1. Le premier élément marquant de ces élections est l’abstention. 60 % du corps électoral n’a pas participé au scrutin soit plus de 26 millions d’inscrits. Les premières études montrent une sociologie, une géographie, et une démographie particulières : près des trois-quarts des 18/25 ans ne se sont pas déplacés, une écrasante majorité des classes populaires, en particulier les ouvriers, n’ont pas voté ; les périphéries urbaines se sont abstenues lourdement ; là encore près des trois quart d’abstention dans une série de communes ouvrières significatives.
Cette abstention massive est un phénomène européen. Il touche tous les pays de l’Union, de l’ouest comme de l’est, les nouveaux entrants se signalant par des taux d’abstention encore plus forts. Ceux-ci n’expriment pas seulement un désintérêt mais aussi pour partie un rejet de la construction actuelle de l’Europe ainsi rendue illégitime : l’Europe capitaliste de Bruxelles n’est ni sociale, ni solidaire, ni démocratique. Elle ne protège pas de la crise, elle l’accélère. Elle se construit dans le dos des peuples et contre les volontés populaires exprimées lors de referendum. L’union européenne sort de cette élection frappée par une illégitimité démocratique.
Ceux et celles qui paient les premiers les frais de la crise forment les gros bataillons de l’abstention. On peut donc l’interpréter comme l’expression d’une colère et d’un rejet à la fois de la crise du système capitaliste, des gouvernements européens, et des institutions européennes mais que nous ne sommes pas parvenus à faire s’exprimer en positif.
Ce climat abstentionniste a été entretenu par le pouvoir, peu combattu par le PS. La campagne officielle a été une caricature. Une inégalité grotesque de répartition du temps (le PRG 20 minutes…sans liste et sans consigne de vote !) a été organisée par le CSA. Pas de débat contradictoire sauf le jeudi avant le scrutin qui a vu s’affronter Bayrou et Cohn-Bendit dans un sommet de politique politicienne…Tout pour éloigner encore plus électeurs et électrices.
En France, comme ailleurs, on a donc peu utilisé le bulletin de vote pour exprimer sa révolte, ce qui a évidemment joué un rôle dans notre campagne et sur notre score.
2. Cette abstention s’explique également par le contexte social. Une élection européenne entre le 29 janvier et le 19 mars n’aurait pas eu le même résultat tant en dynamique sociale de campagne qu’en résultat politique. Or, à partir du 1er mai, nous avons connu une inversion de la courbe ascendante de la mobilisation dont les directions syndicales portent l’essentiel de la responsabilité. Sciemment les mobilisations ont été décommandées ; sciemment la crise a été désinvitée de la campagne. Au plus grand bénéfice de Nicolas Sarkozy.
Pourtant de nombreuses luttes ont continué à s’exprimer. Que l’on pense aux Continental, Caterpillar, Good Year .. ; et beaucoup d’autres qui se battent pied à pied contre les licenciements. Dans certaines boites, des succès ont d’ailleurs étaient remportés même si c’est ce cas de figure n’est majoritaire loin s’en faut. Les universités, le secteur de l’énergie connaissent la plus longue grève de leur histoire, dans les hôpitaux des mobilisations fortes s’expriment.
Mais toutes ces luttes sont isolées, éparpillées et manquent de débouché d’ensemble. D’un mouvement prolongé de grèves et de manifestations. D’une marche contre les licenciements par exemple. Qui toutes deux ne peuvent jouer leur rôle de construction d’un rapport de force réel, que si elles sont impulsées par des cadres unitaires et des équipes syndicales.
Les problèmes posés par la construction de telles mobilisations font l’objet d’un point particulier au CPN.
3. Les résultats expriment également une poussée des droites et une crise très profonde de la social-démocratie. Victoires de la droite dans les principaux pays de l’Union : Royaume-Uni, Allemagne, Espagne , Italie, Pologne…et poussée de formation populiste, nationaliste ou d’extrême droite : Pays-Bas, RU, Italie, Autriche, Hongrie…Le FN n’a pas disparu du paysage et a réussi à réélire certains de leurs députés. La crise économique peut permettre une nouvelle éclosion de l’extrême droite ce qui implique de suivre sérieusement ce phénomène.
