Atelier de l'Université d'été 2015, cycle « Figures du mouvement ouvrier ». Chen Duxiu peut être présenté comme un homme aux vies multiples, et à la fois traversée par une constante : celle du rejet de toutes les formes d'oppression et de soumission. Tour à tour journaliste, enseignant, conspirateur, membre de gouvernement, chef d'un parti révolutionnaire, chef de l'opposition dans ce même parti révolutionnaire, les rejets qui ponctuent son itinéraire et son engagement intellectuel sont autant d'étapes historiques : l'Empire mandchou et l'Ancien régime, Confucius, l’impérialisme et le stalinisme.
Chen Duxiu, de son vrai nom Chen Qiansheng, fut à la fois le principal fondateur du parti communiste chinois et la figure la plus emblématique du mouvement trotskiste chinois, écrasé par trois vagues successives ou simultanées d'ennemis ligués ou séparés : la bourgeoisie nationaliste alliée aux impérialistes, la Troisième Internationale stalinienne et le Maoïsme.
Laissons Chen se présenter lui-même, tracer l'essentiel de son parcours en quelques phrases. Lors de son procès devant la cour suprême en 1933 qui le verra condamné à 13 ans de prison, il fit une déclaration, qui fut recopiée de main en main et qui connut alors, au vu de sa popularité, un énorme écho en Chine, et qui commençait ainsi « pendant 55 ans, j'ai lutté contre la monarchie mandchoue et les seigneurs de la guerre contre l'idéologie féodaliste et l'impérialisme ; luttant et faisant de la propagande pour l'objectif de reconstruction de la Chine, je me suis consacré à la cause de la révolution depuis le temps de ma jeunesse et plus de trente ans se sont écoulés depuis. Dans les temps anciens, c'est-à-dire au cours de la période qui a précédé le mouvement du 4 mai (1919), mon travail était essentiellement concentré dans le milieu de l'intelligentsia. Par la suite, j'ai tourné toute mon attention vers les masses laborieuses des ouvriers et des paysans. Sous la poussé de la révolution internationale après la guerre européenne et des conditions internes, il est tout à fait naturel que j'aie opéré un tel tournant ».
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Chen Duxiu naît en 1879 (la même année que Trotsky), dans une famille peu aisée de lettrés à Anquing, dans la région du Anhui, (région dans l'est de la Chine, dans le bassin du fleuve Jaune, à mi-chemin entre la Chine du Nord et la Chine du Sud, région rurale, plutôt pauvre).
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A quoi ressemble la Chine à la fin du 19ème siècle ?
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C'est déjà le pays le plus peuplé du monde, avec plus de 430 millions d'habitants, dont la majeure partie est constituée par une paysannerie très pauvre, qui vit dans des conditions proches de celle du moyen-âge, en engraissant des poignées de gros propriétaires terriens. La famine est alors encore monnaie courante dans les campagnes chinoises. A cette misère sociale, s'ajoute une misère culturelle, puisque 95% de la population est analphabète. La situation des femmes est terrible : pieds bandés, mariages arrangés, aucun espace de liberté n'est autorisé puisque les familles vivent dans une seule pièce, les jeunes doivent la soumission aux anciens, le moindre écart social est puni de terribles sévices.
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Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la Chine n’a eu que des relations très limitées avec l'Europe. A cette époque, les rapports de la Chine (« empire du Milieu »), au monde, sont étroitement influencés par l’idéologie confucéenne : l’univers est un tout, à l’intérieur duquel les phénomènes s’ordonnent selon une hiérarchie précise et immuable. L’empereur, Fils du Ciel, accomplit les rites indispensables au maintien de l’harmonie universelle. Placé au sommet de la société civilisée, la civilisation étant identifiée exclusivement à la civilisation chinoise, il joue le rôle du père de famille tant pour ses sujets chinois que pour les peuples dits barbares. Dans cette conception, la tradition ne distingue pas la politique intérieure de la politique extérieure, les mêmes règles fixant les rapports entre les hommes dans la famille, au niveau de l’État, ou dans la communauté internationale. Les relations extérieures traditionnelles avec les autres pays d’Asie sont alors fondées sur un système tributaire : les États tributaires reconnaissent la supériorité de la civilisation chinoise par l’envoi à Pékin de missions périodiques, porteuses de présents. Pour Pékin, ce système implique également de limiter les contacts directs entre les Barbares et la population chinoise, afin d’éviter la contamination des m?urs civilisées et de préserver la paix de l’empire céleste .
