Il l'a donc fait. Olivier Besancenot avait prévenu depuis des mois qu'il rechignait à se présenter pour la troisième fois à l'élection présidentielle. Mais une grande partie de sa jeune organisation politique, le NPA, continuait d'espérer qu'il rempile. En vain: jeudi, il a envoyé une longue lettre à ses camarades pour leur annoncer sa décision.
Son principal argument est celui qu'il répétait depuis le début de son mandat de porte-parole de la LCR, puis du NPA, il y a dix ans: le refus de la trop grande personnalisation de la politique. «Il y a quelques années déjà, j'avais clairement prévenu que je ne comptais pas prendre un abonnement à l'élection présidentielle, parce que je n'aspirais pas à en être l'éternel candidat d'extrême gauche. Depuis de nombreux mois, je fais aussi partie de ceux qui mettent en garde notre parti contre les risques politiques de la personnalisation à outrance», écrit le facteur le plus célèbre de France dans la lettre (reproduite in extenso dans le Club, sur le blog de Velveth).
Il y rappelle aussi la contradiction pour une organisation qui prône à longueur de colonnes l'irruption sur la scène politique des couches populaires -et des dominés en général- à jouer une carte électoraliste en présentant le même candidat qu'en 2002 et 2007 au prétexte qu'il cartonne dans les sondages (entre 6 et 9% d'intentions de vote selon les instituts). «C'est risquer, à terme, de nous transformer en caricature de nous-mêmes, voire en alibi du système», prévient Besancenot.
Il voit aussi dans son renoncement l'espoir pour le NPA, en grande difficulté depuis un an, de se relancer. «Je revendique plutôt la possibilité, pour le NPA, de se lancer sur de nouvelles bases, conformes au projet d'émancipation qui, plus que jamais, m'anime. (...) Je vous demande d'être solidaires de ce choix, en le comprenant comme la volonté que le NPA puisse enfin se retrouver. Se retrouver non pas sur un nom familier mais sur une identité collectivement réappropriée», écrit encore le militant anticapitaliste.
En attendant, ses camarades sont sous le choc. Surpris, démunis et inquiets. D'autant que le NPA avait déjà délesté son leader du porte-parolat, en choisissant fin mars deux nouvelles figures, Christine Poupin et Myriam Martin pour prendre la relève. Les militants restaient convaincus que Besancenot accepterait, même en traînant des pieds, de se présenter une dernière fois, tant leur organisation est fragile. Lancé en fanfare en 2009, le NPA a depuis essuyé plusieurs échecs électoraux, avec une stratégie en solo face à l'alliance du Front de gauche, et perdu plus d'un tiers de ses troupes. Son dernier congrès, en février, s'était déroulé dans une atmosphère détestable, parasité par l'enjeu de la prochaine présidentielle et l'opportunité d'une candidature unitaire.
«C'est cohérent avec ce qu'on défend. Mais c'est certain que cela ne tombe pas au meilleur moment», réagit Myriam Martin. «Cela ne va pas nous simplifier la vie, parce qu'on avait un candidat perçu comme naturel avec une forte popularité et une légitimité incontestable. Il y a une vie après Olivier Besancenot, c'est évident, mais il faut digérer l'information», estime aussi Ingrid Hayes, membre du comité exécutif du NPA.
La direction a été prévenue officiellement mercredi, ses proches le savaient depuis le début de la semaine. Comme Pierre-François Grond: «C'est pas vraiment une surprise. Il ne répondait plus à nos questions. Au final, c'est un mélange de déception et de respect. C'était la solution la plus facile... Mais c'est un joli pied de nez à tous ceux qui sont attachés à la présidentialisation. Maintenant, il s'agit d'étudier les conditions pour assumer notre présence à la présidentielle.»
La surprise passée, voilà donc le NPA face à un nouveau chapitre de sa courte histoire, contraint de trouver rapidement un plan B. Le parlement du parti -le CPN- avait récemment opté pour une démarche de «rassemblement» à la présidentielle, portant les revendications du mouvement social et dans laquelle les partis politiques joueraient un rôle de second plan. Mais, en l'absence d'une figure qui aurait déjà émergé, le NPA était prêt à repartir sous ses seules couleurs à la présidentielle.