En France, Sarkozy veut profiter de l’occasion pour pousser les feux sur les contre-réformes annoncées : travail du dimanche, réforme des territoires, éducation, retraites… alors que la victoire de l’UMP claironnée dans les médias n’est pas si évidente. L’UMP arrive en tête mais se trouve très isolée, sans réserve, sans alliés…si ce n’est la faiblesse des adversaires. Cette poussée de la droite européenne est évidemment à mettre en rapport avec l’abstention. Lorsque les plus fortunés, les plus âgés votent massivement alors que les autres ne se déplacent pas, le résultat est connu d’avance.
Mais au delà de ce phénomène, la crise économique pour l’heure ne déstabilise pas la droite, qui parvient à faire voter sa clientèle, alors que la social-démocratie incapable de se dégager du libéralisme et d’incarner une alternative de politique économique paie le prix de ses compromissions.
Le PSE a été le moteur de la construction européenne actuelle en particulier depuis la présidence de commission de Delors. A ce titre elle porte la co-responsabilité (avec le PPE) de l’Europe telle qu’elle s’est construite de l’Acte unique au traité de Lisbonne. Elle a créé un monstre anti-démocratique et anti-social. Qui aujourd’hui la dévore. Incapable de structurer un discours oppositionnel conséquent, elle subit partout en Europe des revers et devient fragile face à l’émergence de constructions politiques nouvelles de type « démocrate » ou écologique qui lui dispute le centre-gauche et l’appelle à se dépasser à l’italienne vers des formations « démocrates à l’américaine». Risquons le pari que s’exprime ici une tendance lourde en France comme en Europe.
4. La poussée verte, forte en France, mais également présente dans d’autres pays de l’Union, est en fait l’événement de cette campagne. Un événement qui s’est construit dans les derniers jours de la campagne sur fond de polémique avec le MODEM. Dans ce vote, il y a d’abord une confirmation : l’émergence de l’écologie comme une des questions fondamentales du XXI siècle. Les électeurs ont considéré cette question comme déterminante et l’Europe comme une échelle pertinente pour la transformation écologique de la planète.
L’union des écologistes réalisés par Cohn-Bendit était habile et parfaitement adaptée à cette élection (Eva Joly, Bové…). En revanche, faute de débats contradictoires, c’est une véritable entourloupe qui s’est produite. C’est le courant le plus libéral, le plus investi dans les institutions européennes, qui capte cette préoccupation en jouant sur une fausse radicalité mais en défendant un aménagement écologique du capitalisme.
Pourtant, on ne peut être écologiste sans remettre en cause radicalement le système capitaliste. L’écologie radicale est la seule capable de faire face à la catastrophe qui menace la planète. Il s’agit de lui donner une place centrale et une meilleure visibilité dans notre orientation générale et dans notre profil.
Par ailleurs, l’union des écologistes a profité de la crise du PS, de la bourde de Bayrou pour gagner pour cette élection la bataille du centre-gauche. La géographie du vote (les centre-villes) est éclairante de ce point de vue.
Désormais, nous sommes entrés dans une phase de recomposition visant à faire surgir une majorité de gouvernement d’alternance à Sarkozy.
5. Une phase de recomposition qui va également percuter un Front de gauche qui a 6,5 % des voix. Par son alliance avec Mélenchon, la direction du PCF a réussi à freiner son déclin pour cette élection en sauvant ses élus et en conquérant deux nouveaux. Le score est pourtant à peu près égal à celui de 2004.
Le refus d’une alliance durable et indépendante du PS va désormais être confronté à des tests plus concrets : la gestion des régions avec le PS où le PCF est totalement associé et solidaire par ses votes des majorités de gestion constitués. Le double discours va donc devenir intenable, par exemple sur le terrain des subventions accordées aux entreprises privées qui licencient.
Le Front de gauche n’est pas l’événement de la campagne, il ne réalise pas de percée réelle, mais parvient à contenir notre progression. Plus structuré, plus âgé, l’électorat du PCF s’est massivement mobilisé pour le scrutin et a, beaucoup moins que nous, été frappé par l’abstention.
