sécu.
D) Jospin/Aubry appliquent le plan Juppé et instaurent les 35 heures
Suite aux élections de 1997, c’est le gouvernement Jospin, avec Martine Aubry aux affaires sociales qui mit en œuvre le plan Juppé, et poursuivit les restructurations. Kouchner, ministre de la santé de l’époque ne déclarait-il pas que ce plan était un horizon « indépassable »?
Il faut dire ici quelques mots du conflit sur les 35h, dernière grande lutte nationale des personnels hospitaliers, qui en 2001 2002 percuta la politique d’austérité.
Dans des établissements où le manque de personnel était déjà criant, le passage aux 35 heures, sans les 10% d’embauches correspondantes ne pouvait que créer une situation de crise.
Après bien des hésitations, le gouvernement Jospin décida d’appliquer les 35h à l’Hôpital, mais tenta par tous les moyens de limiter les embauches
Malgré la forte mobilisation dans les établissements, et la pression de la base qui imposa plusieurs manifestations nationales à Paris. Les directions des principales fédérations syndicales parvinrent à canaliser la lutte vers des accords locaux, plus ou moins favorables selon les rapports de force.
En l’absence de recrutement suffisant l’application des 35 heures aboutit à une intensification du travail, à la dégradation des conditions de travail, et à une dénaturation du travail lui-même. Les journées de RTT furent la seule compensation tangible pour les hospitaliers. On comprend leur détermination à les défendre aujourd’hui.
Depuis cette époque, la droite, mais aussi une partie du PS, et les directions hospitalières n’ont cessé de dénoncer les 35 heures, comme responsables de la crise de l’Hôpital. Elles détournent ainsi l’attention de la véritable question : celle du manque de personnel conséquence de l’austérité et non de la réduction du temps de travail.
E) Le plan Hôpital 2007 :
Le second mandat de J.Chirac (2002 2007) est marqué par une brusque accélération des contre réformes hospitalières sous le nom de « Plan Hôpital 2007 » réparti dans plusieurs textes.
Les différents volets de ce plan (investissements, organisation sanitaire, nouvelle tarification, réforme de la « gouvernance » hospitalière) ont transformé rapidement le paysage hospitalier.
- Investissements : des crédits pour restructurer
« Hopital 2007 » a été présenté avant tout comme un plan d’investissements massifs, en vue de rénover un parc hospitalier de plus en plus vétuste.
Mais à y regarder de plus près, les investissements en question s’inscrivent dans une perspective de privatisation et de restructurations.
Ils sont accordés tant aux établissements privés que publics et en contrepartie de l’acceptation de restructuration, fusions, ou de la mise en place de coopérations public privé.
De plus, il ne s’agit pas directement de financer les travaux dont les établissements ont besoin, mais de les aider à rembourser les emprunts contractés auprès des banques. En d’autres termes, les aides apportées contribuent à alimenter les profits des banques dont les établissements restent dépendants. Elles ne financent pas la totalité des travaux et contraignent donc les hôpitaux à s'endetter davantage (nous y reviendrons).
- Tarification à l’activité : marchandisation du soin et mise en concurrence des établissements
L’un des aspects déterminants de la réforme est l’instauration d’un nouveau mode de financement des établissements commun au public et au privé :la « tarification à l’activité » dite « T2A », qui remplace, dans les Hôpitaux publics, le « budget global ».
La T2A institue une conception « industrielle » de l'Hôpital. Celui-ci cesse de recevoir un budget censé lui donner les moyens de remplir au mieux ses missions.
Chaque établissement public ou privé est désormais financé en fonction de sa production d’actes de soins, et de la rentabilité de cette production.
Chaque séjour de patient est facturé à la Sécurité sociale selon un coût standard prédéfini pour la pathologie.
Il faut donc à la fois
- que l’Hôpital produise un volume suffisant d’actes
- que le prix de revient de chaque acte ne soit pas plus élevé que le tarif fixé, et pour cela il faut diminuer les coûts donc faire plus avec moins.Les dépenses de personnel qui représentent 70 à 80% des dépenses hospitalières sont les premières visées par cet effort de "productivité"
Ce systéme est une incitation à la sélection des malades et à celle des pathologies soignées.
