Samuel Johsua, dirigeant historique de la LCR, était jusque-là «simple» directeur de campagne du NPA en Paca où se présente Ilhem Moussaïd, cette jeune militante voilée. Mais face à ce qu’il estime être une «campagne raciste», il a finalement décidé d’apparaître sur la liste et de répondre à Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent qui se sont exprimés sur le sujet sur Marianne2.
De mon point de vue, la coordonnée principale, et de loin, de la polémique en cours tient à la possibilité d’assumer en tant que parti féministe un symbole (le foulard) de soumission des femmes aux hommes. Passons sur le fait que la gauche l’accepte sans souci quand il s’agit d’élues à Creil ou à Échirolles. C’est certainement un débat majeur: une fois acté sans contestation possible que le symbole historiquement attesté est bien celui-là, peut-on admettre pour autant que certaines femmes refusent cette interprétation pour elles-mêmes, et que le parti leur confie pourtant une tâche de représentation? Question légitime, d’une importance idéologique majeure, que le NPA (pour ce qui le concerne) abordera à son congrès.
Mais cet aspect se mélange d’une manière totalement indue à de soi-disant principes laïques. Abandonnons la droite à ses haines, et attristons nous de l’incroyable ignorance de ces interrogations chez le républicain qu’est Jean-Luc Mélenchon. Il nous dit doctement: «Le mouvement ouvrier a toujours payé le passage à la religion et à l’ostentation». Pardon? Quand la JOC s’est rapprochée de la gauche (dans JOC il y a «chrétien» non?), on l’a «payé»? Les plus anciens gardent le souvenir respectueux de l‘engagement du groupe «Témoignage Chrétien» dans la défense du droit à l’indépendance du peuple algérien. Une question à Mélenchon et Laurent : si ce groupe demandait à rejoindre le Front de Gauche, vous refuseriez? Et si maintenant un groupe «Témoignage Musulman» se présentait avec la même demande? Allez savoir pourquoi je suis si sûr de la réponse dans les deux cas…
Nous menons suffisamment de combats communs contre le racisme avec le PG pour ne pas engager une seule seconde contre lui un mauvais procès. Mais, en ne prenant pas la mesure (lui comme le PCF) de la nature profondément xénophobe de la tempête médiatique créée par la droite contre le NPA, ils prennent une lourde responsabilité.
«Aurélie Filippetti qui demande à Besancenot de “relire Marx” n’a jamais dû le feuilleter»
Incroyable ignorance disais-je. Car derrière le terme de laïcité se cachent de nombreuses interprétations, et, en ce qui concerne la gauche, au moins deux principales.Aurélie Filippetti qui demande à Besancenot de«relire Marx»n’a jamais dû même le feuilleter pour faire un tel contresens sur le fameux«opium du peuple». Le principal de ce que dit l’illustre barbu dans ce texte est que« éxiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé à une situation qui a besoin d'illusions.». C’est le cœur d’une position constante: seul le combat commun sans condition préalable contre les racines du capitalisme permettra d’éteindre le besoin de religion. Mélenchon dit:«On ne peut pas débattre de ce qui relève de la vérité révélée ». Certes, mais justement, il s’avère que pour Marx la question se règle bien moins au niveau du nécessaire débat que de la lutte commune.Mélenchon dit encore«(…)tirer les leçons de l’histoire de France(…)parce que nous avons connu trois siècles de guerres de religions ». Bien sûr! Mais justement, ces leçons font débat.
Contrairement à Guesde, le point de vue de Jaurès (bien plus modéré politiquement, mais incontestablement plus proche de Marx sur ce terrain précis) lors du débat sur la loi de séparation en 1905, est qu’il faut non pas chercher à détruire la religion elle-même, mais à«la mettre de côté»pour ainsi dire. Et, selon la formule célèbre dans les rangs révolutionnaires (qui se retrouve dans les principes fondateurs du NPA, mais dont on ignore souvent l’origine), chercher à unir le prolétariat par-delà ses divisions nationales et religieuses (on y ajoutera depuis de genre, etc…).La loi de 1905 est celle de Jaurès, pas de ses adversaires au sein du socialisme. Etonnant, vraiment, que Mélenchon l’ignore à ce point!