«On voit bien qu'une candidature du mouvement social laisse sceptique, il aurait fallu qu'un rassemblement politique large soit dans cette attente», dixit Grond. Restait l'option d'une candidature de Besancenot qui aurait pu assurer un score honorable à la formation anticapitaliste, et donc relancer l'organisation et faire taire les divisions internes.
Cette hypothèse exclue, tous les regards se tournent désormais vers les deux nouvelles porte-parole. «C'est une des possibilités qu'on va discuter», admet Myriam Martin. Avant d'ajouter: «Les élections, cela ne nous a jamais enchantés. La présidentielle est un enjeu majeur en France, mais pour des gens comme nous, qui sommes des salariés et des militants, on n'en rêve pas en se regardant dans la glace le matin! Mais on fera face.» «Ça arrive un peu tôt pour nous, on aurait préféré après 2012. Mais on sait qu'Olivier sera derrière celui ou celle qui sera choisie», explique Grond. Comme Alain Krivine avait en son temps accompagné le jeune Olivier Besancenot lors de sa première présidentielle, en 2002.
Autre piste, certes improbable: la conclusion d'un accord avec le Front de gauche. Les deux formations se sont rencontrées mercredi (mais sans Besancenot), sans évoquer la question de la candidature à la présidentielle. Francis Parny du PCF raconte: «Ils nous ont dit dès le début: "Avant que les choses ne se figent, voyons si nous pouvons nous mettre d'accord sur le programme et sur l'indépendance au PS". On a rapidement vu qu'il n'y avait pas d'obstacles insurmontables entre nous.»
Selon le négociateur communiste, «même sur le nucléaire, où on a des divergences en interne dans le Front de gauche, on a su se mettre d'accord en préconisant un débat public suivi d'un référendum...» Et de constater: «Au final, une seule chose nous divise, c'est la participation à un gouvernement. Pour eux, c'est non. Pour nous, c'est impensable si c'est pour mener le même type de politique que ces dernières années. Mais on pense qu'il est possible de bouger les lignes et impossible de désespérer le peuple. En tout état de cause, on ne peut pas construire de majorité politique si nous sommes d'accord sur la stratégie. Sinon c'est la cacophonie».
Pour Eric Coquerel, secrétaire national du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, «la discussion était très constructive, mais ils estiment que le PS sera en tête de toute façon, alors qu'on pense que rien n'est joué. Et le désistement de Besancenot repose plus clairement l'hypothèse d'une candidature de rassemblement de toute l'autre gauche qui aurait un espoir d'accéder au second tour...» Dirigeant du NPA, Pierre-François Grond a en revanche «entendu des sons de cloche très différents: toujours la même histoire, le PG et Gauche unitaire sont dans une opposition bien plus frontale au PS que les communistes, qui pensent déjà à la cogestion. Tout le monde pense que nos programmes ne sont pas compatibles avec celui des socialistes, surtout s'il est porté par le directeur du FMI, mais le PCF refuse de l'écrire.»
Cela dit, explique Myriam Martin, qui juge la rencontre «très positive», «on poursuit notre démarche de rassemblement», et une nouvelle rencontre pourrait être organisée courant mai. Au sein du seul NPA, le choix de la candidature devrait être discuté, voire tranché, dès le prochain conseil national du parti, les 14 et 15 mai prochains. Avant une consultation des militants en juin.
Pour surmonter leur déception, les admirateurs du désormais ex-candidat anticapitaliste à la présidentielle pourront écouter «le grand soir», un docu-fiction radiophonique mis en ligne mardi soir sur le site ArteRadio, dans lequel le réalisateur Alexandre Gamelin imagine la victoire de Besancenot à la présidentielle. Juste avant de prononcer son discours, le héros stresse et se dit: «Putain, le piège s'est refermé! T'es plus de gauche Olivier, t'es au pouvoir maintenant». Voilà au moins un cauchemar qu'il vient de s'épargner.
Stéphane Alliès, Lénaïg Bredoux.