Portrait de Thomas Sommer-Houdeville. Ce thésard et militant était de la flottille qui a tenté de forcer le blocus de Gaza. Il entend remettre ça, à l’automne.
Pendant quelques jours, il a été le Français manquant de la flottille pour Gaza. Le lendemain de l’assaut sanglant par l’armée israélienne, sa mère s’inquiétait publiquement d’être sans nouvelles de lui. Et l’un de ses camarades de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple Palestinien (CCIPPP), commençait à tisser sa légende en brossant le portrait d’un activiste fiché par l’Etat hébreu : « On est inquiets. Thomas est connu des autorités israéliennes car il a déjà participé à des missions pour Gaza. » Finalement, Thomas Sommer-Houdeville a été libéré en même temps que le gros des militants de la flottille. La première fois qu’on l’a vu en vrai, c’était à l’issue de la manifestation, organisée par le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, contre l’assaut israélien. Juché sur un bateau en carton-pâte représentant symboliquement l’armada humanitaire, il saluait « le peuple palestinien qui se bat alors qu’il est assiégé depuis trois ans » et « les amis turcs lâchement assassinés ».
On le retrouve au Centre international de culture populaire, sorte de QG de l’altermondialisme français. Les associations propalestiennes s’y partagent un local. Depuis que Thomas Sommer-Houdeville a été expulsé vers la France, il va d’interviews en réunions publiques. Son but : « Témoigner. »« On a vécu pendant quelques heures ce que les Palestiniens vivent tous les jours », répète-t-il en boucle.Libération de faire son portrait.
C’est un militant, un vrai, pas un idéologue en chambre. Il a fait ses armes à la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), et milite aujourd’hui au NPA (Nouveau parti anticapitaliste, successeur de la LCR). En 2002, il découvre la Palestine avec la CCIPPP. « Je devais y passer quinze jours. J’y suis resté quatre mois. » Il est témoin des exactions de l’armée israélienne qui rase les maisons ou en déloge les habitants pour occuper leurs logements. « Ça a été la plus grosse claque de ma vie. On s’attend pas à un tel déni de justice. » Rentré en France, il décide de repartir en Israël. « Je voulais m’installer à Haïfa pour y faire ma maîtrise sur les premiers syndicats arabes et juifs qui se sont créés là au début du XXe siècle. » « Il me paraissait intéressant de montrer qu’à un moment de la courte histoire de ce pays, Juifs et Arabes ont eu des luttes en commun », ajoute-t-il.
Les autorités lui refusent son visa. Quelques mois plus tard, il tente d’y retourner en touriste, donc sans visa, mais est mis aussi sec dans l’avion de retour. A défaut d’Israël, ce sera l’Irak. Il y arrive en décembre 2003, neuf mois après le début de l’offensive américaine, et y demeurera jusqu’en avril 2004. « Avec une ONG italienne, on avait monté une observation sur les droits de l’homme et la question des prisonniers. » La détérioration des conditions de sécurité le chasse. « Au début, c’était dangereux mais il y avait tout un tas d’ONG. Après, c’est devenu le chaos. » Retour en France, master de sciences politiques à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Puis, séjour de trois ans en Syrie, entre 2005 et 2008, pour sa thèse sur les « Processus identitaires, identifications nationale et communautaires des réfugiés irakiens ».
De ces expériences, il garde un formidable souvenir. « J’adore le monde arabe. » Il en a appris la langue. Parmi ses émotions les plus fortes, les concours de poésie organisés chaque lundi dans un hôtel de Damas. « Des poètes viennent s’affronter. C’est extraordinaire. » Lui-même apprécie ce genre littéraire. « C’est la meilleure façon de dire une vérité qu’on a dans le cœur. » Il aime Mahmoud Darwich et Adonis, peut réciter certaines de leurs œuvres en arabe, évoque également Beaudelaire et Michaux.
