Bungalows remplis, chapiteaux qui débordent. L’université d’été du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) à Port-Leucate (Aude) a fait le plein. 1 400 participants selon sa direction. Entre ex-trotskistes et néo-alters, l’alchimie est complexe pour une formation, en pleine recomposition. Rencontres avec six d’entre eux.
Danièle Obono, 29 ans : «Du sang et des larmes»
Coupe afro et drapeau imaginaire des «Etats-Unis d’Afrique» sur son tee-shirt, Danièle Obono ne passe pas inaperçue. On la prendrait presque pour une nouvelle militante… Raté. Déjà LCR avant d’être NPA, elle y a débarqué via l’altermondialisme. Marquée par les manifs contre l’OMC à Seattle, présente lors du sommet des futurs Vingt-Cinq à Nice, elle prend sa carte à la Ligue en 2004. Son engagement militant : «Du sang et des larmes, plaisante-t-elle. Une maladie incurable avec laquelle il faut apprendre à vivre.» Rien que ça. Réunions tous les lundis, puis conseil exécutif tous les deux mois… Ajouter à cela une thèse à finir : pas évident pour cette chargée de travaux dirigés de se faire un ciné de temps en temps. Mais si c’est pour «changer le monde», ça vaut le coup. En tant qu’ancienne de la Ligue, elle estime qu’il faut «désapprendre certains fonctionnements plus rigoureux qu’on avait entre trotskards». Désormais, elle part «differ» (distribuer des tracts) dans les quartiers. Tenter de reconquérir un terrain laissé en déshérence par la gauche.
Naïma Di Piero, 29 ans : «Une plus grande liberté»
De nationalité brésilienne, Naïma di Piero a choisi le NPA. Car «internationaliste», sans alliances «bizarroïdes», le parti anticapitaliste avait «un projet plus grand que les simples élections», jure cette cinéaste de 29 ans, née en France d’anciens réfugiés ayant fui la dictature brésilienne. Elle a ensuite vécu de 4 à 18 ans dans son pays d’origine. De retour en France, elle milite dans des associations. Mais y trouvait le discours «un peu vide». Et comme «c’était trop dur de voir passer Sarko sans pouvoir rien faire», elle rejoint la LCR à sa toute fin. «A la Ligue, tu sentais une contrainte très forte. Au NPA, la liberté est un peu plus grande.» Libre mais peu disponible, elle ne se dit pas «militante acharnée». Elle veut profiter d’une vie en dehors du parti. «Peut-être vont-ils commencer à nous demander de plus nous impliquer, craint-elle. Mais là, je ne pourrai pas suivre.»
Anne Lafran, 39 ans : «Laissez-moi vivre ma vie !»
Ancienne «sympathisante» de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Anne Lafran, 39 ans, trouvait l’ancêtre du NPA repliée sur elle-même. Cette professeure d’histoire dans un lycée de Seine-Saint-Denis est arrivée, il y a tout juste un an, peu avant la naissance du parti. A condition d’y trouver de «l’ouverture». Ni marxiste ni révolutionnaire, elle se dit bien «anticapitaliste». Mais proche de la minorité unitaire. Pour elle, la prise de pouvoir passe aussi, et surtout, par les urnes. Pour être «crédible». Engagée, Anne l’est. Débordée aussi. Membre du comité politique national (CPN), elle «passe beaucoup de temps, jusqu’à deux heures par jour, sur Internet à lire et répondre aux mails, contributions, attaques des autres…» Elle n’est pas prête pour autant à sacrifier sa vie au parti. «Il y a certaines semaines, cela va jusqu’à trois réunions, deux manifs… Quelquefois, on a envie de dire : "Laissez-moi vivre ma vie !"» Après les européennes de juin, la jeune femme voulait prendre un peu de recul. L’appel à la remobilisation d’Olivier Besancenot l’a convaincue. Elle va tenter de tenir le rythme.
Régis Avril, 39 ans : «Réussir tous ensemble»
Elu «sans étiquette» sur une liste d’union de la gauche aux municipales de mars 2008 dans un village proche de Saint-Nazaire, Régis Avril, 39 ans, a préféré rejoindre la «constellation militante» du NPA plutôt que ses copains communistes. Séduit par des débats «riches et contradictoires» entre ouvriers, syndicalistes, altermondialistes, associatifs et déçus du PS, il pousse la porte d’un parti encore en construction en juin 2008. Voix posée, sourire sincère, l’homme rêve aujourd’hui de la réussite du «tous ensemble». D’un «voyage» qu’il faut préparer, celui de la sortie du capitalisme. «C’est peut-être de la naïveté de se dire qu’on va réussir», concède-t-il. Plagiant Olivier Besancenot, cet ex-animateur socioculturel, aujourd’hui au RMI et futur vidéaste indépendant, est conscient du «marathon» qui les attend. Chez lui, pas de couplets sur Marx et Trotski mais un refrain plutôt «décroissant».«Basé sur une règle non-marchande», il souhaite créer un jardin solidaire dans son village.
Marc Prunier, 57 ans : «Réflexion perpétuelle»
A 57 ans, Marc Prunier a déjà dix ans de trotskisme et davantage de communisme derrière lui. Déçu par le décalage entre le discours et les actes au PCF, ce militant CGT, technicien au ministère de l’Agriculture, se plaît dans un nouveau parti qu’il juge «très différent» de la Ligue. «Au NPA, il n’y a pas cette unité idéologique qu’il y avait à la LCR», explique-t-il. Pour lui, c’est une remise en cause «perpétuelle». Un exemple ? «Aujourd’hui, le mouvement se pose la question de savoir si l’idée même de croissance et de productivisme n’est pas un problème.» Changer de pratiques, de références. Comme dans la commission Moyen-Orient - Palestine dont il fait partie. «Les jeunes apportent de l’originalité dans les formes d’action : plus festives, sans violence.» Revers de la médaille : les débats, eux aussi, sont «perpétuels» au NPA. Dur alors de prendre des décisions consensuelles. «Difficile aussi de dire ce que ce parti va devenir.»
Etienne Ciapin, 20 ans : «Pas de schizophrénie»
Barbe de quelques jours, béret noir sur la tête et tee-shirt du Che, Etienne Ciapin en est presque caricatural. L’étudiant en sociologie recrache avec brio le discours du NPA. Mais le jeune homme ne veut justement pas être caricaturé et, tirant sur sa poitrine, il prévient : «Etre anticapitaliste, c’est pas que le tee-shirt !» Son terrain de jeu, c’est le campus de la fac de Grenoble. Il s’est lancé dans la mise en place du NPA il y a deux ans. «Pour les luttes», la construction d’un «projet de société alternatif». Le Grand Soir ? Plutôt la «reconquête de la démocratie» en développant «l’autogestion par petites avancées».
Et l’apport des anciens de la Ligue communiste révolutionnaire est indispensable à ses yeux. Ils sont «la mémoire des luttes». Pour autant, «la jeunesse doit prendre une place importante et faire ses propres expériences». Il insiste : «Il ne faut pas être schizophrène.» Garder un «œil critique» tous les jours sur le monde qui l’entoure. Son livre de chevet avant la rentrée ? Critique de la vie quotidienne d’Henri Lefebvre.