A noter que pendant la campagne les divergences se sont confirmées. Sur le plan des mobilisations sociales, le Front de gauche a collé à la stratégie des directions syndicales sans aucune critique et avec un appui marqué à Thibault. Le soulèvement de la Guadeloupe, la lutte exemplaire du LKP, n’ont pas vraiment soulevé d’enthousiasme Mélenchon et la direction du PG qui ont systématiquement expurgé des déclarations unitaires toute référence à cette grève générale…dans un territoire colonisé par la République française. Enfin, les professions de foi des têtes de lites du Parti de gauche ne comprenaient pas les passages communs du Front concernant l’immigration et les sans-papiers.
6. Notre campagne est à l’image de notre parti avec ses forces et ses faiblesses, son dynamisme et son absence d’expérience. Disons le tout suite : le score est plutôt satisfaisant au vu de la situation d’ensemble. Nous regrettons de ne pas avoir au moins un (ou une élue) ce qui s’est joué à 0,2% dans le Nord - Ouest.
Il représente un socle solide et nous disposons de réserve de sympathie, d’audience et donc de vote qui se traduiront dans des échéances plus mobilisatrices. Le fait que 73 % des électeurs Besancenot ne se sont pas déplacés le 7 juin, indique que notre électorat et nouveau, instable et qu’il y a un décalage entre l’écho rencontré par nos idées et nos forces réelles.
Le suffrage universel, c’est le temps long ; il ne suffit pas d’un congrès de fondation réussi, d’une bulle médiatique très exagérée et finalement malveillante autour de nous, pour remplacer le travail patient d’implantation dans les entreprises, les quartiers populaires, les zones rurales et la jeunesse. Cette campagne est arrivée vite sur nous après notre congrès et dans un contexte de mobilisation, ce qui explique le retard à l'allumage de notre campagne.
Nous savons que bien des camarades sont déçus au regard des espoirs qu’ils avaient, mais sans que nous fassions la moindre autosatisfaction le score nous ramène à la réalité des rapports de force. Nous avons eu du mal à tout faire et surtout à lier luttes sociales et campagne politique. Des discussions ont lieu sur la difficulté que nous avons eu à toucher, convaincre les abstentionnistes jeunes et des classes populaires comme sur celles que nous avons eues dans la gestion des rapports avec la liste du Front de gauche. Sans doute aussi avons-nous eu du mal à exprimer la nécessaire dimension anticapitaliste du combat écologiste et la seule réponse cohérente et crédible à la crise écologique, l’alternative socialiste. Comme nous n’avons peut-être pas assez défendu l’union socialiste des travailleurs et des peuples d’Europe pour laquelle nous militons.
C’est une discussion politique qui en fait commence, qu’il est indispensable de mener partout pour que nous puissions collectivement dégager les leçons de cette campagne.
7. De façon plus générale, les enseignements politiques de ces élections à l’issue de la première vague de mécontentement et de luttes contre la crise globale du capitalisme sont importants. Derrière l’autosatisfaction de la droite, se dessinent les éléments d’une accentuation de la crise sociale et politique. La majorité présidentielle est minoritaire, nettement. Son opposition parlementaire, élément indispensable de stabilité politique, est explosée, instable et sans politique. C’est momentanément la force de Sarkozy mais, à moyen terme, sa faiblesse au moment où les mirages de la reprise disparaissent derrière l’approfondissement de la récession.
Le pire est devant nous, même le gouvernement le reconnaît. La menace d’une explosion sociale est bien là, alors que Sarkozy a lui-même vidé tant son opposition parlementaire que l’opposition syndicale de leurs forces. Crise sociale et politique pourraient se conjuguer mettant le pouvoir en position difficile.
Rien ne dit que c’est ce qui se produira. Néanmoins ces données viennent vérifier la pertinence de l’initiative qu’ensemble nous avons prise de créer le NPA comme instrument de renaissance du mouvement ouvrier sur des bases anticapitalistes autour d’un projet de transformation révolutionnaire de la société. Ces premiers mois légitiment notre projet dans le même temps qu’il lui donne un socle solide.
Cette campagne électorale a permis de favoriser l’ancrage et l’implantation du NPA.
8. Maintenant, que faire ? Dans l’immédiat et dans la mesure du possible avant la coupure des vacances, il nous faut prendre le temps de capitaliser le gros travail politique que nous avons, les uns et les autres réalisé. C’est indispensable pour consolider les acquis de cette campagne, capitaliser les efforts accomplis. Et, dans le même temps réfléchir à nos axes d’intervention pour la rentrée.