Sur la question du conflit israélo-palestinien, Thomas Sommer-Houdeville a des positions assez classiques. Pour les opprimés – les Palestiniens – contre les oppresseurs – « l’Etat criminel d’Israël » qualifié « d’Etat colonial » -, et les gouvernements occidentaux qui laissent faire. Il revendique des liens avec les pacifistes israéliens comme l’écrivain Michel Warschawski ou l’avocate Leah Tsemel. Le fait que l’opération de la flottille pour Gaza ait été menée par l’IHH, organisation islamiste turque, ne le gêne pas. « En Turquie, ils ont pignon sur rue. » Pas plus que le fait de savoir que des associations engagées dans cette opération ont des liens avec le Hamas. « Tous ceux qui sont dans les territoires travaillent avec lui, y compris Médecins sans frontières. »
Archétypique de l’homme d’action, il l’est jusqu’au bout. Sur le bateau en route pour Gaza, il a tenu un journal à la tonalité naïve et exaltée. « La peur n’est pas de notre côté, mais du côté d’Israël. Ils ont peur de nous parce que nous représentons la colère des gens tout autour du monde. » A propos de la cargaison humanitaire emmenée par les bateaux, il parle encore d’une « vague d’amour et d’espoir envoyée par d’humbles citoyens de Grèce, Suède, Turquie, Irlande, France, Italie, Algérie, Malaisie ».
Thomas Sommer-Houdeville est né près du Havre d’un père professeur d’équitation et d’une mère secrétaire de direction. Il a grandi à Marseille, puis à Toulouse. En France, il n’est que de passage. Depuis novembre 2009 et, plus précisément depuis qu’il est salarié de l’ONG altermondialiste Focus on Global South, il vit entre Manille et New Delhi. Très loin de la Palestine et du Proche-Orient. Quoique. A peine embauché, il a rappliqué en Europe pour préparer le départ de la flottille. Pour lui, la lutte des luttes reste la Palestine. « Elle est l’élément central du combat pour le respect des droits, le symbole de la lutte contre l’oppression, et le symbole de tous les autres combats. »
Ses activités militantes prenant l’essentiel de son temps, son doctorat est en panne. Mais son directeur de thèse, le politologue Olivier Roy, est plein d’indulgence : « C’est le genre de jeune chercheur que j’apprécie particulièrement : le terrain avant tout, un courage physique et une bonne formation intellectuelle. »
En lui, l’ancien se reconnaît. « A son âge, en août 1980, je «forçais» avec un âne et quelques porteurs le blocus russe en Afghanistan pour faire passer une aide humanitaire dérisoire. L’opération «Caravanes pour l’Afghanistan», fort politique comme toute opération humanitaire, était montée par l’Action internationale contre la faim, et avait été conçue par… Bernard-Henri Lévy. »« On vieillit plus ou moins bien ! », ironise Olivier Roy.
Et Thomas Sommer-Houdeville, comment vieillira-t-il ? Pour l’heure, il ne se projette pas très loin. « A partir de juillet ou août, je vais me mettre à rédiger sérieusement cette fichue thèse. J’en ai encore pour six mois. » A l’automne, il reprendra la mer si une nouvelle flottille tente de forcer le blocus de Gaza, comme prévu. A court terme, il n’envisage pas de fonder une famille même s’il a une « chérie » qui travaille également pour une ONG. Il n’a pas, non plus, de grandes ambitions financières. « Je gagne pas des mille et des cents, 1 000 euros par mois, mais ça me suffit pour l’instant. » Plus tard, il essaiera peut-être de se faire embaucher par un institut français de recherche à l’étranger. Là, on le sent très moyennement motivé.
Par Catherine Coroller.
En 3 dates :
5 décembre 1975 : Naissance à Sainte-Adresse (Seine-Maritime).
Eté 2002 : Séjour en Palestine.
31 mai 2010 : Attaque de la flottille par l’armée israélienne.