Publié le Mercredi 26 août 2009 à 22h36.

NPA, année 0,5 (par Stéphane Alliès, www.mediapart.fr)

Après six mois d'existence, le NPA fait son premier bilan de santé. Réunis en université d'été à Port-Leucate (du 23 au 26 août), les militants anticapitalistes ont franchi une nouvelle étape de leur «parti processus permanent», comme aime à le définir leur porte-parole Olivier Besancenot.

Ce dernier a lancé dimanche soir dans un discours «à usage interne» la deuxième étape d'un parti qu'il veut désormais inscrire dans le temps long (lire notre compte-rendu).

Contrairement aux craintes de certains dans la direction du mouvement, l'ambiance est restée bon enfant, durant quatre jours d'ateliers et de bains de mers. Plus de monde encore que l'année passée (plus de 1.300 inscrits), un nombre de jeunes, de femmes et de catégories populaires jamais atteint par la défunte LCR. Mais encore beaucoup de débats à trancher. Tour d'horizon en quatre points cardinaux des problématiques anticapitalistes, qui se posent à une organisation encore en chantier (lire notre enquête) et se demandant comment durer, dans une situation sociale morose et un avenir électoral incertain.

Améliorer l'organisation interne:

A l'heure de l'apéro, on croise de grandes tablées informelles où se succèdent des prises de parole échangeant expériences locales et questionnements face à l'avenir. Région par région, les militants se retrouvent et parfois se découvrent. Avec la malice du vieux sage sachant faire la grimace, Alain Krivine explique: «On a suscité ces rencontres afin de faire prendre conscience qu'un peu d'organisation ne fait pas de mal. Il y a un basisme incroyable chez tous nos nouveaux adhérents, pour qui la seule unité de mesure militante valable reste le comité local. A la LCR, l'organisation par fédérations allait de soi, désormais il faut y aller en douceur. Et ce genre d'apéros le permet.» S'il regrette que certains «anciens» de la Ligue aient déserté le NPA, Krivine semble admiratif devant le renouveau générationnel et se dit partisan du temps long: «Il ne sert à rien de brusquer les choses.» Dirigeant du NPA, considéré comme le n°2 du parti, Pierre-François Grond résume l'état d'esprit: «Il faut sortir du climat euphorique qui nous a entourés de 2007 à notre congrès fondateur de février, et qu'on a peut-être contribué à alimenter. Face aux militants présents, qui sont un peu nos relais dans les comités locaux, Besancenot a ressenti le besoin de faire un discours de cadrage, pour dire qu'il convient de réapprécier la situation politique d'ensemble: la crise du capitalisme ne provoque pas forcément sa chute…»

A l'heure actuelle, le NPA compte environ 500 comités locaux, et le nombre d'adhérents est toujours estimé à quelque 9.000 («les départs de certains sont compensés par l'arrivée d'autres», assure-t-on). D'après la direction du parti, un besoin de formation supplémentaire remonterait de la base. La société Louise-Michel, cercle de réflexion théorique dirigé par le philosophe Daniel Bensaïd (figure trotskyste de la LCR) où l'on retrouve aussi le sociologue Luc Boltanski et l'éditeur Philippe Pignarre, devrait prendre en charge une bonne part de cette formation.

En revanche, la question de la nomination de nouveaux porte-parole est toujours remise à demain, malgré les états d'âme de Besancenot, qui confie son désir de ne plus être seul sur le devant de la scène. Grond se justifie: «On a fait émerger un paquet de nouveaux visages avec nos têtes de liste aux européennes, mais on a encore rien formalisé. On ne peut pas aller trop vite non plus, car sinon ce seront les plus expérimentés qui se démarqueront, c'est-à-dire pour majeure partie les anciens de la Ligue.»

Or, la prise en compte de la parole de la base est l'une des critiques les plus récurrentes que l'on entend dans les ruelles du village vacances des Carrats. Un membre d'Alternative libertaire ayant intégré la direction du NPA estime ainsi: «Avant les européennes, il y avait eu ce problème d'absence de prise en compte des attentes du bas vers le haut. Mais tout le monde avait été très discipliné. Ce coup-ci, avec les régionales, il faut arrêter de décider au sommet et interroger les militants, dont on ne connaît pas les aspirations du moment, unitaires ou pas.»