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L’empereur est secondé dans sa tâche par les « mandarins », (expression occidentale désignant les hauts fonctionnaires lettrés), éduqués dans la tradition confucéenne, et recrutés à l’issue de concours extrêmement difficiles. Ils ont en charge l’administration, tant centrale que provinciale, de l’empire et forment une véritable caste bureaucratique.
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Depuis 1644, la dynastie impériale est entre les mains de l’ethnie mandchoue. Lors de leur prise de pouvoir, les conquérants mandchous s’imposent aux Chinois Han comme des maîtres à leurs esclaves, chassant les paysans de leurs terres des environs de Pékin afin que les aristocrates mandchous puissent constituer des domaines privés, interdisant les mariages mixtes, et exigeant des Han, sous peine de mort, le port de la natte sur crâne rasé. Couper sa natte et laisser pousser ses cheveux est considéré comme un signe de rébellion. C’est par exemple ce que font les Taiping, société secrète qui, au milieu du XIXe siècle, lance une vaste insurrection antimandchoue qui ébranle fortement le pouvoir dans le Sud de la Chine, pendant une quinzaine d’années, avant d’être écrasée. Ce sera d'ailleurs la dernière grande tentative de résoudre la crise politique et sociale par des moyens « traditionnels » de renversement dynastique.
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C'est un pays qui s'ouvre de manière forcée au capitalisme international lors des deux guerres de l'opium 1840-1842 puis 1858-1860 et qui entraîne la prise directe de morceaux de territoires par les pays impérialistes, nommées « concessions ». Les grandes puissances européennes puis le Japon se rendent maîtres de gros morceaux de territoires et après qu'elles se sont assurés de la soumission de la dynastie mandchoue, elles aident celle-ci à mater les moindres révoltes populaires. L'impérialisme développe les premières usines en Chine, la concentration industrielle se fait de manière accélérée, notamment dans le sud de la Chine, un prolétariat industriel urbain surgit en quelques années.
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Chen Duxiu est élevé de manière inflexible par son grand-père mandarin ce qui l'amène à haïr très vite le carcan idéologique de l'enseignement des classiques chinois, notamment le confucianisme. En 1896, il est admis aux examens du premier degré du mandarinat. Alors qu'il doit rédiger une dissertation en huit parties à propos d'une citation d'un auteur classique suivant des règles canoniques érigées au Moyen-Age, (le bagu), il raconte qu'il obtient son examen en alignant des passages complets d'une anthologie de noms rares d'oiseaux et de bambous datant du 6ème siècle qu'il connaissait par c?ur ! Il est donc sélectionné pour les examens régionaux « du deuxième degré » qui se passent à Nankin... là les candidats sont enfermés pendant plusieurs jours dans des espèces de cages dans lesquelles ils doivent manger, dormir, faire leurs besoins tant qu'ils n'ont pas rendu leur copie... qui sont de fait des pavés abscons de paraphrases apprises par c?ur auparavant...Il racontera l'anecdote d'un des candidats circulant nu, dans l'allée en plein soleil entre les cellules, récitant par c?ur sa dissertation jusqu'à la folie. Il n'est pas reçu à ce deuxième niveau. Et il sort de cette phase de sa vie avec une haine farouche du système éducatif traditionnel et un profond sentiment de révolte : «quelles souffrances de tels animaux allaient-ils infliger à mon pays et à son peuple sitôt que le pouvoir leur serait confié » ? C'est la révolte cruciale de la jeunesse de Chen Duxiu, qu'il raconte lui-même dans une autobiographie inachevée qu'il écrit en 1936 alors qu'il est emprisonné dans les geôles du Guomindang. Il se convertit alors au réformisme porté par certains hauts-fonctionnaires de l'époque comme Kang Youwein et Liang Qichao qui remettent en cause le confucianisme et défendent une modernisation de l'enseignement et de l'administration, causes principales selon eux de l’arriération chinoise.
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Il renonce aux examens, et de fait à un emploi dans la fonction publique et donc plus fondamentalement à la place qui lui revenait de droit dans l'ordre social traditionnel. Entre 1898 et 1901, il se marie (un mariage arrangé par sa mère), il aura trois fils, dont deux mourront assassinés par le pouvoir nationaliste après la révolution de 1927. Il se forme alors en autodidacte à pleins de savoirs différents, notamment à la construction navale et au français. Il apprendra également par la suite le japonais, l'anglais et... l'esperanto ! C'est lors des ses premiers séjours au Japon entre 1901 et 1903 qu'il rentre en contact avec le monde moderne et les idées d'émancipation. C'est en fréquentant l'école normale de Tokyo qu'il commence sa formation d'intellectuel révolutionnaire. Ses premiers ennuis avec les autorités chinoises datent de 1902 lorsque, lors d'un bref retour en Chine, il ouvre à Anquing un centre des Archives à destination des étudiants pour y propager les idées nouvelles qu'il a découvert au Japon. Au Japon même, il fonde avec une vingtaine d'étudiants chinois influencés par Sun Yat Sen, lui-même en exil au Japon à ce moment-là , (Sun Yat Sen c'est le leader révolutionnaire historique du mouvement nationaliste bourgeois anti Mandchou, qui a tenté un coup d'Etat en 1895) « l'association de la jeunesse »... C'est pour avoir couper la natte d'un indicateur envoyé par le pouvoir chinois pour surveiller les étudiants partis au Japon que Chen Duxiu doit quitter précipitamment celui-ci !