L'interprétation que fait Mélenchon de la laïcité «est une construction mythique, totalement fantaisiste»
Il est vrai que domine souvent une interprétation particulière, celle (que reprend donc inconsidérément Mélenchon) de la laïcité comme un partage entre le domaine«privé»individuel — où je pense ce que je veux — et domaine«public»— où je me tais (« Elle a le droit de pratiquer, mais pas dans la sphère politique»comme il dit). C’est une construction mythique, totalement fantaisiste. Dès le vote de la loi de 1905, il est apparu que ça n’avait aucun sens. Dans l’année qui a suivi, des maires ont cherché à interdire les processions avant de se rendre à l’évidence. Si le droit au culte est destiné au«privé»individuel, autant dire qu’il est quasi clandestin. Il en découlerait aussi que tout parti ou syndicat faisant explicitement référence au christianisme devrait être interdit par la loi. La CFTC par exemple, laquelle pourtant participe à des processus électifs républicains (élections de délégués du personnel, des élus prud’homaux) et, à l’évidence, le parti chrétien-démocrate de Boutin devrait être interdit d’élection. C’est vraiment cela le programme du PG et du PCF? C’est intenable. On en viendrait nous aussi à interdire les minarets (mais aussi les clochers, je sais bien que nous ne ferions pas de différence…). Ce que règle la loi de 1905, donc la conception de Jaurès, c’est la séparation de l’État et des institutions religieuses par l’interdiction de tout mélange entre les deux. Il en ressort qu’aucun lien organique ne doit exister entre eux, et qu’en conséquence, l’espace public ne doit en aucun cas dépendre directement de décisions, de pressions, d’orientations fixées par les religions instituées. Les citoyens ont par exemple le droit de s’opposer à l’avortement au nom de principes religieux, mais c’est du vote de tous (en fait de la mobilisation de la société comme on le sait bien) que dépend le choix, pas d’un synode des évêques. Pas plus, pas moins.
Après (mais après seulement) le débat devient plus politique, en particulier à gauche. Que Boutin ait le droit de se revendiquer chrétienne n’implique nullement que nous à gauche qui nous battons au nom de valeurs universelles, mettions ce genre de critères en avant. Cette interrogation est légitime, mais le cheminement historique a quand même été marqué par l’évolution de courants chrétiens vers la gauche au nom même d’une vision du christianisme explicitement revendiquée. Là encore, vraiment étonnant que ni Mélenchon ni Laurent ne s’en souviennent. Ce mouvement a eu sa traduction politique avec un parti comme le PSU, mais aussi des adhésions massives au PC et à l’extrême gauche, puis au PS. On voit bien là vivre cette deuxième orientation, celle de Jaurès, qui continue à lutter contre les empiètements constants des religions comme institutions (et donc pour la laïcité), mais autorise les rapprochements avec des croyants qui se présentent explicitement comme tels, à condition bien entendu que la religion passe au second plan dans le combat commun.
Faut-il recommencer aujourd’hui le processus pour l’Islam (alors que les cléricaux catholiques, s’ils sont largement défaits, peuvent toujours en profiter pour rependre du poil de la bête), c’est un débat politique parfaitement acceptable (il a lieu au sein même du NPA et il est passionnant). Mais en son principe ce choix est possible au sein même du combat laïque. Décréter le contraire ne peut pas avoir d’autres significations que de bâtir justement un principe d’interdiction contre l’Islam en tant que tel, qu’on n’a pas mis en œuvre pour d’autres religions. Quand même, camarade Mélenchon, avant de confirmer un tel choix dont la gravité ne peut pas t’échapper, on y réfléchit à deux fois.