A quelques semaines de la coupure des vacances, il est certes difficile de les déterminer. Mais quelques éléments que nous pouvons déduire de la situation :
- La rentrée sera dominée par le développement de la crise. Il est difficile d’anticiper les rythmes de ce développement, les nouveaux éléments qui prendront le dessus mais les répercussions pour les travailleurs et les classes populaires seront extrêmement dures. Et sans chercher à prévoir les rythmes d’une remontée sociale, l’accentuation de la crise la prépare et crée un terrain favorable à l’émergence d’une nouvelle conscience anticapitaliste. Et donc de notre influence.
- Sarkozy va profiter d’une nouvelle phase de faiblesse de l’opposition et de la main tendue des directions syndicales, pour forcer le rythme des contre-réformes : les lycées, le travail dominical, les territoires et donc les services publics, la privatisation de la Poste sont, entre autres choses, dans le collimateur. Sur le plan écologique une relance du Grenelle ( ?) serait à l’étude du côté du pouvoir. Autant d’éléments qui doivent susciter de notre part la création ou l’insertion dans des cadres de riposte unitaires adéquats. A suivre également une manifestation nationale pour les droits des femmes en octobre, ainsi que des initiatives autour du chômage et de la précarité. L’initiative au moment du sommet de Copenhague sur le climat également. Le second débat du CPN doit traiter spécifiquement de cette situation
- Continuer les efforts de construction d’une gauche anticapitaliste européenne. Un ou une élue aurait été un levier efficace mais la nécessité de poursuivre l’action engagée s’impose. A partir des résultats obtenus au Danemark, Portugal ou Irlande. L’Europe est pour nous un cadre indispensable de développement et d’action sociale et écologique. C’est le rôle de la commission « Europe » de poursuivre ce travail.
- Consolider et implanter le NPA : Trois priorités ont été fixées au congrès : les entreprises, les quartiers populaires, la jeunesse. Nous proposons d’organiser en début d’automne dans chaque région des stages régionaux sur ces questions de construction (ainsi que sur la préparation des régionales). Ils doivent être préparés par le CPN. Une commission du CPN peut se mettre en place, en lien avec le CE, pour les préparer et proposer un ordre du jour et un cadre de travail précis au CPN de septembre.
- Enfin, les prochaines élections régionales sont prévues début mars. Il serait évidemment absurde de se mettre en campagne dès maintenant. C’est la mobilisation contre les effets de la crise qui va dominer la situation. En revanche, tout un travail de préparation est à commencer dès maintenant afin de pas être bousculé par le temps, et de ne pas subir les initiatives des autres. Il faut également apprendre à gérer les luttes et les campagnes politiques de manière articulée, complémentaire. Pour l’heure nous proposons les tâches suivantes :
- La mise en place d’un groupe de travail sur le mode de scrutin, les compétences des régions, le bilan de la gestion des 22 régions (dont on sait que 20 sur 22 sont gérées par le PS et dans un grand nombre de cas avec le PC, les verts…). Il y a tout un travail à effectuer sur les subventions au privé, les services publics, la démocratie, à partir d’exemples concrets.
- Un mandat est donné au CE sur les démarches unitaires autour d’un positionnement politique clair. :
- une proposition de rassemblement autour d’un programme anticapitaliste portant les exigences des travailleurs et des classes populaires face à la crise, en particulier l’interdiction des licenciements, adressée à toutes les forces se réclamant d’une alternative anticapitaliste (LO, Alternatifs, Fédération, PG, PCF),
- le choix de l’indépendance et le refus d’entrer dans des coalitions de gestion du système et des régions, un bilan critique de la gestion des 6 dernières années, la possibilité d’accords (qui excluent évidemment le MODEM) au second tour pour battre la droite mais sans accord de gestion. Il s’agit d’une orientation générale qui n’exclut pas l’ensemble des cas de figure qui peuvent se poser (fusion, maintien de nos listes, désistement, abstention…). Ce positionnement politique devra être affiné lors du CPN de septembre.
- Que les stages de l’automne consacrent une partie de leurs travaux aux élections régionales. Nous proposons que ces stages se tiennent le week-end des 10 et 11 octobre.
En conclusion, un gros travail est devant nous de développement d’un mouvement social contre le gouvernement et le patronat, de construction d’une alternative anticapitaliste à la crise et de consolidation et de construction du NPA.