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Durant les quatre années qui suivent, de 1903 à 1907, il démarre sa carrière de journaliste révolutionnaire, mène une activité subversive conspiratrice et refait de plusieurs petits séjours au Japon. Dans ces années-là se forge aussi le vrai début de sa pensée personnelle pour soustraire la Chine au carcan mandchou et la libérer de la tutelle étrangère : il faut diffuser de l'information et faire évoluer les mentalités, bousculer la résignation profonde du peuple chinois.
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C'est d'abord effectivement par sa plume de journaliste que Chen Duxiu va se faire connaître. Il écrit d'abord dans un journal de Shanghai « le Guomin Ribaro », le National ; c'est le procès du confucianisme qu'il tient alors dans ses articles, « ces superstitions » qui maintiennent la Chine en esclavage depuis 3000 ans. Une chose importante, c'est un journal rédigé en langue vernaculaire, qui parle du reste du monde, d'économie, des techniques... et publie des romans-feuilletons (par exemple, une traduction arrangée des Misérables faite par Chen Duxiu lui-même). Le journal est vite fermé par les autorités. Chen Duxiu rentre donc chez lui dans le Anhui et décide de publier un journal du même type : « le Quotidien du Anhui » qui tirera jusqu'à 1000 exemplaires. Il écrit alors sous le pseudonyme de « Trois Amours » des articles autour de ses trois thèmes de prédilection : la patrie, l'émancipation intellectuelle et le développement du pays. Il bagarre notamment contre la main mise étrangère sur les mines du Anhui mais aussi contre l'ordre établi, notamment contre le sort réservé aux femmes dans la Chine traditionnelle, surtout la coutume barbare du bandage des pieds encore en vigueur à cette époque-là. Chen Duxiu est alors surtout focalisé par une nécessaire révolution « culturelle » ou « intellectuelle ». Il ne fait aucun raisonnement sur le plan politique, quel type d'institutions politiques par exemple il faudrait pour la Chine après le renversement de la dynastie mandchoue mais surtout, il fait du peuple chinois, une entité homogène, sans aucune distinction de classes. Par contre, il se démarque de la plupart des intellectuels réformateurs qui prônent une restauration de la dynastie des Ming par racisme anti-mandchou. C'est pour cela qu'il n'adhère pas à la Ligue Jurée qui s'organise alors en 1905 autour de Sun Yat-Sen (Le Tongmenghui) qui axe son action sur trois principes : le nationalisme (indépendance, lutte contre l'impérialisme étranger et la domination mandchoue), la démocratie (établissement d'une république) et le bien-être du peuple (droit à la propriété de la terre égal pour tous).
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Mais ce n'est pas pour autant que Chen Duxiu refuse de s'engager dans l'action révolutionnaire directe puisqu'il fréquente un groupe partisan des attentats « Ansha Tuan » (groupe d'assassinats) avec lequel il apprend la manipulation des explosifs, puis fonde lui-même à Anquing une société secrète « la société du roi Yue » qui tente une insurrection dans la ville en 1907. L'échec de celle-ci conduit Chen Duxiu a repartir pendant un an au Japon. C'est de ces années-là que datent ses contacts avec Can Yuapei, intellectuel libéral, influencé par l'anarchisme et futur recteur de l'académie de Pékin après la révolution de 1911 et qui permettra à Chen Duxiu de devenir doyen de la faculté des lettres durant plusieurs années.
