NPA. Trois lettres, un nouveau sigle pour un nouveau départ. Sous l’impulsion de son porte-parole, Olivier Besancenot, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) va donner naissance, les 6, 7 et 8 février, au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Un parti que ses dirigeants veulent sortir de la marginalité, hisser à la hauteur de la popularité de leur leader, et dont ils entendent transformer l’image.
Les militants sont au rendez-vous du changement : près de 9 000 d’entre eux ont fait savoir qu’ils adhéraient à cette métamorphose en prenant la carte de ce nouveau parti d’extrême gauche. Besancenot et sa garde rapprochée peuvent savourer leur succès : ils ont presque atteint "le parti des 10 000", vieux mythe des années 1970.
Voilà presque deux ans que, par petites touches, les dirigeants de la "Ligue" préparent la mutation d’un groupuscule de la révolution en un parti des luttes et de la résistance. C’est au lendemain du 22 avril 2007 que le top départ du changement a été donné par le bureau politique de la LCR. Réunis dans leur local dissimulé dans une impasse de Montreuil (Seine-Saint-Denis), où s’entassent de petits bureaux encombrés et crasseux et l’imprimerie artisanale de Rouge, l’hebdomadaire de la LCR, les dirigeants trotskistes exultent à la vue des résultats obtenus au premier tour de l’élection présidentielle. Olivier Besancenot vient d’atteindre 4,1 % des voix, écrasant tous ses concurrents de la gauche radicale - Marie-George Buffet (1,93 %), José Bové (1,32 %), Arlette Laguiller (1,33 %), et Gérard Schivardi (0,34 %). Dans un contexte où le vote utile avait fortement pesé, le candidat de la LCR se paye le luxe de faire un meilleur score qu’en 2002, en enregistrant 1,5 million de voix, soit 280 000 de plus.
Olivier Besancenot est alors bien installé dans le paysage de la gauche française. "C’est un grand moment", souffle François Sabado, un des dirigeants historiques de la LCR. C’est lui qui coache depuis huit ans "Olivier", et il connaît les heures de travail derrière ce beau résultat. Pour lui, la preuve est faite que son champion s’est imposé pour durer. Il faut donc lui construire une organisation à son image : jeune, ancrée dans ces couches moyennes déclassées, révoltées par les inégalités, ne supportant pas Nicolas Sarkozy, aux indignations multiples et variées, des OGM à la publicité, des enfants de sans-papiers aux logiciels libres. La vieille "Ligue" a beau avoir recruté de nouveaux électeurs pendant la campagne, elle n’offre plus le cadre adéquat pour ces nouvelles révoltes. Il faut tout changer : le nom, le programme, le fonctionnement, les débats, les dirigeants, leur image. Pour ne pas renouveler l’erreur de 2002.
Cette année-là, Olivier Besancenot, alors jeune candidat inconnu de la LCR, à qui Alain Krivine avait laissé la place, avait fait une campagne dynamique et réussi l’exploit d’attirer 4,25 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Le choix de la "rupture générationnelle" avait marché, et même au-delà des espérances de la LCR. Le nouveau champion de ce mouvement se retrouvait derrière Arlette Laguiller (5,72 %) mais devant Robert Hue, le candidat du PCF (3,37 %).
Déjà, la "Ligue" avait vu affluer dans ses meetings ces nouveaux visages de jeunes salariés qui s’identifiaient à la révolte portée par le postier de Neuilly-sur-Seine. Déjà, les télévisions et la presse s’étaient piquées de curiosité pour ce nouveau venu à la gouaille percutante qui ringardisait soudainement les autres candidats de la gauche radicale. Déjà, les rangs de l’organisation ("l’orga") avaient grossi brusquement. Mais la LCR restait ce qu’elle avait toujours été : un groupe d’intellectuels et de militants quasi professionnels, avec des réunions interminables et une doxa trotskiste datée. Les nouveaux venus ne sont pas restés, les effectifs ont stagné, entre 2 500 et 3 000 adhérents.