- Mieux vaut accueillir un patient jeune, et par ailleurs en bonne santé , qu’un patient âgé dont l’état de santé général est dégradé : son séjour sera plus court, et nécessitera moins de temps de travail soignant.
- A l’inverse, la multiplication d’actes coûteux et bien remboursés, même s’ils sont redondants ou inutiles s’avère être une affaire lucrative.
Aussi, les cliniques privées, mais désormais aussi les hôpitaux publics, se dotent ils d’experts en cotation des actes afin de les facturer le plus cher possible à la Sécurité sociale.
La mise en concurrence de l’Hôpital et des cliniques privées commerciales joue inévitablement en faveur des établissements commerciaux, qui ont une activité programmée, et ne sont donc pas obligés de maintenir des lits, des équipements et du personnel disponible pour l’urgence ou l’imprévu. Ces établissements ont toute possibilité pour sélectionner les créneaux les plus rentables pour leur activité ainsi que pour renvoyer vers l’Hôpital les patients dont les coûts sont jugés trop élevés.
Les missions de service publics, ne sont pas prises en compte, les hôpitaux étant désormais financés à 80% par la tarification à l’activité.
Financement des investissements et « nouvelle gouvernance : l’Hôpital entreprise
Soumis à la concurrence du secteur privé, l’Hôpital doit désormais fonctionner sur le modèle de celui-ci .
- Pour financer ses investissements il devra comme une entreprise
- soit « dégager des marges » sur ses dépenses de fonctionnement en accroissant la productivité du travail, et donc en intensifiant le travail du personnel, recourant à des modes de gestion utilisés dans l’industrie, tels que le « lean management »
-soit s’endetter auprès des banques auxquelles il faudra ensuite rembourser les intérêts. Il n’est pas surprenant que la dette des hôpitaux ait triplé entre 2005 et 2015 et atteint 29 Mrd d’€ sur une masse budgétaire de 74 Mrd.
Dans ce cadre, un certain nombre d’établissements ont souscrit des emprunts toxiques, pour un montant estimé à 1,5 Mrd d’€ Ils se trouvent dans des situation financières critiques.
Une gestion d’entreprise
La « nouvelle gouvernance » cherche à transformer une partie du corps médical en « managers » impliqués dans les résultats de la gestion de l’Hopital
- Des médecins sont associés à l’équipe de direction administrative
- L’Hôpital est désormais divisé en « pôles » dont la gestion est confiée à un médecin « chef de pôle ».
La création des pôles permet par ailleurs d’instaurer la polyvalence généralisée du personnel au sein d’entités beaucoup plus vastes que les services, et donc de réduire les effectifs.
F) La « loi Bachelot » : des ARH aux ARS
La loi HPST, dite « loi Bachelot » votée sous N. Sarkozy complète le plan Hôpital 2007.
- Elle abolit totalement la distinction entre établissements publics et privés.
- Les Agences régionales de santé, remplacent les ARH
L’ARS garde l’autorité sur l’ensemble des établissements d’hospitalisation publics et privés qu’avait l’ARH . Mais son domaine de compétence s’étend désormais à la médecine de ville libérale et au secteur médico-social. L’ARS assure l’organisation et l’articulation dans la région de ces trois secteurs.
Disposant des « enveloppes budgétaires » de ces trois secteurs les ARS auront la possibilité de transférer les crédits accordés jusque là à l’hôpital à la médecine de ville ou au médico-social. L’opération inverse étant bien entendu exclue !
- Communautés hospitalières de territoires et « partenariats public/privé »
Afin d’accélérer la restructuration du secteur public hospitalier, la loi HPST prévoit la création de « communautés hospitalières de territoires ».. Le gouvernement entend également développer les « partenariats » entre établissements publics et privés, en confiant dans le cadre de « groupements de coopération sanitaire »
- • Durcissement de la « gouvernance » hospitalière
Les pouvoirs du directeur sont renforcés., C’est désormais lui seul qui a les compétences budgétaires Mais il est en même temps soumis aux exigences de l’ARS qui peut le relever de ses fonctions, s’il ne se montre pas assez « performant » dans la mise en oeuvre de l'austérité.
