Portrait : Ilham Moussaïd. Cette étudiante d’origine marocaine, 21ans, est candidate NPA aux régionales. Et porte le foulard de la polémique.
Fichu foulard. Il a suffi d’un article du Figaro et d’une conférence de presse improvisée sur le Vieux-Port à Marseille pour qu’Ilham Moussaïd, candidate «voilée» du NPA aux régionales en Paca, déclenche une belle emballée médiatique. La jeune femme n’a pas encore 22ans et à peine un an de militantisme au sein du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot. Ennovembre, elle est investie par ses camarades du Vaucluse, en quatrième position sur la liste départementale. Dans l’indifférence générale. Trois mois plus tard, en plein débat sur l’identité nationale et quand montent les fantasmes autour du port de la burqa, les médias se jettent sur elle et son foulard islamique blanc, noué en chignon derrière la nuque. Dans la foulée, la classe politique hurle au non-respect de la laïcité, à l’atteinte aux valeurs féministes. Au milieu de tout ça, l’étudiante en BTS gestion se jure «laïque, féministe et anticapitaliste».
Essayons de comprendre. Le train s’arrête en gare d’Avignon. Foulard sur la tête, keffieh palestinien autour du cou, elle nous embarque dans sa 106verte, en compagnie de son camarade Abdel Zahiri, figure associative locale et militant remarqué du NPA. «Vous vous doutiez bien que ça allait faire du bruit, cette candidature?» leur lance-t-on. «Non! Franchement! On ne s’attendait pas à tout ça!» répond la jeune femme, grand sourire, un brin naïve, avec son mélange d’accent de Provence et d’Afrique du Nord.
Direction le siège du club de foot où Abdel officie comme bénévole. On s’installe dans une salle qui fait office de buvette. «C’est là qu’on fait aussi nos réunions.» On se pose autour d’une table en Formica. Elle s’asseoit, affiches NPA dans le dos, punaisées sur un poster du FC Barcelone. Ils tiennent à filmer l’entretien: pour se couvrir et garder une trace pour leur site internet. Elle dispose son carnet de notes surlignées de stabilo devant elle. La situation fait un peu media-training pour débutants en politique. On nous laisse en tête-à-tête. Elle hésite, bute sur les mots, s’excuse de n’avoir «pas l’habitude» des interviews.
De tout le vacarme autour de sa candidature, Ilham Moussaïd se dit «surprise» d’avoir vu «tous ces journalistes qui cherchaient à me rencontrer juste parce que je porte un foulard et non pas parce que je me présente comme militante. Or ça fait quatreans que je milite.» Depuis 2006, elle fait partie de l’association AJCREV (prononcez «Agissez! Rêvez!»), dont Abdel est l’un des fondateurs. Elle s’occupe de soutien scolaire auprès des gamins du quartier de laRocade à Avignon et organise des sorties culturelles. Viennent ensuite les manifestations contre la guerre en Irak, contre les «massacres de Gaza», où elle se rapproche des militants NPA.
Début 2009, celle qui avait voté Royal en2007, rejoint la dizaine de militants du «comité populaire» NPA d’Avignon.La jeune première enchaîne les actions: contre la loi LRU, contre la «privatisation» de la Poste, pour le boycott des produits israéliens dans les supermarchés… Au cours d’une formation NPA en Haute-Normandie, elle apprend «ce qu’est vraiment le capitalisme, la lutte des classes, les ouvriers,etc». Marx? Elle ne connaissait pas. Elle a commencé à lire un de ses bouquins mais ne se souvient pas du titre. La croyante ne craint pas de dire que c’est sa «foi» qui l’a «amenée au NPA» : la lutte contre les injustices, contre «l’argent roi»…
Besancenot et le NPA qui «draguent les musulmans et les quartiers populaires»? IlhamMoussaïdrétorque qu’elle ne représente pas la communauté musulmane. «On en a fait une femme objet. C’est méprisant»,déplore Nora, une de ses camarades au NPA. Reste qu’Ilham-la-candidate porte ce bout de tissu blanc qui rend visible sa croyance. Et dans une formation issue de la trotskiste LCR,aux dogmes laïques et féministes, ça dérange. «Mais je suis aussi féministe et laïque!»
