Un bateau français avec quelques militants à bord, dont Olivier Besancenot et Annick Coupé, a finalement quitté Athènes et mis le cap sur Gaza malgré les embûches. La «Flottille pour Gaza» est ainsi réduite à sa plus simple expression. Le récit de notre envoyé spécial sur le pont du «Dignité».
«Les chevilles dans le plastique, ça ne va pas être possible», déclare Olivier Besancenot, en pleine séance de bricolage. 11 heures ce lundi, dans un petit port grec. Le Dignité Al-Kamara, l’un des deux bateaux du comité français pour Gaza, a quitté à l’aube la crique industrielle près de la petite ville de Salamina où il s’était caché depuis trois jours. Dans une autre anse où il a fait une première étape, les passagers — parmi lesquels Besancenot, donc — tentent d’installer l’antenne satellite pour pouvoir communiquer avec le monde extérieur.
3 heures ce matin, Julien Rivoire, membre du NPA et l’un des porte-parole de la campagne appelle: «Réveille le capitaine, nous sommes de retour». Entre eux et la petite annexe qui fait le lien avec le bateau, des chiens de garde du port ou des entreprises adjacentes. Ils aboient violemment dans la nuit. Ils manquent de réveiller tout le quartier. Le Tunisien Omeyyaa Sedic et Julien Rivoire, munis des derniers chargements nécessaires, n’arrivent pas à passer. Dernier épisode d’une série d’événements tragicomiques qui ont rythmé la semaine de la flottille. «Nous, on n’est pas James Bond, on est OSS 117», essaye de s’en amuser Julien Rivoire en montant enfin sur le Dignité.
Plaisance
Dimanche soir, la décision a été prise. Elle fut longue à venir, entrecoupée d’appels vers l’Iniohos Hotel où se trouve le reste de la délégation. Un consensus émerge: le Dignité tentera de partir quoi qu’il arrive. Ce petit yacht de 13 mètres de long, ayant quitté la France dix jours plus tôt, a un statut «plaisance» et n’est théoriquement pas soumis à la même interdiction de départ que les autres embarcations de la délégation.
Vendredi, le bateau américain a tenté un départ seul. Samedi, son capitaine a été incarcéré. Il risquerait plusieurs années de prison pour être parti sans autorisation. Après plusieurs annonces bravaches, pour marquer leur détermination et leur volonté toujours aussi forte d’aller à Gaza pour apporter de l’aide humanitaire, les derniers comités ont fait défection les uns après les autres. Les capitaines des bateaux espagnol puis canadien ont annoncé qu’ils ne souhaitaient pas prendre autant de risques alors qu’ils étaient certains qu’ils ne pourraient pas faire plus de trente mètres. L’ancien président de Greenpeace France, Alain Connan, capitaine du principal bateau français le Louise Michel, après avoir longuement hésité, s’est rangé à cette position, peu attiré par les geôles grecques.
Il est allé demander l’autorisation de départ à la capitainerie. Refusée évidemment. Les passagers ont ensuite organisé une manifestation sur le pont du Louise Michel. Ils ont simulé un départ. Ils doivent tous porter plainte pour entrave à la liberté de circulation dans l’après-midi.
Parano
5 heures ce matin, le Dignité s’élance. Le soleil n’est pas encore levé. Quelques cargos se déplacent au loin. Autour de lui, deux ou trois carcasses qui rouillent depuis trop d’années, des ferrys peut-être prêts à partir mais qui semblent, à l’aube, désespérément immobiles. De douze bateaux, vingt-deux nationalités différentes et plusieurs centaines de passagers annoncés, la flottille est désormais réduite à trois hommes d’équipage, huit militants — outre Olivier Besancenot il y a aussi Nicole Kiil-Nielsen, député europe-écologie, Annick Coupé, porte-parole de l’union syndicale Solidaires, ou Nabil Ennasri, président du Collectif des musulmans de France — et un journaliste, l'auteur de ces lignes.
Le Dignité s’engage dans le chenal. Au loin, des phares, des ombres indistinctes, mais aucun garde-côte. Grande surprise chez les passagers. Ils étaient persuadés qu’ils étaient repérés et qu’une petite vedette surgirait soudainement d’entre deux cargos pour les stopper. Depuis deux jours, chaque mouette, chaque barque de pêcheur, chaque jet-ski avec des gros bras qui passent, chaque homme qui pisse dans la nuit sous l’éclairage blanchâtre du port est l’occasion de moment de parano.
A tribord rien. A babord, rien. Au loin derrière, déjà, les lumières d’Athènes. Le soleil apparaît entre deux collines. Après une semaine d’échecs où la désorganisation et les coups du sort se sont associés pour les garder à quai, pour la première fois le comité français réussit concrètement quelque chose en Grèce. Ils ont l’impression d’avoir déjouer les contraintes, même s’ils sont fatigués, même si la tension est de temps en temps palpable entre eux, même si les discussions et l’attente n’en finissent parfois pas.
Détermination
Certes, ils savent que ce petit bateau ce n’est pas grand chose. Qu’Israël, de toute évidence, a gagné la partie cette fois-ci et que le seul enjeu qui reste est de montrer qu’ils ont tout tenté, que ce n’est pas un «putain d’échec», comme le dit Besancenot. Certes, ils savent qu’il est peu probable qu’ils aillent jusqu’à Gaza, surtout seuls. A moins qu’un bateau grec se joigne à eux. Le comité piloté par Vengelis Pissias a annoncé qu’ils en avaient un nouveau, un troisième, une «surprise», que les autorités ne connaissent pas. Mais ils ont promis tellement de chose depuis le début de la semaine dernière…
Le Dignité vogue. Il atteindra les eaux internationales dans quelques heures s’il n’est pas arrêté par les garde-côtes avant. Là, ses passagers feront des déclarations officielles. Ils marqueront leur détermination contre le blocus de Gaza et dénonceront l’attitude de la communauté internationale contre eux. Ils annonceront alors la suite des opérations. S’il y a une suite.
QUENTIN GIRARD envoyé spécial à bord du «Dignité»