Tribune publiée dans Libération
En Seine-et-Marne, les grévistes dénoncent depuis des mois la catastrophe écologique et sociale qu’induirait le futur projet du géant pétrolier. Un collectif d’élus, de syndicats, d’intellectuels et d’associations apporte son soutien à leurs revendications pour que celles-ci soient entendues.
Depuis le 4 janvier, les raffineurs de Grandpuits mènent un combat exemplaire pour la défense de l’emploi et la sécurité environnementale, contre le projet de reconversion du site par Total. La multinationale cherche à faire croire que délocaliser la production dans des pays où les normes sociales et environnementales sont plus faibles est un geste écologique. Elle se félicite de la suspension de la grève reconductible et d’un prétendu «aboutissement du processus social prévu dans le cadre du projet de reconversion du site». Mais ce sont les salariés qui ont raison, pas le géant pétrolier.
La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) d’Ile-de-France pointe, dans un courrier du 12 février, les insuffisances du projet de reconversion que les salariés dénoncent. Selon les services de l’Etat, le projet de Total est loin d’être aussi exemplaire que ne le prétend la multinationale : «Votre évaluation des risques est incomplète et les mesures de prévention inexistantes.» Dans un autre texte, la Direccte demande des informations relatives au temps de travail, aux congés payés et aux formations dans les trois usines utilisées comme modèle par Total. Et pour cause, l’un des sites, qui devrait servir d’exemple pour le futur projet à Grandpuits, se situe en Thaïlande, pays où les normes en termes de droit du travail et de sécurité sont bien différentes de celles qui ont cours en France.
Ces constats sévères et inquiétants n’étonneront pas ceux qui ont suivi le conflit depuis le début. Les grévistes n’ont jamais cessé de dénoncer un projet de reconversion sous-dimensionné du point de vue de l’emploi, impliquant des risques graves en termes de sécurité et entraînant une intensification des charges de travail et des risques psychosociaux. Des éléments confirmés par un rapport d’expertise de plus de 300 pages présenté en comité social et économique central le 26 janvier. Total a beau affirmer le contraire, toutes les analyses convergent pour donner raison aux grévistes : suppressions d’emplois dissimulées dans le projet de reconversion ; risque d’un «nouveau Lubrizol» en Seine-et-Marne, puisqu’il s’agit d’un site Seveso 2 où une baisse des effectifs aux postes liés à la sécurité peut entraîner des catastrophes en cas d’accident ; impact sur un bassin d’emploi déjà durement touché, avec la suppression d’environ 700 postes si le projet Total venait à passer.
Des activités loin d’être considérées comme écologiques
Ces conclusions sur l’emploi et les risques en termes de sécurité industrielle viennent s’ajouter au constat dressé par un collectif d’organisations syndicales et écologistes concernant la dimension «verte» du projet. En janvier, une note de décryptage des Amis de la Terre, de Greenpeace, d’Attac et de la Confédération paysanne pointait un projet composé «d’activités loin de pouvoir être considérées comme écologiques». Autour de la production d’agrocarburants, ce rapport souligne que «remplacer les énergies fossiles par des biocarburants est sans doute l’une des pires idées pour lutter contre le dérèglement climatique : l’effet est inverse à cause de la déforestation induite et du changement d’affectation des sols». Il s’agit donc d’un greenwashing dénoncé par les grévistes depuis des mois, et qui sert à couvrir des centaines de suppressions d’emplois.
Tous ces éléments rappellent à quel point les raffineurs de Grandpuits ont raison de dénoncer l’organisation du futur projet proposé par Total. En ce sens, et alors que l’Etat aura la charge, dans les semaines qui viennent, de valider, ou non, le plan social, nous renouvelons ici notre soutien aux revendications des travailleurs et insistons sur l’urgence que celles-ci soient entendues. A Grandpuits, nous avons assisté à la rencontre de la lutte sociale et de la lutte écologique. Cette alliance est porteuse d’avenir. Pour l’environnement, pour l’emploi et dans l’intérêt de toutes et tous.
Premiers signataires : Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, Ludivine Bantigny, historienne, Julien Bayou, secrétaire national d’EE-LV, Ahmed Berrahal, CGT RATP, Olivier Besancenot, porte-parole du NPA, Stephen Bouquin, sociologue, Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis, Alexis Cukier, philosophe, CGT Ferc Sup, Laurence De Cock, historienne, Alain Deneault, philosophe, auteur de De quoi Total est-elle la somme ? Gérard Filoche, porte-parole de la Gauche démocratique et sociale, Julie Garnier, porte-parole national de LFI, Isabelle Garo, philosophe, Fabien Gay, sénateur PCF de Seine-Saint-Denis, Anasse Kazib, SUD Rail, Stathis Kouvélakis, philosophe, Mathilde Larrere, historienne, Yvan Le Bolloc’h, comédien, Frédéric Lordon, philosophe, Jean-Luc Mélenchon, député LFI de Bouches-du-Rhône, Bénédicte Monville, conseillère régionale écologiste de Seine-et-Marne, Olivier Neveux, enseignant-chercheur, Willy Pelletier, coordinateur Fondation Copernic, Christine Poupin, porte-parole du NPA, Philippe Poutou, porte-parole du NPA, Michèle Riot-Sarcey, historienne, François Ruffin, député LFI de la Somme, Daniel Tanuro, auteur écosocialiste, Quatrième Internationale, Olivier Terriot, CGT RATP, Audrey Vernon, comédienne, Fabien Villedieu, SUD Rail, Sophie Wahnich, historienne CNRS et Attac, CGT Total Grandpuits Gargenville, CGT Sanofi, CGT Toray, Confédération CGT Confédération paysanne, Coordination CGT Total, Greenpeace, les Amis de la Terre, union syndicale Solidaires.