Odeurs de gaz et bruits de canon en Ukraine.
Le lundi 7 février, Macron s’envolait pour Moscou. Retour par Kiev et Berlin. Le nouveau président intérimaire de l’UE se pose en champion de la désescalade, au plus fort d’un insupportable bras de fer entre les USA et la Russie, accompagné de cliquetis d’armes, à propos de l’Est de l’Europe. Macron se flatte de convaincre Poutine d’abandonner des menaces — réelles ou supposées — d’invasion de l’Ukraine. Certes, 100 000 militaires russes sont massés à la frontière ukrainienne. Rien d’anodin de la part de Poutine. Mais Biden, de son côté, a choisi d’encourager les États membres de l’OTAN à fournir à l’Ukraine armes et conseils. Certains regimbent, comme l’Allemagne et la France. D’autres s’y avancent, comme la Grande-Bretagne et la Pologne. Les États-Unis restent le principal bailleur militaire de l’Ukraine (leur ambassade à Kiev annonçait le 22 janvier l’arrivée d’un premier avion cargo porteur de 90 tonnes d’« aide létale »). En haut lieu, on joue avec le feu. Pourquoi ?
Sur le pied de guerre pour la paix en Ukraine ?
Une vraie guerre ensanglante toujours le Donbass, aux confins de l’Ukraine et la Russie. Les médias en montrent à l’occasion les tranchées enneigées1. Une guerre dont les épisodes les plus chauds ont eu lieu en 2015-2016, mais qui continue de meurtrir une population ouvrière et paysanne déjà déshéritée : plus de 13 000 morts dont 3300 civils, plus de 30 000 blessés et un million et demi d’habitantEs qui ont pris le chemin de l’exode. En même temps que la Russie annexait la Crimée au printemps 2014, elle encourageait la sécession des républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, dans le Donbass, aux frontières desquelles s’affrontent militaires ukrainiens et séparatistes – ne fleurant l’avant-garde ni les uns ni les autres, terreau au contraire favorable à bien des nids de « fachos ». Plus au sud de cette frontière russo-ukrainienne, au niveau du détroit de Kertch, Poutine a fait construire un pont de 18 km qui relie la Crimée à la Russie mais surtout permet à cette dernière de contrôler l’entrée de la mer d’Azov, une voie de transit maritime de quelque importance pour l’approvisionnement de l’Ukraine.
Autant de points chauds, exacerbés par les rumeurs d’invasion russe alimentées par les USA. L’annonce récente du départ des personnels d’ambassades occidentales, dont celle des États-Unis, a augmenté la panique. Une chose est certaine : les puissances occidentales ne se préparent pas à venir en aide aux populations de l’Ukraine sinistrée, on ne les a vues dans ce rôle ni en août 2020 en Biélorussie, ni en ce début d’année au Kazakhstan.
La guerre pour les profits du gaz, de l’armement et tutti quanti
Il y a d’abord le gaz russe. Aujourd’hui quelque 40% du gaz importé dans l’UE vient de Russie, même si c’est de façon diverse selon les États et leurs politiques énergétiques – toutes en pleine reconversion. Autriche et Slovaquie en sont dépendantes à 100 %. L’Allemagne à 50%. La France à 20%. Les autres exportateurs sont les pays du Golfe, l’Égypte, l’Algérie… mais aussi les USA dont le gaz naturel liquéfié est sur les rangs, depuis la politique d’extraction intensive de gaz de schiste. Un sommet USA-Europe consacré à la sécurité énergétique devait se tenir le 7 février, qui — sur fond d’inflation mondiale des carburants — pourrait éclipser le voyage de Macron à Moscou. C’est la guerre du gaz, entre pays producteurs mais aussi entre voies d’export-import. Le gaz russe passera par ici ou passera par là ? Passera par l’Ukraine, encore plaque tournante ?
À la rivalité entre producteurs russes et nord-américains, s’ajoutent les concurrences entre États européens et USA. La principale oppose l’Allemagne à ces derniers. Le gazoduc qui fâche est ce Nord Stream 1, reliant directement la Russie à l’Allemagne par la Baltique et contournant l’Ukraine. Avec Poutine, le social-démocrate Schroeder en a été le maître d’œuvre, lui-même actionnaire de Gazprom. S’y ajoute aujourd’hui un Nord Stream 2 qui double le précédent, dont la construction est achevée mais dont la mise en route est combattue par les USA. Il est vrai qu’il n’est pas tant question de s’assurer un approvisionnement en quantité que de contourner l’Ukraine, c’est-à-dire de favoriser la Russie. L’hypocrisie de ces « grands » en bisbille est reine. Pour Biden comme pour Scholz ou Macron, les échanges politiques et économiques avec la Russie — aussi conflictuels qu’ils soient — pèsent autrement plus lourd que les relations avec l’Ukraine, la Pologne ou les États baltes…
Reste l’adhésion à l’OTAN… c’est-à-dire au commerce des armes
Pourquoi cette nouvelle relance par les USA de l’OTAN, et les fortes pressions depuis près de 20 ans pour que les États de l’est européen y adhèrent ? L’Europe des 27 devrait-elle se protéger d’un ennemi russe ? Ou ne s’agit-il pas, plus trivialement, de pistonner le marché des armements ? Le Monde du 5 février évoquait les efforts de Le Drian pour aider la Roumanie à moderniser sa flotte de la mer Noire. USA et France sont sur les rangs pour empocher les dividendes des milliards d’euros de modernisation de l’armée roumaine. Les USA augmentent leurs effectifs militaires sur le terrain : 10 000 soldats US devraient s’installer dans les années à venir sur une ancienne base du temps de l’URSS, modernisée. C’est aussi la guerre pour la vente des armements, conventionnels et nucléaires. Et la rivalité est rude entre les champions de l’exportation de ces joujoux dans le monde : USA (37 %), Russie (20 %), France (8,2 %), Allemagne (5,5 %), Chine (5,2 %), Angleterre (3,3 %)2.
« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels », disait Anatole France. Aujourd’hui ce sont les UkrainienEs en première ligne — et qui à leur suite ? — qu’on appelle à mourir pour les multinationales du gaz et des armes.