Les pâles contre-pouvoirs existant au sein de l’hôpital sont laminés. Comme dans une entreprise privée, la rémunération des directeurs et des médecins managers dépendra des « résultats » financiers de l’hôpital-entreprise.
G) De Bachelot à Touraine, continuité et accélération.
Lors de la campagne présidentielle de 2012, Hollande et Touraine avaient prévenu : ils n’abrogeraient pas la loi « HPST5 » Ce qu’ils n’avaient pas annoncé, , c’est qu’ils iraient plus loin encore que leurs prédécesseurs afin de mettre en œuvre une brutale politique d’austérité et de privatisation, qui s’est affirmée avec le « pacte de responsabilité ».
Tout en prétendant redonner sa place à l’Hôpital, la loi de santé dite « loi Touraine » aggrave par plusieurs aspect la loi Bachelot.
Alors que celle-ci avait aboli toute distinction entre les « établissements de santé » publics ou privés Hollande/Touraine avaient affirmé leur volonté de redonner à l’Hôpital Public une place particulière aux hôpitaux. Au-delà des effets d’annonce la réalité est bien différente.
Les trois lois de financement de la Sécurité sociale votées depuis 2012 n’ont fait qu’aggraver la situation des établissements hospitaliers. En 2013 et 2014 plus d’un milliard d’€ supplémentaires ont été ponctionnés sur les budgets de l’Hôpital Public Mais aujourd’hui c’est une « purge » beaucoup plus violente qui est en cours avec le « pacte de responsabilité ».
Malgré les dénégations de la ministre, un document confidentiel à usage des ARS révélé par « Libération »6, confirme bien les conséquences de cette politique sur les effectifs de établissements hospitaliers.
860 millions d’€ de « maitrise de la masse salariale » sont annoncés dans ce document. Ils équivalent à 22 000 suppressions de postes (soit 2% des effectifs de la fonction publique hospitalière) en 3 ans.
Le vrai faux retour du service public
Le projet de loi de santé (article 26) rétablit certes la notion de service public hospitalier qui avait disparu avec la "loi Bachelot". Dans la réalité, cela ne change pas grand chose puisque les cliniques privées commerciales7 sont autorisées à "assurer le service public"….à condition d’en remplir toutes les obligations,
Regrouper pour fermer et restructurer.
La loi Touraine (article 27) rend obligatoire au 1er Janvier 2016, l'adhésion de tout établissement public à un "Groupement Hospitalier de Territoire".
C’est la reprise sous un autre nom de la« Communauté Hospitalière de Territoires », de la loi Bachelot. Mais pour celle-ci, l’adhésion des établissements restait facultative. Avec la loi Touraine, les sanctions pour les récalcitrants seront lourdes : pénalités financières, ou même retrait de l'autorisation d'activité.
II. Une privatisation à multiples visages
La privatisation de l’Hôpital Public prend des formes multiples : c’est 3 de ces aspects que j’aborderai maintenant
- Tout d’abord le passage à des cliniques privées commerciales d’une partie des missions et activités de l’Hôpital Public. Elle s’effectue dans un contexte de transformation elle aussi très rapide de ces établissements.
C'est aussi le transfert d’une partie des missions et activités de l’Hôpital à d’autres acteurs privés : médecins libéraux, cabinets privés de radiologie, structures associatives ou « non lucratives » elles mêmes de plus en plus soumises à une logique marchande. C'est ce désengagement qu'organise la "loi Touraine", à la suite de la "loi Bachelot"
- C’est également la privatisation d’une partie des activités d’un hôpital (services techniques et logistiques) ainsi que les « partenariats public privé ».
- C’est enfin l’instauration d’un fonctionnement de l’Hôpital de plus en plus proche de celui du secteur privé, même si son statut juridique reste public. Nous en verrons les conséquences tant pour les usagers, que pour les personnels
1 L’hospitalisation privée : concentration et emprise croissante des groupes financiers
L’ouverture d’un marché plus large pour l’hospitalisation privée s’accompagne d’une rapide transformation de ce secteur. L’époque des petites cliniques, détenues par leurs médecins, leurs chirurgiens et/ou leur famille appartient de plus en plus au passé.