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Il rentre en Chine, à Hangzhou, où il enseigne à l'école primaire militaire le chinois puis l'histoire-géographie. C'est là qu'il apprend la nouvelle de l'insurrection de Wuchang, la première révolution chinoise, le 10 octobre 1911, qui marque la chute de l'empire et l'avènement « officiel » de la première république chinoise. L'empire est tombé comme un fruit mûr après une révolte d'une garnison et le refus d'autres troupes dépêchées sur place de la mater. Mais aucune intervention des masses dans cette révolution... du coup, le vieil appareil civil et militaire des provinces continue à exercer le pouvoir sur une base locale et sur un plan social, aucune classe, aucun groupe, n'émerge pour transformer le pays, résoudre la crise agraire, regagner une indépendance nationale et créer la force nécessaire pour résister aux pressions et incursions des puissances impérialistes. Rien à voir avec les révolutions bourgeoises occidentales où la classe capitaliste naissante avait pu consolider son pouvoir en mettant fin aux rapports féodaux sur les terres. En Chine, cette classe s'identifie trop avec ces rapports pour pouvoir aider la paysannerie pauvre à sortir de ses difficultés. L'une des rares manifestations populaires du changement apporté par 1911 est la disparition de la natte.
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La république n'est qu'un nom pour la Chine d'après 1911, le pouvoir passe aux satrapes provinciaux et régionaux qui maintiennent le système social existant. La pression sur la paysannerie se renforce, ainsi que l'intrusion impérialiste. Les différentes puissances régionales qui se forment sont chacune sous la coupe de puissances impérialistes : la France accentue son contrôle sur le Yunnan et le Kwangsi du sud, le Royaume-Uni sur les vallées des grands fleuves. La Russie et le Japon se partagent secrètement les provinces de la Mandchourie. Cela débouche sur une accentuation des guerres entre gouvernements rivaux téléguidées par les puissances impérialistes.
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Les intellectuels révolutionnaires qui avaient conspiré avec tant de ferveur à la chute de la monarchie sont, au mieux absents de la suite des évènements, au pire servent d'utilitaires aux cliques militaristes qui ont réellement pris le pouvoir. Les parlements et les constitutions qu'ils élaborent n'ont aucune réalité mais sont des ornements pour le pouvoir des cliques militaires au gré des circonstances. Ainsi Sun Yat Sen qui revient triomphalement d'exil à la fin de l'année 1911 est nommé président provisoire de la toute nouvelle république proclamée à Nankin au début de l'année 1912... mais en réalité c'est un général, qui veut fonder une nouvelle dynastie, Yuan Shi Kaï qui prend le pouvoir à Pékin. Sun Yat Sen fonde le Guomindang, qu'il définit comme un parti « socialiste modéré » en 1912 et remporte les premières élections législatives... Yuan Shi Kaï dissout le parlement, interdit le Guomindang et Sun Yat Sen est contraint de nouveau à l'exil !
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Pour Chen Duxiu l'année 1911 marque un tournant important puisqu'il participe au gouvernement révolutionnaire du Anhui au moment de la chute de l'empire, et en avril 1912 il devient l'un des principaux administrateurs de la province qui lutte contre la culture et le trafic de l'opium et lance un programme de construction d'écoles. Mais la main mise sur le pouvoir par Yuan Shi Kaï sonne le glas de cette expérience, Chen Duxiu est contraint de fuir vers Shanghaï pour se cacher. C'est un véritable exil intérieur que vit Chen Duxiu jusqu'en 1913. Comme la plupart des intellectuels sincères, l'échec de la révolution de 1911 est pour lui un véritable coup de massue... S'en suit une grosse année de retrait de la vie politique, Chen Duxiu écrit un manuel d'anglais et un manuel de philologie ! Il fait un ultime séjour à Tokyo entre mai 1914 et l'été 1915, séjour aussi décisifs que les précédents.
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Alors que ses conditions de vie matérielles sont très difficiles (il subsiste en tenant une petite librairie fréquentée par des étudiants chinois), Chen Duxiu sort de son abattement et renaît à la lutte. Mais sans se rapprocher de Sun Yat Sen, qui tente de regrouper les exilés dans un nouveau parti. A cette heure, Chen Duxiu ne voit pas l'intérêt d'un parti politique... car il est dans le fond, profondément rétif à un modèle politique dont il ne peut s'agir qu'à ce moment-là que des institutions politiques bourgeoises plaquées des modèles occidentaux, dont on a vu la mise en place totalement ratée en 1911 dans une Chine encore féodale, arriérée.... Sans vouloir anticiper la suite de son parcours politique, quelque part le refus de Chen Duxiu d'emboîter le pas à Sun Yat Sen est préfigurateur de sa conversion future au marxisme car il cherche déjà du côté du peuple la solution au problème... même si à ce moment-là c'est encore de manière impressionniste, « morale » ; Il fréquente un cercle « l'association d'étude des problèmes européens », qui publie un journal « le Tigre », dans lequel Chen Duxiu assène la nécessité absolue d'en finir avec Confucius pour faire renaître la Chine : pour lui, les révolutionnaires de 1911 ont trop misé sur le renversement de la dynastie, sur les moyens militaires (dont il se méfiera tout le reste de sa vie) mais n'ont rien fait pour la transformation des mentalités à une échelle de masse. C'est à ce moment-là que Chen adopte son nom de plume « Duxiu », le nom d'une montagne de sa région natale, qui veut dire « beauté solitaire ».