Mais la donne politique va progressivement évoluer entre 2002 et 2007. La gauche, qui pensait apercevoir le bout de son tunnel d’échecs après ses bons résultats aux élections régionales de 2004, se déchire quand survient le débat sur la Constitution européenne, en 2005. L’aile radicale - PCF, LCR - va s’allier dans la "bataille du non" à la gauche des Verts, aux socialistes contestataires menés par Jean-Luc Mélenchon et aux républicains de gauche de Jean-Pierre Chevènement. Et après une campagne qui les a vus tout étonnés de pouvoir tenir meetings et discours communs, ils vont, grâce à l’apport de milliers de petites mains altermondialistes et antilibérales, faire basculer vers le non le résultat du référendum sur la Constitution européenne. C’est l’époque où la gauche de la gauche pense qu’il est possible de présenter un candidat commun à l’élection présidentielle qui suit.
La LCR sera la première à doucher cet élan collectif en déclarant qu’elle présentera son candidat, Besancenot. Parce qu’il est "le meilleur" pour capter l’électorat "noniste". Les accusations de "division" ou de "trahison" n’y feront rien. La LCR tient son champion et entend l’imposer malgré la concurrence. Ses militants sont les premiers à avoir senti que les discours raisonnables du PS ne passent plus dans le peuple de gauche. Avec le succès des mouvements altermondialistes, et, bientôt, la crise du capitalisme, l’utopie est de retour. Et Besancenot ne laissera personne lui voler cette opportunité.
Après sa consécration à la présidentielle 2007, le jeune porte-parole de la LCR veut pousser son avantage et donner un coup de balai à son organisation. En finir avec sa ligne de "front unique" qui lui faisait chercher sans cesse des alliances contre la droite et nouer des accords électoraux avec tantôt Lutte ouvrière (LO), les Alternatifs ou d’autres structures trop "floues" à ses yeux. Olivier Besancenot n’y a jamais cru, et ne veut plus avoir affaire à cette "vieille gauche". Lui qui avait fait ses débuts dans une tendance minoritaire reprochant à la direction de la LCR de n’être pas assez révolutionnaire est persuadé qu’après des années de vaches maigres et de scores marginaux, son heure et celle de ses camarades a sonné. A condition de changer de tactique et de s’affirmer.
Il va agir vite. En août 2007, le jour de l’ouverture de l’université de la LCR, les militants sont sidérés en découvrant le titre de "une" du Parisien : "Besancenot veut supprimer la LCR." Il calme le jeu en disant que ce n’est pas ce qu’il a déclaré, mais le message est passé. Le lendemain, en meeting, il précise sa pensée : "Se représenter seuls, c’est la clé." Il faut donc créer un nouveau parti, car "on ne peut faire du neuf avec du vieux".
Pour lui, la LCR doit rompre avec ses choix tactiques toujours liés à ce que dit le PS ou à ce que fait le PCF. Il ne cesse de répéter son credo à ses camarades : "Il est temps de tourner la page du vieux mouvement ouvrier pour écrire une nouvelle page vierge", et de regrouper "tous ces héros de la vie quotidienne qui n’ont plus envie de se laisser faire" Selon lui, il y a urgence : on est à la veille d’"un nouveau Mai 68", où la colère accumulée et les grèves qui se multiplient peuvent "mettre le feu à la plaine".
La nouvelle ligne, davantage gauchiste, fait tiquer les plus anciens, mais elle plaît en interne aux jeunes. La direction a compris que Besancenot veut accélérer. Après l’avoir formé, ses mentors regardent, un peu fascinés, leur poulain prendre de l’épaisseur et imprimer sa marque. Ils se rangent derrière lui, sachant qu’il ne sera jamais comme eux, tout dévoué à "l’orga". "Il est exclu que la Ligue fasse de moi ce que LO a fait avec Arlette", a-t-il prévenu de longue date.