On assiste à un fort mouvement de concentrations des établissements privés commerciaux. Selon un rapport de l’IGAS de 2012 les groupes de cliniques rassemblent 600 des 1050 cliniques, et 68% des capacités d’accueil du secteur.8
Les apports de capitaux ponctuels des médecins et même les regroupements d’établissements s’avérant désormais insuffisants, les cliniques ont fait appel à des fonds d’investissements pour assurer leur développement.
Mais la logique de ces fonds n’est évidemment pas la réponse aux besoins de santé d’une population, ni même un investissement durable dans le secteur. Leur seule religion c'est le "cash", la rentabilité financière à court terme. Il en découle des opérations ayant souvent un caractère purement spéculatif et des mouvements d’achat et de vente très rapides, avec des conséquences désastreuses sur le système de santé.
L’exemple de la Générale de Santé, premier groupe d’hospitalisation en France est emblématique.
La Générale de santé s’est constituée pendant les années 80 par le rachat de petites cliniques. De 1997 à 2001 elle est contrôlée par le fonds d’investissement britannique CINVEN
Elle est ensuite rachetée par des actionnaires italiens pour être revendue et fusionner en 2014 avec Ramsay santé, groupe australien qui possède 151 établissements sur 3 continents, en association avec Prédica (Assurances du Crédit Agricole).
On peut également citer le groupe Medipartner/Médipole sud santé détenu par Bidgepoint (dont les investisseurs sont entre autres des caisses de retraites, des fonds de pensions, des fonds souverains et des sociétés d’assurances).
Vitalia est possédé à 100% par le fonds Blackstone, prédateur bien connu, notamment dans le domaine de l’immobilier contre lequel des mobilisations ont eu lieu en Espagne et aux USA.
Capio santé, est la propriété d’un groupe suédois, détenu par les fonds APAX et NORDIK CAPITAL.
A coté des fonds d’investissements, il faut ajouter le rôle des sociétés civiles immobilières, certains groupes de cliniques ayant fait le choix, de vendre leur patrimoine immobiliser, et d’en devenir locataires.
Les regroupements peuvent concerner des cliniques à but commercial et d’autres à but non lucratif, comme Hospi Grand Ouest qui regroupe 16 établissements de Bretagne et pays de Loire et associe le groupe HGO (cliniques commerciales) et des mutuelles (dont Harmonie Mutuelle et la mutualité Finistère Morbihan). On le voit, les frontières entre le « lucratif » et le « non lucratif » deviennent bien minces !
La pénétration du secteur privé lucratif ne s’effectue bien sûr que dans les secteurs rentables ou des profits sont attendus.
C’est ainsi que si les cliniques commerciales qui assurent 25% de l’activité hospitalière, réalisent 54% des actes de chirurgie dont essentiellement les actes les plus simples, et les plus lucratifs : 70% des opérations d’ablation des amygdales, et des végétations, près de 74 % des opérations de la cataracte et plus de 63% des interventions de chirurgie plastique. De même si elles assurent environ le quart des accouchements, cela concerne essentiellement les accouchements sans complications.
Aujourd’hui le secteur privé commercial investit dans le secteur particulièrement lucratif des personnes âgées dépendantes, que certains ont qualifié « d’or gris » : la rentabilité des capitaux y est particulièrement juteuse.
Ainsi, le Groupe Korian possède plus de 200 établissements en France, dont plus d’une centaine d’EHPAD et est également présent en Allemagne et en Italie
Medica possède 130 EHPAD et est également présent en Italie. Ce Groupe est coté en Bourse et ses principaux actionnaires sont Covéa (MMA MAAF GMF) Prédica (Crédit Agricole) , et Batipart.
En 2010 , la FHP (fédération de l’hospitalisation privée) qui regroupe les établissements commerciaux a adhéré au MEDEF, sur lequel elle s’appuie dans son combat contre l’Hôpital Public.