Les régionales encore dans le flou

Face à des militants échaudés d'avoir vu Mélenchon et Besancenot tenir conférence de presse commune, dans la foulée des européennes, annonçant l'hypothèse de listes communes, le NPA a voulu faire preuve de davantage de transparence. Lors d'un forum avec d'autres représentants de la gauche de gauche, Pierre-François Grond n'a pas caché s'être exprimé «surtout à l'attention de la salle, plutôt qu'à nos interlocuteurs. Les gens avaient besoin d'assister en toute transparence à la confrontation de nos divergences».

Sur la question stratégique, rien de bien neuf depuis juin, si ce n'est que le principe d'une consultation militante pour avaliser les accords électoraux semble acté. Pour l'heure, le NPA appelle à «une totale indépendance avec le PS», mais se prononce sur la possibilité de «fusion technique» avec les socialistes entre les deux tours (soit accepter de faire liste commune, mais sans participation aux exécutifs). Le Parti de gauche se dit prêt à suivre cette ligne, mais le PCF, qui détient un très grand nombre d'élus régionaux sortants participant aux exécutifs, gère ses contradictions, que d'éventuels rapprochements locaux PS/MoDem n'arrangeraient pas. En tout état de cause, l'un des dirigeants du parti, Patrice Bessac, plaide pour «la possibilité de mettre en œuvre des politiques de gauche».

Prenant l'exemple de la gratuité des transports en Île-de-France pour les précaires et chômeurs obtenue par les élus communistes, il insiste pour «prendre en compte l'efficacité de l'action politique». Ce à quoi Besancenot rétorque: «Nous avions obtenu la même chose en Midi-Pyrénées (1998-2004), avec des élus qui n'étaient pas dans l'exécutif.» PCF et NPA ont convenu de débattre publiquement du bilan des élus communistes en région. «Déjà on rediscute, et on espère qu'il n'y aura pas de leur part du dénigrement comme aux européennes, confie Besancenot. La gauche radicale ferait bien de s'inspirer de ce qui se passe au centre-gauche sur une chose: ils s'engueulent mais ne se fâchent pas, et ils n'oublient pas de penser à la suite.

Pour le porte-parole du NPA, «si l'on part ensemble aux régionales, chacun ne peut pas faire ce qu'il veut une fois élu. On ne veut plus mener une campagne collective qui crée de l'enthousiasme, et créer de la déception derrière. Comme au référendum sur la constitution européenne…»

Un rapprochement avec le parti de gauche et sans le PCF n'est pas à exclure, même si on semble méfiant chez les anticapitalistes. Obsédé par une perspective de candidature à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon parviendrait ainsi à démontrer qu'il est le trait d'union de la gauche radicale, capable de s'allier avec le PCF puis avec le NPA. A noter également, la présence au forum de Port-Leucate d'autres composantes associatives et politiques modestes comme les Objecteurs de croissance, le Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB) et les Alternatifs. Ces derniers font clairement l'objet d'une démarche de discussion, en vue d'une intégration dans le NPA.

Le rapport aux luttes sociales… et aux syndicats

La priorité demeure celle d'un parti de la colère, et le choix d'une implantation dans les entreprises est plus que jamais maintenu, notamment dans le privé. Le malaise avec la CGT, qui a refusé d'envoyer un représentant à Port-Leucate («une grosse bêtise», pour Grond), ne semble pas près d'être levé. Le NPA fait en revanche la part belle à des figures sociales des conflits locaux. Le leader des Molex, Alexis Antoine, a pris sa carte, le délégué CGT de l'entreprise bretonne SBFM, Pierre Le Ménahès, aussi (mais n'a pu faire le déplacement). Quant à Xavier Mathieu, le porte-parole des Continental qui a récemment traité de «racailles» la direction cégétiste, il est venu en voisin de ses vacances familliales de Port-la-Nouvelle, et est resté présent tous les jours, participant à de nombreux ateliers et nouant des discussions avec plusieurs militants.