Il n’a jamais cessé de marquer sa différence avec son camarade Krivine. Pas question de "signer pour vingt ans" comme candidat. Il revendique ses amitiés, même si elles font tiquer, comme lorsqu’il s’affiche avec Joey Starr, au discours pas toujours féministe. Il veut aussi préserver ses matches de foot, ses soirées fêtardes et sa petite famille. On ne touche pas à sa "part d’intime".
Besancenot ne change pas seulement le style ou les pratiques dirigeantes de la "Ligue". Il bouleverse aussi les références et l’imagerie politique. C’est désormais Che Guevara qu’il invoque régulièrement comme son héros, ou encore la tradition libertaire. Il en oublie Trotski, décidément trop old fashion. Et après L’Internationale, ce sont souvent ses "potes" rappeurs qu’on entend à la fin de ses meetings.
Il a installé son image "prolo", jeune salarié à 1 100 euros par mois. Cette faculté à ressembler à ses électeurs est son atout : "Un capital précieux dans une société minée par la crise de légitimité du personnel politique", analyse Denis Pingaud dans son ouvrage L’Effet Besancenot (Seuil, 2008). Le jeune leader travaille donc son image de poulbot d’extrême gauche au langage direct, qui veut rendre la politique accessible. Les discours et les émissions de télévision sont précédés d’un "training" minutieux. Des fiches lui sont régulièrement rédigées afin qu’il puisse sortir les bons chiffres, qui disent mieux qu’un discours les difficultés rencontrées par les "gens de peu".
Son "plan média" est résolument orienté vers le grand public. Interviews régulières au Parisien, à 20 Minutes ou à RMC Infos, apparitions dans l’émission satirique "Groland", sur Canal+, et même à un "Vivement dimanche", de Michel Drucker, sur France 2, diffusé le jour où Arlette Laguiller prononce son dernier discours à la fête de Lutte ouvrière. Les travailleurs, clame-t-il, ont besoin d’"un parti qui les défende jusqu’au bout". Et lui "ne lâche rien", étant "le seul à être totalement indépendant", viscéralement opposé à Nicolas Sarkozy, mais aussi au PS.
La recette fonctionne. Les élections municipales de mars 2008 ont vu les listes de la LCR s’implanter dans les terres communistes et jouer avec les nerfs des socialistes, en refusant d’appeler à voter pour la gauche au second tour. Besancenot a d’excellents résultats dans les sondages d’opinion, devançant même les leaders du PS. Les Français le trouvent "sympathique", "proche des gens", "courageux", "honnête". En septembre 2008, un an et demi après la présidentielle, s’ils avaient à revoter, 13 % des sondés lui donneraient leur suffrage (sondage Opinion Way des 17 et 18 septembre). N’en jetez plus !
Côté militants, le succès ne se dément pas. Depuis que la LCR a lancé des comités pour lancer un nouveau parti, les salles de réunion ne désemplissent pas. "On a choisi de se dépasser et on a réussi", claironne Pierre-François Grond, bras droit d’Olivier Besancenot. Jeunes salariés du privé, fonctionnaires, précaires, intermittents ou chômeurs, le public est varié. A côté des quelques militants aguerris dans l’altermondialisme ou le syndicalisme, la très grosse majorité sont des "primo-militants", comme les appelle Florence Johsua, doctorante au Cevipof. Une gauche plus ouvrière, plus jeune et plus rageuse : "Ils débarquent avec leur révolte brute", remarque-t-elle.
Ce sont des adhérents impatients qui veulent être sur tous les fronts, haïssent le PS qui "a trahi" et attendent tout du NPA et d’"Olivier". Trop peut-être. "Olivier a imprimé sa manière de voir, à marche forcée, sans prendre le temps de discuter les contours politiques du NPA, qui se limitent à l’annonce d’une volonté de "rupture". Tout cela au prix d’une dépolitisation certaine", souligne Christian Picquet, issu des rangs de la minorité, à la LCR.
La critique n’ébranle pas la foi des amis de Besancenot. Peu leur importe ! Les 9 000 cartes d’adhérents annoncées sont là. Le cap du "grand parti" est franchi.