Le démantèlement du service public se fait aussi, par le transfert des activités de l’Hôpital Public, vers des praticiens libéraux, comme c’est le cas avec le prétendu remplacement des urgences des hôpitaux de proximité par des maisons médicales libérales, censées assurer la permanence des soins, de l’envoi vers le secteur (médico social (avec des coûts, et un encadrement très réduit) de patients jugés inadéquats dans des services de psychiatrie, ou de la suppression massive de lits de longs séjours gériatriques transformés en lits d’EHPAD , dont le coût est essentiellement à la charge du résident, de sa famille, ou des collectivités territoriales.
2 L’abandon de certaines activités hospitalières au privé et les « partenariats publics privés »
De plus en plus d’activités hospitalières, sont confiées au secteur privé, ce qui permet de réduire comme ailleurs le nombre d’emplois publics, mais pas nécessairement les côuts.
Les fonctions de nettoyage, de traitement du linge, de restauration, de surveillance, d’entretien des locaux, de transport des malades entre autres sont confiées à des entreprises privées, pour des coûts qui peuvent s’avérer prohibitifs dans la durée.
Dans la même logique se développent les partenariats publics privés, qui consistent, à confier à un opérateur privé la construction de locaux, moyennant le versement d’un loyer pour une durée déterminée. Le bâtiment devenant après cette date propriété de l’Hôpital.
L'exemple du partenariat Public Privé pour la reconstruction de l'Hôpital d'EVry/Corbeil (une co production d’un certain Manuel Valls, ancien maire d’Evry et d’un certain Serge Dassault ancien maire de Corbeil) présenté, à l'époque, comme un modèle mérite qu'on y revienne. Il s’est terminé par un fiasco retentissant et illustre les dérives d’un système qui a entrainé la faillite de nombreux Hôpitaux au Royaume Uni.
Faute de financement public, la construction des nouveaux bâtiments du Centre Hospitalier Sud Francilien a été prise en charge par le groupe de BTP Eiffage, en contrepartie du versement pour une durée de 30 ans d’un loyer exorbitant d’environ 3OM d’€, son versement nécessitant des coupes budgétaires et une augmentation de la « productivité » du personnel.
Au moment de la livraison, avec un retard d’un an, 8000 malfaçons sont constatées par huissier, dont certaines, graves et mettant en cause la sécurité des patients.
Pour y remédier, Eiffage a alors exigé une hausse du loyer qui serait passé à plus de 40 millions d’€
Devant le scandale, l’opération du finalement être abandonnée, et un « accord » fut trouvé avec Eiffage moyennant un « dédommagement » de 170M d’€… à la charge de la collectivité.
- L’Hôpital Entreprise, quelles conséquences pour les usagers et les personnels.
La privatisation du systéme hospitalier doit d’abord être dénoncée pour ce qu’elle est : l’accaparement d’argent public (celui de la Sécurité sociale) par des intérêts privés, les actionnaires des cliniques, les entreprises privées auxquelles les hôpitaux abandonnent une partie de leur activité, ou les cabinets libéraux.
Mais notre critique ne doit pas s’arrêter là.
La logique marchande à laquelle sont soumis les établissements tant publics que privés a des conséquences sur l’accès aux soins, et la nature des soins, eux mêmes
Même quand le statut juridique des hôpitaux reste public, , par le biais de la tarification à l'activité les établissements publics et privés n'en sont pas moins soumis à une logique marchande de comparaison des couts
Comme le souligne Ph Batifoulier9 "l'évolution de l'Hôpital est révélatrice de celle de la politique publique dans son ensemble : elle s'appuie sur les méthodes managériales du benchmarking, qui consiste à identifier les organisation les plus performantes pour les prendre pour modèle". Il en découle une standardisation des soins dont les effets pervers sont multiples
Ces conséquences concernent en premier lieu les usagers, leur possibilité d'accéder aux soins, la qualité et la sécurité de ces soins. Elle touche également les professionnels, qui sont soumis à des conditions de travail insupportables, mais qui ont également le sentiment de ne plus pouvoir faire leur travail de manière satisfaisante, voire de mettre en danger les patients dont ils ont la charge.
Je me limiterai à une brève émunération des effets de cette course sans fin à la rentabilité
- Incitation à la sélection des patients
L'instauration d'un systéme de financement qui rémunère une pathologie "standard" et non les soins donnés à un patient est une incitation à la sélections des patients et au rejet de ceux de le "coûts" sera plus élevé que la norme.
