Son but était de briser le blocus du territoire palestinien. Le seul bateau de la flottille qui avait réussi à déjouer la surveillance des autorités a été arraisonné au large de la Grèce. Reportage à bord.
Ils ne passeront pas. Par mer ou dans les airs, Israël a décidé d’empêcher les militants propalestiniens de se rendre à Gaza ou en Cisjordanie. Début juillet, la flottille internationale dite «de la liberté» - une douzaine de bateaux annoncés, des centaines de passagers, des dizaines de journalistes, des tonnes d’aide humanitaire - est restée encalminée dans les ports grecs. Ce ne sont pas les vents défavorables, à l’instar des Achéens, qui l’ont retardée mais une multitude d’embûches : les tracas administratifs - il manquait toujours un papier -, les sabotages - certaines hélices de bateaux ont été sciées -, la communauté internationale et le gouvernement grec qui déclarent qu’ils sont contre la flottille…
Un an après l’arraisonnement du Mavi Marmara, un navire affrété par des militants turcs, et les neuf morts lors de l’intervention de l’armée israélienne, l’Etat hébreu veut éviter une confrontation en pleine mer potentiellement désastreuse sur le plan médiatique. Un seul bateau, un français, le Dignité Al-Karama, a réussi à s’échapper. A bord de ce yacht d’à peine 15 mètres : douze passagers, trois hommes d’équipage (des Français), huit militants et un journaliste. Récit d’une odyssée avortée.
Lundi 4 juillet Caché dans une crique
Les Israéliens sont en passe de l’emporter : la Grèce semble décidée à faire traîner les choses. Un an de préparation n’aura pas suffi, les organisateurs ne briseront sans doute pas symboliquement le blocus maritime de Gaza, leur objectif. Lassés d’attendre, les médias internationaux se préparent à rentrer. Mais le Dignité parvient à s’échapper, après s’être caché quatre jours dans une crique industrielle près d’Athènes. A-t-il été oublié, étant le plus petit de la flotte ? A-t-il été protégé par son statut de plaisancier et par le fait qu’il avait pu quitter librement la France huit jours plus tôt ? Les passagers ne le sauront sans doute jamais.
La composition de l’embarcation est des plus éclectique. Trois politiques : Olivier Besancenot et Julien Rivoire du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Nicole Kiil-Nielsen, députée européenne Europe-Ecologie. Une syndicaliste : Annick Coupé, porte-parole de Solidaires. Et quatre militants propalestiniens : Jacqueline Le Corre, membre de l’association France-Palestine Solidarité, Oussama Muftah, membre du Collectif 59 Palestine, Nabil Ennasri, président du Collectif des musulmans de France et Omeyya Seddik,représentant de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives. Tous sont convaincus de l’iniquité du blocus de Gaza, sans être les principaux organisateurs de la flottille internationale. Ces derniers sont restés à quai, sur les cargos ou sur la grande embarcation française, le Louise-Michel. Les huit militants du Dignité n’auraient jamais dû être les seuls rescapés de l’aventure. Alors qu’ils ne les atteindront que le lendemain, ils s’empressent d’annoncer fièrement qu’ils sont dans les eaux internationales, et qu’ils ont, symboliquement, «brisé une partie du blocus de Gaza qui s’étend jusqu’à la Grèce».
Mardi 5 juillet «Il faut faire un point»
Plein sud. La veille, le Dignité a dû faire un premier arrêt juste après le départ pour se ravitailler. Puis, il a traversé la mer Egée pour arriver dans le petit port de Potamos, sur l’île d’Anthykithira, à l’ouest de la Crète. Au petit matin, les passagers se réveillent dans une crique au son des cloches des chèvres qui escaladent les falaises environnantes. Certains ne résistent pas à l’envie de se baigner et font quelques plongeons en sautant du pont supérieur. Olivier Besancenot et Nabil Ennasri font la vaisselle à l’eau de mer et en maillot de bain.
Très vite, réunion. «Il faut faire un point» : c’est sans doute la phrase la plus entendue depuis l’arrivée des militants à Athènes. Que ce soit avant de partir ou une fois en mer, on phosphore en boucle. Il faut chercher un «consensus», décider d’une «stratégie», de la «faisabilité politique qui permet la faisabilité technique», sans jamais oublier de dire qu’ils sont «contre la politique du gouvernement israélien mais pas contre Israël» et de dénoncer «le blocus de Gaza». Au rythme de quatre ou cinq discussions de groupe par jour, un observateur extérieur a vite l’impression d’entendre la même ritournelle.
Le Dignité a un problème : il n’a pas une autonomie suffisante en carburant. Normalement, il aurait dû être ravitaillé par les cargos de la flottille, en pleine mer. Pour éviter cet écueil, toutes les options sont envisagées : un détour par la Turquie, l’Egypte ou même l’île italienne de Lampedusa. Ou attendre le départ hypothétique d’un autre bateau. Les passagers doivent se coordonner en permanence avec les organisateurs restés à Athènes ou à Paris. Ces huit militants qui naviguent au large de la Crète sont censés représenter l’ensemble. Compliqué, voire dérisoire. Surtout que le sens de l’organisation n’est pas vraiment le maître mot de cette initiative. Depuis le début, l’information a du mal à être diffusée. Les rumeurs infondées circulent plus vite. Julien Rivoire, le porte-parole, se veut toutefois optimiste :«On avait un peu l’impression d’être des Pieds nickelés, mais là, ça va, on a réussi quelque chose tout de même.»
