«Il y a six ou sept ans, la LCR avait impulsé une action systématique dans les entreprises, qui commence à porter ses fruits aujourd'hui. L'idée, c'est de parvenir à la même implantation dans les quartiers populaires.» Olivier Besancenot en a fait l'une des priorités de la structuration du NPA, au terme de ses six premiers mois: après le rajeunissement et la féminisation de l'organisation, investir les banlieues, appelées «quartiers populaires» en langage anticapitaliste.
Lors des universités d'été de Port-Leucate (Aude, du 23 au 26 août), cinq ateliers étaient consacrés à cette problématique, dont un réunissait les représentants des principales associations dites de quartiers (Tarek Kawtari du MIB, Salah Amokrane du Takticollectif – ex-Motivé-e-s –, Mohammed Mechmeche d'AC le feu et Kamel Tafer du Mouvement social des quartiers) et les dirigeants du NPA. Olivier Besancenot et Omar Slaouti, enseignant à Argenteuil (Val-d'Oise) et tête de liste aux dernières européennes, ont écouté la méfiance des cités, s'exprimant par l'usage des termes «Vous et nous», pour définir la délicate relation aux partis politiques: «Il y a un vrai traumatisme par rapport à la récupération politique des années SOS Racisme. Ils nous parlent encore de Julien Dray qui vient de la Ligue. Mais moi, je n'avais même pas encore commencé à militer à cette époque.»
Le réchauffement des relations est toutefois en marche. Salah Amokrane a même reproché au NPA de ne pas avoir invité l'un des siens à monter sur la tribune du meeting d'ouverture du dimanche 23 août, aux côtés de syndicalistes (lire notre compte-rendu). «On ne va pas se raconter d'histoires, admet Olivier Besancenot, il y a un passif entre nous. Au point que je n'imaginais même pas que vous étiez prêts à intervenir à nos côtés. Mais je m'en félicite, car pour nous, vous êtes des militants politiques.» Si la volonté de reprendre le dialogue est claire, rien de concret ne ressort de la discussion.
A la fin de la réunion, Abdel Zahiri prend la parole. DJ de 29 ans, ce membre du NPA milite à AJCREV dans le quartier de la Rocade d'Avignon. Au micro, il laisse exploser son irritation: «Salah, Mohammed, Tarek, vous faites chier! La vérité, vous flippez! Vous nous ressortez toujours le même discours. Faut franchir le pas! Le NPA, vous faites chier aussi! Vous n'arrêtez pas de dire: "Il faut s'implanter dans les quartiers populaires." Faites-le!»
Même si cela doit prendre du temps, le nouveau parti anticapitaliste a déjà posé quelques bases en banlieue, adaptant certains fondamentaux trotskystes de la LCR, comme la laïcité ou le féminisme, à la réalité de terrain.
Depuis un an maintenant, une commission «quartier populaire» s'est mise en place dans le NPA, prenant la forme d'une liste de diffusion de 200 personnes, dont une centaine est réellement active. L'un de ses responsables, Omar Slaouti, évoque «un petit laboratoire où s'échangent les expériences militantes de toutes les couleurs et de tous les âges». Une dizaine d'équipes militantes ont déjà vu le jour, et sont «chouchoutées par la direction», selon les termes d'Olivier Besancenot: «On épaule les initiatives au maximum, on reste attentif et on gère les clash. Et pour l'instant, ça tient bien. En tout cas, ça n'a jamais tenu aussi longtemps.»
Pour Omar Slaouti, «il ne s'agit pas de refaire le coup du tournant ouvrier des années 70 et de demander à s'implanter en banlieue, mais de réduire le hiatus qu'il y a entre nos bons résultats électoraux et la réalité de notre présence sur le terrain. D'autant plus que les "quartiers" sont un miroir grossissant des conséquences des politiques libérales de l'Etat. Il y a dans ces quartiers une alchimie qui peut provoquer une explosion, comparable à la colère des salariés licenciés. Mais il n'y a pas de patronat dans les cités, alors ce sont les voitures qui brûlent».
La question centrale reste celle des moyens humains et de l'effectif militant, encore faibles dans les cités. «Pour l'instant, on intervient surtout de façon traditionnelle mais volontariste, explique Omar Slaouti, en allant tracter sur les marchés et en faisant du porte-à-porte. C'est déjà une façon de montrer qu'on n'abandonne pas l'endroit, même s'il y a parfois des craintes.» Lors du débat, Danielle Obono, une militante noire de 29 ans, met les pieds dans le plat en verlan: «Le 1er mai, tout le NPA est dans la rue, mais une semaine plus tard pour commémorer les massacres de Sétif, il y a "sonneper"!»
Cette présence militante est l'un des axes de la politique volontariste du NPA, afin de ne plus tomber sous le coup de la critique émise par Salah Amokrane à l'ensemble de la gauche radicale: «On était avec vous pour le Non à la constitution européenne. Ça, quand on doit venir sur vos luttes, il n'y a pas de problèmes. Mais pour que vous veniez sur les nôtres, c'est moins évident.» Kamel Tafer précise: «Les mobilisations ne sont jamais aussi fortes sur les bavures policières que pour se battre contre l'emprisonnement de José Bové…»
Reste un dilemme: vaut-il mieux s'implanter en suscitant des vocations et un recrutement directement dans le parti, ou en travaillant avec les associations déjà en place? Pour réinvestir le territoire militant, le NPA entend «développer les collectifs avec les assos déjà existantes, pour participer à un réseau face à un événement particulier, comme une bavure policière ou des expulsions». A la rentrée, les anticapitalistes promettent de participer en nombre aux campagnes contre les violences policières et de préparer activement dans les quartiers la marche des précaires et chômeurs prévue en septembre.