- Difficultés d'accès aux soins
La logique marchande d'occupation maximum des lits (un lit vide est un lit "non rentable" qui "creuse le déficit") entre en contradiction avec l'exigence d'une disponibilité de lits et de personnel pour faire face à l'imprévu.
Elle pousse aux fermetures massives de lits, d'établissements et de services de proximité qui aboutissent à une suroccupation des services, les lits dans les couloirs.
La fermeture de lieux de soins, éloignent ceux ci du patient.
Les délais d'attente pour les consultations ou les soins s'allonge, provoquant ce qu'en termes pudiques les managers appellent une "perte de chance" pour le malade. En clair l'aggravation de son état de santé, et dans les cas extrémes son décès.
L'éloignement des services hospitaliers gratuits aboutit à un recours à des services privés et à des surcouts qui constituent à leur tour de nouveaux freins, financiers cette fois à l'accès aux soins.
- Mise en cause de la qualité et de la sécurité des soins.
La rentabilisation des services, l'insuffisance des personnel, la généralisation de la polyvalence et de l'intérim qui entraine une méconnaissance du fonctionnement des services et des patients soignés, source d'erreur due à la fatigue des personnels, l'insuffisance des temps de transmission et d'échanges indispensables au travail en équipe. Les risques d'erreurs qui seront ensuite imputées au soignant s'en trouve multiplié.
Le soin se réduit à sa part purement technique, le plus standardisée possible, au détriment de toute dimension relationnelle, pourtant indispensable à la qualité des soins.
La deshumanisation du soin est une conséquence directe du management d'entreprise transposé à l'Hôpital
Elle est aussi à l'origine de la souffrance de plus en plus visible des personnels
Celle ci a pour cause l' intensification du travail, liée au manque de personnel, les horaires et de contraintes insupportables (suppression des repos et congès, retour au travail non prévu pour nécessité de service), mais aussi de la disparition d’un cadre collectif de travail en équipe et de la perte de signification de ce travail, jugé comme insatisfaisant alors qu’on s’y épuise.
Cette souffrance s’accroit au fur et à mesure que s’accroit la précarisation du personnel dans le public comme dans le privé. La sécurité donnée par l’existence d’un statut donnant des droits et des capacités de résistance au personnel des établissements publics est de ce fait l’un des verrous que les contre réformes libérales veulent faire sauter,
Conclusion :
Jusqu’à maintenant, malgré l’ampleur de l’attaque et ses conséquences pour les salariés et leur droit à la santé, l’offensive menée contre l’Hôpital Public n’a pu être mise en échec.
Ni les fédérations syndicales de personnel hospitalier, ni le mouvement ouvrier interprofessionnel, dans ce domaine comme dans les autres n’a pas apporté de riposte correspondant aux enjeux.
les luttes pourtant nombreuses des salariés , et aussi des comités de défense des hôpitaux sont restées isolées, et dans le meilleur des cas n'ont imposé qu'un recul partiel et temporaire Seule leur coordination, dans une action commune nationale des salariés de la santé et des usagers, permettra d'inverser la tendance et de mettre fin à la privatisation rampante de cet acquis essentiel qu'est l'Hôpital Public. Nous devons y travailler de toutes nos forces.
24 Aout 2015
- 1. Groupement d'interêt économique
- 2. Groupement d'intérêt public
- 3. Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie
- 4. Projet de loi de financement de la sécurité sociale
- 5. Hopital Patients Santé et Territoires.
- 6. Voir dossier paru dans libération le 9/03/2015
- 7. Les cliniques privées commerciales sont les établissements à but lucratif versant des dividendes à leurs actionnaires. Elles sont de plus en plus entre les mains de groupes financiers (fonds de pensions….). Elles sont à distinguer des établissements privés dits « à but non lucratif », de type mutualiste ou associatif.
- 8. Evaluation de la place et du rôle des cliniques privées dans l’offre de soins . Inspection Générale des Affaires Sociales RM 2012-112P
- 9. Philippe Batifoulier , Capital Santé , éditions "La découverte" 2014