Au vu des témoignages de la salle lors du débat avec Gérard Aschieri de la FSU et Annick Coupé de Solidaires, l'on se dit que le choix de la CGT n'est pas si incohérent. S'ils en ont reconnu les limites, les deux leaders ont défendu l'unité intersyndicale qui a orchestré les manifestations du printemps. Avec l'espoir de pouvoir construire une nouvelle étape avec l'organisation d'un référendum auto-organisé sur la privatisation de La Poste, le 3 octobre prochain.

Christine Poupin, l'une des dirigeantes du NPA, avait donné le ton dans son introduction, se référant comme lors des européennes au LKP guadeloupéen: «On se félicite du caractère unitaire des huit syndicats, mais cette stratégie n'a débouché sur aucun recul du gouvernement. Un mot d'ordre désormais: agir nous-mêmes, prendre des initiatives et participer à tous les fronts possibles, locaux et nationaux. »

Pêle-mêle, une grosse soixantaine d'interventions, pour la plupart de militants anticapitalistes syndiqués (pour la majeure partie à Sud ou à la FSU, quelques-uns à la CGT), ont illustré le ressentiment de la base face à leurs directions.

On retiendra celle de Valérie, institutrice à Bordeaux, «très inquiète par vos interventions, car on est en train de comprendre qu'on va revivre la même chose: entamer des journées de mobilisation en étant sûrs de perdre. Et on voit autour de nous de plus en plus de collègues bien plus offensifs, et des réseaux se mettre en place en parallèle des syndicats».

Véronique, du «NPA 93», ajoute: «Une mobilisation réussie, ce n'est pas être plein à marcher sous un ballon en perdant une journée de paye, c'est qu'on obtient des choses! Il n'y a même pas eu de soutien aux désobéisseurs de l'éducation nationale…» Marc, de Roubaix, estime lui qu'«il faut reposer la question de la démocratie dans les luttes, car il y en a marre de voir une manif géante se terminer par les huit mêmes qui se réunissent pour parler de la suite. Il faut inventer de nouvelles structures: coordinations, comités de grève, soviets, on les appelle comme on veut…»

Tête de liste aux européennes dans le Sud-Ouest, Myriam Martin (encarté à la CGT) interpelle à son tour: «Vous nous dites qu'un LKP ça ne se décrète pas et que ça se prépare. Oui, mais c'est le rôle des syndicats de lancer le coup d'envoi de la préparation en se disant prêts à faire un LKP…»

La lente construction d'un réseau anticapitaliste européen

François Sabado est content. Pour la première fois depuis que le représentant français de la Quatrième internationale s'occupe de coordonner une nouveau réseau européen, un représentant de Die Linke, candidat à la députation en Rhénanie-Westphalie, est présent. Rien de formalisé encore, mais des discussions qui progressent, vers une «Quatre et demie» elle aussi détachée de l'appareillage trotskyste.

Lors d'un atelier riche en intervenants étrangers, consistant en un état des lieux de l'extrême gauche non-communiste de combat au sortir des européennes, le NPA est apparu dans la bouche des partis frères anticapitalistes comme un modèle à suivre, ainsi que l'a déclaré l'allemand Andrej Hunko, qui «regarde avec envie la sociologie du NPA, avec tous ces jeunes et ces femmes». Chris Harman du SWP anglais s'est dit «admiratif de ne plus faire parti de la plus grosse organisation anticapitaliste d'Europe». Quant à l'espagnole Esther Vivas (Isquierda anticapitalista), elle voit dans le NPA «un point d'appui et une référence».

L'occasion de se rendre compte également du travail à accomplir, tant pour l'essentiel les représentants proviennent de petits partis en construction, dont l'audience est encore très marginale. Ainsi Eva Grozweska a narré la difficulté du Parti des travailleurs polonais à «gérer l'héritage complexe du "socialisme réel" et de "Solidarnosc", qui troublent fortement la conscience de classes». Seul le Portugal semble aujourd'hui surfer sur la vague de la réussite électorale, les révolutionnaires du Bloc des gauches escomptent doubler leur nombre de députés au Parlement lusitanien, soit une quinzaine d'élus espérés. Un score auquel le NPA n'est pas encore prêt à rêver…

Le 26 août 2009.