Comme l'indique Abdel Zahiri, «Besancenot a la cote en banlieue, on est quasiment les seuls à pouvoir afficher sans problème. Mais maintenant il faut qu'il se fasse le porte-voix des injustices, comme quand il va à la sortie des usines. Pour relayer la colère. Il faut bosser avec les assos, y participer comme on se syndiquerait et voir si on peut faire adhérer, mais sans en rajouter. Moi, je n'ai encore jamais dit: "Vote NPA!" à quelqu'un dans mon quartier. Mais je dis ce qu'on fait et ce qu'on veut. Et si ça lui plaît, il peut nous rejoindre.»
Lesdites associations se posent aujourd'hui la question de l'organisation politique, qu'elles débattront fin septembre lors d'un Forum social des quartiers. L'hypothèse d'un parti des banlieues «ne choque pas» Besancenot, qui évoque la «possibilité d'alliances, comme avec n'importe quel autre partenaire politique, afin de renforcer et élargir l'espace démocratique». Tarek Kawtari du MIB a d'ailleurs été invité spontanément le matin par le porte-parole du NPA au débat du soir sur les régionales, où il se déclara «ouvert à une participation aux élections», partageant selon lui avec la gauche radicale «l'envie de tuer le PS». Kamel Tafer explicite: «Hors de question de faire alliance avec la gauche caviar et la gauche sioniste.»
Même le parti de gauche du laïcard Jean-Luc Mélenchon suscite la rancœur, que les intervenants semblent prêts à surmonter, «mais il ne faudra pas nous demander d'être tout en rondeur avec eux pendant la campagne», explique-t-on au MIB. Car le «passif» entre gauche de gauche et associations de quartier portent essentiellement sur des valeurs jusqu'ici non négociables de la LCR trotskyste, sur les questions de la religion et de la place de la femme.
Pour Omar Slaouti, qui est un ancien de la Ligue n'ayant jamais participé à la direction, l'ouverture à une population pour partie musulmane n'est pas une si grande révolution culturelle: «La LCR était déjà une organisation souple et pas ultra-dogmatique, capable de s'adapter au moment.» Et de botter en touche quand on l'interroge sur une évolution certaine des mentalités laïques et féministes, permettant entre autres la mise en œuvre d'un menu Ramadan servi spécialement à une dizaine de militants à Port-Leucate avant et après le soleil ou la présence de militantes voilées: «Ici, il y a des musulmans croyants. Mais il pourrait aussi y avoir des chrétiens qui pourraient faire carême. Soyons clairs, on ne demandera jamais à quelqu'un d'enlever son foulard, mais on ne fera pas l'impasse non plus des discussions sur le sexisme…»
Figure de la LCR des années 70, le philosophe Daniel Bensaïd approuve: «Cela pose la question de ce qu'on veut. Si l'on veut ouvrir la politique à ceux qui en sont privés, il faut être attentif. Par exemple, on s'est rendu compte que le prochain Conseil national aurait lieu pendant l'Aïd-el-Kébir. C'est vrai que ça ne nous serait jamais venu à l'esprit de l'organiser le jour de noël.» Daniel Bensaïd a longuement discuté avec Abdel, et s'avoue «bluffé» par son dynamisme. Il faut dire qu'il a du bagout, Abdel.
Connu de quasiment tout le monde, capable de s'en prendre violemment à Gérard Aschieri (secrétaire national de la FSU) lors d'un débat sur la rentrée sociale, comme de parler franchement de la «formation dans les deux sens» qu'il appelle de ses vœux dans le NPA. «Moi, quand je viens aux universités d'été, je me déguise en Arabe, lâche-t-il mi-rieur mi-sérieux dans sa djellaba. Mais en vrai, je ne m'habille jamais comme ça chez moi. Seulement, ça permet d'habituer les gauchos, en confrontant les pratiques et en laissant de côté les passions. Ça permet de gagner du temps. Dans l'autre sens, moi j'ai besoin de formations sur le marxisme et tout le bordel, car ça m'intéresse et je n'y connais rien.»
S'estimant content de l'orientation du NPA dans les quartiers («l'an dernier, il y avait un sous-débat dans une salle pourrie, cette année, c'est cinq réunions, des figures des banlieues qui viennent et Besancenot qui s'implique»), Abdel Zahiri estime qu'«on a passé des caps importants sur la laïcité».
Il dit: «Moi je suis pratiquant, je ne crois pas à Darwin et je pense qu'il y a un dieu. Mais ça ne change rien au combat politique. Le voile, c'est un symbole de soumission de la femme, c'est vrai. Mais ça peut aussi être un symbole de ta foi. On a beaucoup de débats avec les féministes. Elles ont raison à 100%, mais elles ont surmonté plein d'a priori et certaines ont fait partie de ceux qui ont négocié les repas pour qu'on puisse faire ramadan.»