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Revient alors le moment d'agir. Chen Duxiu repart pour Shanghaï. Le 15 septembre 1915 paraît le premier numéro du Magazine de la Jeunesse (Qingnian Zazhi) bientôt rebaptisé La nouvelle jeunesse et sous-titré en français « la Jeunesse ». Ce journal va faire l'effet d'une bombe dans la jeunesse étudiante, à Shanghai, à Pékin, dans les capitales provinciales, jusqu'au Japon. On peut constater en lisant les biographies des grands noms du communisme chinois que la plupart des engagements révolutionnaires débutent à l'époque de la Jeunesse. Chen Duxiu fait figure d'aîné, à presque 40 ans d'une génération qui est en train de découvrir la force des idées d'émancipation. C'est un « appel à la jeunesse » qui ouvre le première numéro, véritable manifeste : « nous devons abattre les vieux préjugés, la vieille façon de respecter les choses en place, avant de chercher à espérer un progrès social. Nous devons nous débarrasser de nos vieilles méthodes. Nous devons assimiler les idées des grands penseurs de l'histoire, ancienne et contemporaine, à notre propre expérience, pour poser les bases de nouvelles conceptions politiques, morales et économiques. Nous devons créer l'esprit d'un âge nouveau adapté à un contexte nouveau et à une société nouvelle. Notre société idéale est honnête, progressiste, positive, libre, égalitaire, créative, belle, bonne, pacifique, coopérative ; elle est difficile mais elle rend la majorité du peuple heureux. Nous voyons que le monde actuel est hypocrite, conservateur, négatif, répressif, injuste, étriqué, laid, faux, déchiré par les guerres, cruel, mou, triste, pour le plus grand nombre, heureux pour une minorité. Ce monde, nous le regarderons tomber en ruines, jusqu'à ce qu'il disparaisse de notre vue. J'espère que ceux d'entre vous qui sont jeunes seront conscients et combatifs. Par conscience, j'entends conscience de votre puissance et de votre responsabilité et de la façon dont vous les assumerez. Pourquoi je pense que vous devriez vous battre ? Parce qu'il est nécessaire pour vous de vous servir de toute l'intelligence dont vous disposez, pour vous débarrasser de ceux qui ont perdu leur jeunesse et qui pourrissent. Considérez-les comme des ennemis et des bêtes ; ne vous laissez pas influencer par eux, ne vous associez jamais avec eux. Oh ! Jeunes gens de Chine, serez-vous capables de me comprendre ? La moitié de ceux que je vois sont jeunes par l'âge mais vieux dans leur mentalité...lorsque cela se produit dans un organisme, cet organisme crève ; lorsque cela se produit pour une société, cette société meurt. Une maladie de ce genre ne peut se soigner par des lamentations ; seuls ceux qui sont jeunes, et en plus courageux, peuvent en venir à bout... pour survivre, il nous faut la jeunesse qui débarrassera de la corruption. C'est là que réside l'espoir pour notre société ».
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Cet appel va ouvrir l'ère de la seconde révolution chinoise. Au moins 200 000 exemplaires de ce premier numéro sont vendus dans tout le pays. Chen Duxiu s'entoure de nombreux collaborateurs : Hu Shi, Lu Xun, Zhou Zuoren, Li Dazhao (futur co-fondateur du PCC avec CH DX et qui sera exécuté en 1927 par la contre-révolution) parmi les plus importants... Sont dénoncés dans la Jeunesse les mariages arrangés, la servitude des femmes, le respect étouffant dû aux aînés, sans oublier les 3 maux majeurs : « bureaucrates, militaires, politiciens ». En février 1917, la Jeunesse publie un manifeste de Hu Shi en faveur de l'usage littéraire de la langue parlée et des genres combattus par la tradition comme les romans et les nouvelles.
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Cette même année, 1917, Chen Duxiu est invité par Cai Yuanpei, le nouveau recteur de l'université de Pékin à prendre la tête de la faculté des lettres. C'est une véritable consécration nationale pour Chen Duxiu. Toute l'équipe de la Jeunesse s'installe à Pékin du coup. Chen Duxiu et Li Dazhao fondent un autre journal, la semaine Critique en parallèle de la Nouvelle Jeunesse pour y traiter davantage de politique. C'est dans cet organe que Li Dazhao salue la révolution d'octobre puis commence à rassembler autour de lui le premier noyau marxiste de l'université de Pékin. Un numéro spécial de la Jeunesse est consacré au marxisme et au bolchevisme au printemps 1919. Et ce sont finalement l’accélération des évènements politiques et sociaux qui vont définitivement entraîner Chen Duxiu dans la voie du marxisme révolutionnaire. L'appel à l'action lancé en 1915 par son manifeste est bientôt favorisé par un faisceau de circonstances ouvert d'abord par la première guerre mondiale puis par la révolution russe et l'ensemble de la vague révolutionnaire.