Lorsqu’on parlait politique, les réponses étaient plaquées sur des formules à la Besancenot. Là, elle déroule, sincère, les yeux dans les yeux. «La laïcité, c’est la séparation de l’Etat avec l’institution religieuse. Je ne représente pas cette institution religieuse, assume Ilham. Je suis porteuse d’un projet politique qui est l’anticapitalisme.» Elle n’est pas en position éligible, mais si elle était élue, elle n’enlèverait pas son foulard. «L’abbé Pierre a bien siégé à l’Assemblée nationale en soutane.» Au diable le principe de neutralité républicaine.
Sur la question du féminisme, elle dit:«Je lutte contre les violences conjugales, pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le droit à l’avortement, à la contraception… Maintenant, il n’y a pas une manière d’être féministe. On n’est pas obligée d’avoir une minijupe.» Et tout ça même si le voile islamique est vu par ses détracteurs comme signe de séparation hommes-femmes et de domination des premiers sur les secondes. «Je ne suis pas soumise. Je n’ai pas un homme derrière moi. La preuve - pour cette célibataire - mes sœurs ne le portent pas.»
Mais pourquoi ce voile-symbole? On touche ici la limite de ses justifications. Un brin agacée: «C’est vraiment personnel. Je chemine encore. Je ne tiens pas à en parler et à me dévoiler sur ce point.»Une de ses amies d’enfance, Dicra, livre une explication: «On a tous notre crise identitaire. On est des déracinés. Ici on est étranger, là-bas aussi. Alors on se rattache à des valeurs humaines qui constituent un cheminement spirituel.»
Ilham Moussaïd est née à Ajdir, dans les montagnes marocaines, dernière de septenfants d’une famille d’origine berbère. Un père maçon, une mère au foyer. A 3ans, tous s’installent en France, à Avignon, dans le quartier de Saint-Chamond. Elle obtient la nationalité française à 18ans. Ses proches la décrivent «discrète» mais «déterminée». Elle se dit «curieuse», férue de reportages sur l’Egypte antique. Amatrice de rap, de r’n’b et d’Aznavour, elle danse dès qu’il y a «un brin de musique».
Elle a ce côté naïf et idéaliste de la militante débutante. «Peu importe» son futur métier, son «but est de militer pour que les choses aillent mieux».«Elle nous apporte de la fraîcheur», souligne son camarade NPA, Hendrik Davi. Par cette candidature, Ilham Moussaïd et ses camarades veulent aussi «poser le débat en France» : montrer que dans les «quartiers populaires», il y a des femmes comme elles, avec un voile ou pas, qui peuvent s’engager en politique à l’extrême gauche. «La société française a changé de visage et Ilham est une des composantes de cette mixité sociale», pointe son amie Nora. La critique s’adresse aussi à ses propres camarades: «Marx c’est Marx mais les adhérents du NPA en 2010, c’est pas pareil! lance la candidate. Il faut se rappeler pourquoi on est passé de la LCR au NPA: pour l’ouverture aux milieux populaires. On est un parti révolutionnaire, non? Et bien commençons par cette révolution-là.»
Par Lilian Alemagna.
Ilham Moussaïd en 7 dates :
15 juin 1988 : Naissance à Ajdir (Maroc).
2001 : Arrivée à Avignon.
2006 : Obtient la nationalité française.
2007 : Rejoint l’association AJCREV à Avignon.
Février 2009 : Entre au NPA.
Novembre 2009 : Investie candidate aux régionales sur la liste du Vaucluse.
Février 2010 : Polémique autour de son voile.