Depuis le 12 octobre, Olivier Besancenot, le facteur de Neuilly, est en grève reconductible. Malgré l’essoufflement du mouvement contre la réforme gouvernementale des retraites, le leader du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) promet des « rebondissements », dans une inerview au «Parisien Dimanche». Vous aviez prédit un nouveau Mai 68, et finalement le mouvement s’essouffle… OLIVIER BESANCENOT. Je n’ai rien promis car je ne lis pas dans une boule de cristal. Mais j’avais dit qu’on aurait besoin d’un nouveau Mai 68 aux couleurs du XXIe siècle. L’irruption de millions de personnes sur la scène sociale et politique, ça ne fait de mal à personne si ce n’est au gouvernement et aux capitalistes. La reconduction de la grève générale n’est d’ailleurs pas passée loin. La baisse de mobilisation jeudi dernier annonce-t-elle la fin du mouvement? Non : nous savions qu’en semaine de vacances, il y aurait moins d’affluence, mais il y a quand même eu du monde dans la rue. Trouvez-moi un autre pays où à sept reprises vous avez des manifestations avec deux millions et trois millions et demi de personnes. Mais la loi est désormais votée… La bataille du retrait n’est pas terminée. Il y aura plus de monde dans la rue le 6 novembre que jeudi dernier. Entre-temps, il va y avoir la rentrée des classes, donc peut-être la rentrée des grèves. On va voir ce que font les lycéens, ce à quoi va appeler l’intersyndicale… Attention à ceux qui crient aux victoires définitives, cela va rebondir. Les ressorts de la mobilisation sont inscrits durablement dans la période car cette révolte dépasse la question des retraites. En termes de fracture démocratique, cela me rappelle le référendum du traité constitutionnel européen. Il y avait un fossé entre ce que pensait une majorité de l’opinion et ce que pensait l’élite politique. La position du PS sur les retraites vous paraît-elle claire? Ce que j’ai compris, c’est que le PS était prêt à se mêler à une campagne unitaire pour défendre la retraite à 60 ans, en disant que la réforme du gouvernement n’était pas juste. On est d’accord sur le combat mais nos divergences commencent avec le projet. Dire, comme les socialistes, qu’il faut défendre la retraite à 60 ans tout en appelant à un allongement de la durée de cotisation, c’est illogique et totalement contradictoire. Surtout qu’aujourd’hui une majorité de salariés n’arrivent déjà même pas à faire les annuités demandées, à cause des licenciements, des plans de préretraite, des maladies professionnelles… C’est comme cela que l’on perd 15 % à 20% de pensions de retraite depuis 1993. A gauche, certains donnent maintenant rendez-vous à la présidentielle de 2012. C’est la suite logique du mouvement? Non, ceux qui misent sur le fait que la réforme passe dans l’impopularité pour ouvrir un boulevard à la gauche se trompent. Nous ne sommes pas à la fin du mouvement car Nicolas Sarkozy n’attendra pas 2012 pour continuer à taper. Si on ne l’arrête pas, il touchera aux RTT, aux congés payés, il y aura un plan d’austérité globale. L’issue de ce mouvement ne peut pas être seulement en termes d’alternance électorale. Il y aura plein de rebondissements au niveau social, politique, économique… Il y a trop de gens entrés dans la résistance pour que cela s’arrête là. Et l’affaire Woerth-Bettencourt n’est pas terminée. Qu’avez-vous pensé de la polémique sur les policiers qui, affirmait Jean-Luc Mélenchon, se déguiseraient en casseurs? C’est malheureusement une vieille tradition remise au goût du jour par le gouvernement. Nous avons vu des policiers avec des autocollants NPA. On leur a demandé de les retirer en leur disant que cela ne leur allait pas… Quand on veut créer le débordement, on s’y prend comme ça. Les organisations du mouvement ouvrier doivent rappeler aux forces de l’ordre que cela ne peut pas se passer ainsi. Et puis à 65 ans, 66 ans, les policiers vont être fatigués de briser des vitrines déguisés en casseurs! (Rires.) Ils feraient mieux de manifester… Les dirigeants européens veulent modifier le traité de Lisbonne pour instaurer plus de rigueur budgétaire et de stabilité financière. Comment allez-vous réagir? L’Europe des traités, on savait que socialement c’était une mascarade. C’est le nivellement par le bas, c’est la précarité, des millions de chômeurs dans une zone économique pourtant forte. Le dilemme des gouvernements, c’est que l’Europe retrouve sa place en rétablissant le taux de profit. Pour cela, ils s’attaquent aux acquis sociaux. Mais on peut imaginer une irruption des peuples pour demander la construction d’une autre Europe. On aimerait que ce soit l’embrasement collectif. Il y a déjà eu des « eurogrèves ». C’est embryonnaire, mais nous, on a intérêt à choyer ces mouvements. Car pour l’instant, la colère s’exprime et on n’est pas dans le temps de la résignation. Mais si la colère se transforme en amertume, cela peut partir dans tous les sens. Et on peut assister à un repli nationaliste, chauvin, xénophobe qu’on discerne partout en Europe. En France, on n’est pas à l’abri de ça! Jean-Luc Mélenchon ne vous a-t-il pas volé la vedette depuis quelque temps sur la gauche de la gauche? On m’a entendu et beaucoup ont constaté que le NPA a été remis en selle par les mobilisations sociales, qu’on était à l’aise, qu’on a trouvé toute notre place. J’ai passé mon temps dans les manifs à distribuer des billets de 500 € (NDLR : des tracts en forme de billets où le NPA s’attaquait à Eric Woerth et Nicolas Sarkozy). Jean-Luc Mélenchon, comme tous ceux qui se sont réclamés de la radicalité à gauche, va devoir se poser la question de ce qu’on fait maintenant. Il faut s’affranchir de la tutelle des partis institutionnels en disant qu’on ne sera pas partant pour une énième alternance de gauche où, au nom de l’unité, on servirait de caution à un gouvernement qui ne mènera pas une politique de gauche. Le NPA a connu un trou d’air après son mauvais résultat aux régionales. Il en est sorti? On a été confronté à un échec électoral, mais on l’a assumé, on en a parlé. Aujourd’hui, il y a de nouvelles demandes d’adhésion au NPA et on sent un regain des idées anticapitalistes. On avait aussi alors parlé du « blues de Besancenot »… Vous savez, le blues, ce n’est pas ma musique préférée. Moi je suis plutôt hip-hop. J’ai lu beaucoup de choses qui m’ont fait sourire. Mais je suis un militant. Penser que j’ai pu vouloir arrêter la politique, c’est franchement mal me connaître !
Propos recueillis par Rosalie Lucas et Philippe Martinat.