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En 1915, le Japon tente de profiter de la guerre pour imposer toutes les demandes qui auraient réduit de fait la Chine à l'état de colonie japonaise et les troupes japonaises occupent la province du Shantung. Lors du traité de Versailles, les grandes puissances européennes avalisent cet état de fait... cela déclenche un véritable soulèvement dans la jeunesse étudiante de Pékin le 4 mai 1919. 3000 étudiants se rassemblent place Tien an Men, les domiciles des ministres pro-japonais sont attaqués, le mouvement s'étend à tout le pays, et prend une dimension nouvelle avec des grèves ouvrières, notamment une semaine de grève générale à Shanghai du 6 au 12 juin.
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A la fin de l'année 1916, il y avait déjà près d'un million d'ouvriers en Chine. Plus de 200 000 ouvriers chinois sont envoyés en Europe durant la guerre. Beaucoup d'entre eux y apprennent à lire, à écrire et entrent en contact avec les ouvriers européens et connaissent le niveau de vie supérieur de l'Europe. Ceux qui rentrent au moment de l'affaire du Shantung refusent de descendre à terre dans les ports japonais. Beaucoup jouent un rôle moteur dans les grèves du printemps 1919. La répression est vive. Chen Duxiu est arrêté le 11 juin 1919 en train de distribuer des tracts à Pékin. Mais son arrestation soulève un émoi général. Une véritable campagne pour sa libération a lieu, il est libéré au bout de 80 jours et du coup, il part immédiatement pour Shanghai par peur de se faire assassiner par les sbires de la clique au pouvoir. La Jeunesse est de toute façon interdite à Pékin en septembre 1919, il est temps d'aller planter le drapeau ailleurs.
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Le temps s'est accéléré pour les masses, comme pour Chen Duxiu qui après vingt ans de cheminement intellectuel personnel et un engagement sans faille au service des opprimés devient en quelques mois marxiste et l'un des fondateurs du parti communiste chinois. L'intelligenstia chinoise qui se convertit au marxisme est beaucoup plus marginale que celle de sa devancière russe à la fin du 19ème siècle et aussi plus précipitée. Pour Chen Duxiu c'est incontestablement sa rencontre avec le prolétariat industriel de Shanghai qui a montré sa puissance dans les grèves de 1919 qui vient clore le cycle de sa réflexion : qui sera en mesure de faire franchir à la Chine le pas qui la sortira de son état d'oppression et d’arriération ? Chen Duxiu répond en 1920 : le prolétariat ! Tout comme l'émergence de la classe ouvrière chinoise avait été produite par l'importation directe de capital étranger et d'équipement industriel dans un pays arriéré et semi-colonial, le développement du mouvement marxiste chinois est une prolongation directe de la révolution russe, passant par dessus des siècles de pensée sociales occidentales et de traditions de la social démocratie.
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La Nouvelle jeunesse est relancée à Shanghai après 5 mois d'interruption. Chen Duxiu écrit en décembre 1919 que le « militaro-étatisme » et le « ploutocratisme » doivent être éliminés en raison « des crimes sans nombre auxquels ils donnaient lieu partout » et il affirme la nécessité d'un « mouvement populaire pour la transformation de la société » tout en déclarant qu'il rompt définitivement avec tous les partis et factions politiques d'hier et d'aujourd'hui »... Moins de 7 mois après le 4 mai, il perçoit l'urgence de créer une formation révolutionnaire d'un type totalement nouveau.
