Un article du Monde du 5 décembre.
Le phénomène Besancenot étonne, intrigue, agace, et devient objet d'études politiques. Comment un jeune militant certes doué et malin - mais pas plus que ses aînés - a-t-il réussi à remettre au goût du jour un discours anticapitaliste pur et dur jusqu'à en devenir un cauchemar pour la gauche ? Le livre de Denis Pingaud, directeur de l'institut de sondages OpinionWay, donne quelques clés sur ce nouvel ovni politique. En fin connaisseur de cette extrême gauche dont il fut membre, le communicant explique les ressorts du succès Besancenot. Et lui prédit un potentiel électoral "impressionnant". L'auteur commence par démonter l'idée d'une comparaison possible de la vague de protestation électorale qui porte Olivier Besancenot avec celle d'un Jean-Marie Le Pen entre 1995 et 2002. Si la thèse paraît médiatiquement séduisante, elle ne tient pas à l'épreuve de l'analyse électorale. L'électeur LCR se situe encore à gauche et non pas hors des clivages traditionnels. Preuve en est, explique l'auteur, la discipline républicaine de désistement au second tour encore opérante en 2007 et 2008 pour cette frange contestataire.
Mais ce réflexe pourrait ne pas durer. L'éloignement entre cette aile radicale et la gauche traditionnelle ne cesse de grandir, prévient l'auteur. Olivier Besancenot s'adresse à des générations qui ont grandi sous François Mitterrand et ne connaissent de la gauche que sa face gestionnaire. Le leader du Nouveau Parti anticapitaliste en joue, cultivant à souhait "une logique isolationniste", comme la décrit le sondeur. En face, le PS l'ignore. A tort.
Olivier Besancenot fait mouche, parce que le reste de la gauche n'est pas là où ses électeurs l'attendent. Peu importe que ses slogans charrient un parfum désuet. Ils résonnent aux oreilles des "gens de peu" comme à celles des récents déclassés. La période politique a changé et les discours sur "le possible" ne passent plus. Comme le résume l'auteur, entre les mouvements altermondialistes et le succès de Besancenot, "l'utopie révolutionnaire est de retour".
Le succès du facteur révolutionnaire est donc d'une logique implacable, assure Denis Pingaud. La LCR a su mettre en avant "un type comme les autres", salarié à 1 058 euros mensuels, "sans passé ni mandat", mais dont le style jeune et percutant a donné un coup de vieux à toute la gauche. Cette faculté de ressembler à ses électeurs est un des ressorts de son succès. Elle représente "un capital précieux dans une société minée par la crise de légitimité du personnel politique", analyse l'auteur.
Besancenot ne fait pas partie des nantis et le clame. Il est dans toutes les manifestations et à la porte de toutes les usines en grève. La ressemblance avec l'Arlette Laguiller des années 1980 est frappante. Mêmes origines modestes brandies comme un étendard, même bagout radical et même rejet du consensus politique. Quand "Arlette" fustigeait les "blancs bonnets-bonnets blancs de la bourgeoisie", Olivier Besancenot développe un discours anti-institutions, caricatural mais efficace.
Mais, et c'est son atout personnel, M. Besancenot a su se démarquer de ses aînés, souligne le livre. Il est féru de football, écoute du rap, revendique son individualisme libertaire et affiche sa liberté de pensée. Bref, un gars comme les autres, qui déclare ne pas vouloir faire de la politique à vie. "Un type comme cela, trop jeune pour traîner des casseroles, trop empathique pour attiser la critique, trop entier pour susciter le doute, trop générationnel pour provoquer les caricatures, ce n'est pas facile à contrer", explique M. Pingaud. Pourtant, si l'effet Besancenot est "une sorte de miroir cruel pour le PS", comme le dit l'auteur, ce dernier aurait tout intérêt à ne plus l'ignorer.
Par Sylvia Zappi
L'EFFET BESANCENOT de Denis Pingaud. Seuil, 190 pages, 16 €.