Les médias s’emballent. Al-Jezira ou France 24 appellent presque toutes les heures pour prendre des nouvelles. Dans l’hypothèse d’une confrontation avec le gouvernement israélien, le Dignité a besoin de la télé. Sans images, estiment les passagers, le voyage sera trop dangereux. La maîtrise du temps médiatique tourne à l’obsession face à l’afflux de demandes. Personnalité la plus connue, Olivier Besancenot est le plus demandé : «Je ne réponds plus. Il ne faut pas personnaliser l’action», s’agace-t-il.
A bord, la vie s’organise. L’eau douce étant rationnée, il faut se laver à l’eau de mer. Riz, pâtes, lentilles, boîtes de thon et un peu de pain de mie sont au menu. Pas d’alcool. Mais des cigarettes en très grande quantité pour affronter le stress. Comme il n’y a pas assez de couchettes, certains passent leurs nuits à la belle étoile.
Mercredi 6 juillet Une vedette surgit
Toute la nuit, le Dignité vogue à la recherche d’un port d’accueil. Une réunion, une de plus, est organisée au petit matin. Le bateau tangue tellement qu’il est plus facile d’avoir le mal de mer que de prendre une décision. Les options ne sont pas si nombreuses. Il faut pousser jusqu’à l’extrême est de la Crète et la baie d’Osmos Kouremenos, parsemée de quelques barques de pêcheurs. Les passagers du Dignité espèrent que c’est un endroit assez discret pour mouiller.
17 heures environ. Un premier petit camion arrive avec une livraison. Plus que 2 000 litres d’essence et normalement le Dignité aura suffisamment d’autonomie jusqu’à Gaza. Mais le livreur n’a pas le temps de revenir. Soudain, une vedette des garde-côtes surgit. Les passagers comprennent immédiatement qu’elle n’est pas là par hasard. «Quand j’ai vu des mecs louches, de l’autre côté du port, je me suis dit, non, il ne faut pas être parano», regrette sur le moment Olivier Besancenot. Trois «touristes» dans un petit 4 x 4 viennent prendre des photos de l’embarcation arraisonnée. Les garde-côtes expliquent que le Dignité n’a pas payé une taxe de 30 euros, obligatoire à l’entrée de tout port grec. Ils demandent de les suivre vers une autre ville plus importante, Sitia, assurant que les Français pourront repartir le lendemain matin. Mais ils savent pertinemment que ce n’est pas un bateau de plaisance anodin. A l’arrivée, les passagers s’endorment sur le bateau, dans la partie du port réservée à la capitainerie. Au loin, les terrasses des restaurants le long de la marina se vident. Le lieu est touristique, réputé pour son huile d’olive.
Jeudi 7 juillet Des paris et du raki
«On vit une histoire de dingues», répète Olivier Besancenot durant la journée. Le sentiment persistant d’être dans un film d’espionnage - plus OSS 117 que James Bond. Les sabotages à la Rainbow Warrior, et l’impression de voir des agents du Mossad partout, jouer à cache-cache dans les eaux translucides de la Méditerranée. Les médias, Israël, Gaza… tout déborde.
Malgré les déconvenues, aucun des «Dignité» ne remet en cause le principe de la flottille. Au contraire, leur conviction en sort renforcée : «Tout le monde est contre la Palestine», c’est «David contre Goliath» et il faut se mobiliser encore et encore. Sur la terrasse de la capitainerie, les douaniers ouvrent une bouteille de raki. Il est 15 heures. Alors que les membres du bateau attendent fébrilement les autorisations, les policiers discutent de deux ex-joueurs du Panathinaïkos : Djibril Cissé et Sidney Govou et du goût de ce dernier «pour le whisky». Ou encore de «l’affaire Strauss-Kahn». Ils imitent de Funès et font des paris sur les chances du Dignité de repartir. Tandis que l’un d’entre eux chante «Free Gaza, Free Gaza ! » un autre montre ses photos de vacances à Paris. Ils proposent des cafés et permettent aux passagers d’utiliser leurs douches en plein air.
Les autorités grecques demandent sans cesse des nouveaux papiers. Les passagers passent par des hauts et des bas, persuadés d’un départ dans l’heure ou convaincus que l’aventure est bel et bien terminée. Ils sont fatigués. Le soir tombe, ils n’ont pas pu bouger. Les principaux organisateurs de la flottille, le Grec Vengelis Pissias, le Suédois d’origine israélienne Dror Feiler et le Français Thomas Sommer-Houdeville, les ont rejoints, les invitant à dîner dans un restaurant. On refait l’histoire, on débat de ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire.
A la fin du repas, après quelques escargots à la crétoise, Vengelis Pissias s’étonne : «Pourquoi vous êtes-vous ravitaillés à terre ? Nous aurions pu vous venir vous apporter du fuel en haute mer.» Consternation chez les Français : pourquoi ne l’avoir jamais dit ? «Mais je ne savais pas que vous en aviez besoin.» Certains des passagers, notamment les deux membres du NPA, ont l’impression d’avoir été un peu baladés.
Le lendemain, alors que les tracasseries administratives continuent de plus belle, cinq d’entre eux décident de rentrer à Paris, dont Kiil-Nielsen, Coupé et Besancenot. Il ne s’agit que d’un «break», disent-ils, et ils repartiront bientôt. «L’important, ce n’est pas le nom des personnes qui sont sur le bateau, c’est de briser le blocus de Gaza», répète Nicole Kiil-Nielsen. Ils sont remplacés sur le Dignité par les trois organisateurs de la flottille internationale arrivés la veille et par d’autres inconnus.
Hier matin, le bateau avait obtenu toutes les autorisations de départ, mais il restait stationné près du petit port de Sitia.
Par QUENTIN GIRARD Envoyé spécial sur «le Dignité» (texte et photos).