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C'est tout naturellement que les premiers communistes chinois font de Chen Duxiu leur chef. Alors que celui-ci, à près de 40 ans, n'a aucune expérience de construction d'une organisation révolutionnaire. Il n'a encore jamais adhéré au moindre parti politique ! C'est en concertation avec Li Dazhao, à qui est toujours à Pékin et qui est déjà acquis à la cause, que Chen Duxiu franchit les dernières étapes, c'est-à-dire recevoir les premiers envoyés de la IIIè Internationale : Hohonovkine et Voitinsky, d'en recevoir conseils et subsides afin d'organiser le premier groupe communiste de Shanghai en mai 1920, 8 personnes participent à sa fondation. Les activités de cette première cellule : publication d'une revue titrée Gongchandang, The Communist, traductions, dont la première version intégrale du Manifeste communiste, ouvrages de vulgarisation, travail en direction des ouvriers des faubourgs de Shanghai, publications exclusivement consacrées au monde ouvrier et au mouvement ouvrier. En octobre, les membres de la cellule sont une quarantaine et il faut y ajouter les membres de la Jeunesse socialiste fondée dans la foulée. Le groupe fonde également une école des langues étrangères... où l'on apprend notamment le russe et un cercle d'études marxistes. Chen Duxiu est l'homme clé, bien que peu visible du groupe communiste de Shanghai : il est le maître d’?uvre de toutes les publications, il coordonne les différentes activités et il assure la correspondance avec les autres groupes communistes en formation dans le reste du pays. Il est entouré de quatre camarades très compétents, au parcours intellectuel et militant impressionnant, polyglottes, traducteurs des marxistes : Li Hanjun, Li Da, Chen Wangdao et Yang Mingzai, (le premier sera fusillé par les nationalistes en 1927, le deuxième mourra sous la torture durant la révolution culturelle en 1966, accusé comme « ennemi du peuple »).
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A l'automne 1920, Sun Yat Sen reprend pied à Canton par l'entremise d'un seigneur de guerre nommé Chen Jiongming, qui se prétend progressiste et propose à Chen Duxiu malgré sa conversion au bolchevisme de devenir commissaire à l'éducation dans le nouveau gouvernement provincial du Guandong... C'est une offre risquée mais tentante : donner l'impression de collaborer avec Chen Jiongming pour en profiter pour mettre sur pied un groupe communiste à Canton... les avis des camarades de Chen Duxiu sont partagés, mais finalement il décide d'accepter. Au moment où il débarque à Canton, il y en tout et pour tout trois militants communistes ! Chen Duxiu délègue ses fonctions officielles à un autre camarade et consacre tout son temps à l'activité militante. Il lance notamment un hebdomadaire « le travail et la femme » « Laodong yu funu » qui est le premier périodique féministe d'orientation communiste en Chine. De même, interdite entre temps à Shanghaï, une nouvelle « Jeunesse » est relancée.
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A la fin de 1920, il existe désormais 7 groupes communistes en Chine : Shanghai, Pékin, la Chine du Nord, Jinan, Changsa et Hunan, Wuhan et Hubei, Canton. En juillet 1921 le PC chinois est créé officiellement à Shanghai par 13 délégués des différents groupes. Ni Chen Duxiu ni Li Dazhao ne sont présents, ce n'est finalement qu'un petit épisode clôturant une intense activité d'un peu plus d'an d'une poignée d'intellectuels aidés par l'Internationale communiste. Évidemment Chen Duxiu est nommé secrétaire général, il le restera sans contestation jusqu'en août 1927.
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En 1922, la délégation du PC Chinois au 4ème congrès du Komintern est composée de 3 militants, dont Chen Duxiu. Voilà la description de celui-ci par un jeune militant chinois, Peng Shuzi, qui a été envoyé à Moscou faire l'école des cadres et qui rencontre Chen Duxiu pour la première fois à cette occasion : « c'est un homme d'âge mur déjà : il a un peu plus de 40 ans. Taille moyenne, front dégagé, petite moustache, dents bien rangées, élégant, décontracté, alerte au plus haut point, yeux pétillants d'intelligence, il est la vie même, il a une présence tout à fait extraordinaire. Grand intellectuel extrêmement sûr de lui, son aisance est telle, que parfois, elle frôle la désinvolture. Causeur des plus brillants, captivant immédiatement ses interlocuteurs dans les conversations de caractère informel, il ne cesse de truffer ce qu'il raconte de drôleries, de traits d'esprit, d'anecdotes plaisantes. Il s'amuse de tout, éclate de rire pour un oui ou pour un non et nous fait rire jusqu'aux larmes, nous tous qui l'écoutons. C'est un vrai boute-en train. Il me paraît, pourtant beaucoup moins à la hauteur quand il s'agit de soutenir une discussion politique, son discours partant un peu dans tous les sens. Et il consterne ses amis quand il parle en public, c'est un mauvais orateur ».
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Le même Peng Shuzi raconte qu'il rencontre plusieurs fois Chen Duxiu lors de son passage à Moscou et que celui-ci lui parle de façon assez évasive voire avec réticence du quatrième congrès de l'IC auquel il participe, notamment parce qu'il trouve que l'Orient en général et la Chine en particulier y occupe peu de place... Mais surtout, d'après toujours Peng Shuzi « ce n'est pas tant cela qui chiffonne Chen Duxiu que le fait que le Comintern soit plus résolu que jamais à imposer au PC chinois la ligne de la collaboration organique avec le Guomindang. Sur le bien fondé de cette ligne, Chen Duxiu entretient encore des doutes considérables. Il n'est pas très explicite sur le sujet mais m'en dit assez pour que je devine où il en est. Je ne serai pas donc des plus surpris plus tard, quand on m'apprendra que cette ligne lui avait semblé de prime abord inacceptable, que pour qu'il y souscrivit, à Hangzhou , en août 1922, il avait fallu que Maring le lui ordonnât, qu'il ne l'avait ensuite soutenue que des plus mollement, qu'il avait encore cherché à la remettre en cause lors du IVème congrès du Comintern et qu'il s'était attiré, ce faisant, de la part de Radek, une réplique sarcastique d'un goût d'ailleurs fort déplacé ». Cette réplique fut en substance « vous êtes puérils, il serait temps que vous sortiez de vos tours d'ivoire à la Confucius. Tout ce que vous avez à faire est de rassembler la classe ouvrière à l'intérieur d'un front uni anti-impérialiste dirigé par la bourgeoisie nationale. Ni le socialisme, ni les soviets ne peuvent être pour vous des objectifs à court terme ».
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En effet, avec les diverses voyages en Chine de l'envoyé de l'IC, Maring en 1921 et 1922, un véritable tournant est pris dans la politique de l'IC en Chine. Jusque-là effectivement, le PCC s'était approprié les tactiques élaborées au Deuxième et Troisième congrès de l'Internationale communiste. Lors des discussions du Deuxième congrès, Lénine avait exhorté les nouveaux partis communistes des pays coloniaux à participer activement au développement des mouvements de libération nationaux, mais avait souligné expressément « La nécessité de lutter résolument contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés ; l'Internationale communiste ne doit appuyer les mouvements nationaux démocratiques bourgeois des colonies et des pays arriérés qu'à la condition que les éléments des futurs partis prolétariens, communistes autrement que par le nom, soient dans tous les pays arriérés groupés et éduqués dans l'esprit de leurs tâches particulières, tâches de lutte contre les mouvements démocratiques bourgeois de leur propre nation ; l'Internationale communiste doit conclure une alliance temporaire avec les démocrates bourgeois des colonies et des pays arriérés, mais pas fusionner avec eux, et maintenir fermement l'indépendance du mouvement prolétarien, même sous sa forme la plus embryonnaire » (Première ébauche des thèses sur les questions nationales et coloniales). La politique initiale du PCC consistant à former une alliance temporaire avec le Guomindang était fondée sur la conservation de l'indépendance des deux partis, chacun ayant sa propre organisation. Mais en août 1922, la direction du Komintern, notamment sous l'influence de Zinoviev, ordonne aux militants du PCC d'adhérer au Guomindang en tant que membres à titre individuel du parti. Zinoviev justifie la décision sur le fondement que le Guomindang qualifié de libéral démocrate est la « seule organisation nationaliste révolutionnaire importante ». Le mouvement indépendant de la classe ouvrière est encore faible, aussi le petit PCC devait entrer dans le Guomindang pour étendre son influence. Plusieurs années plus tard, en novembre 1937, Trotsky écrivit à Harold Isaacs, un trotskiste américain : « L'entrée en elle-même en 1922 n'était pas un crime, peut-être même pas une erreur, en particulier dans le Sud, selon la présomption que le Guomindang à cette époque comprenait un certain nombre d'ouvriers et que le jeune parti communiste était faible et composé presque entièrement d'intellectuels...(...). La question est de savoir quel était leur intention en entrant et quel a été la politique qui en a découlé ? ».
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De fait, les années 1923 et 1924 voient se concrétiser les conséquences de cette ligne politique décidée par le Komintern au même moment où, en Europe, la tragédie allemande a lieu, où Lénine meurt et où, petit à petit, la bureaucratie stalinienne prend le contrôle à la fois du parti bolchevik, de l'internationale communiste et des partis partout nouvellement créés. L'entrée du PCC dans le Guomindang n'est plus un pas vers la construction d'un parti de masse indépendant, mais de plus en plus une politique à long terme visant à réaliser une révolution démocratique bourgeoise en Chine et les Staliniens prétendent qu'elle représente la continuation du léninisme et l'héritage de la Révolution d'Octobre. Aux yeux de Staline, l'importance du Guomindang l'emporte de loin sur celle de la section chinoise du Komintern.
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Le PCC abandonne de fait sa propre activité indépendante. Borodin le nouveau représentant en Chine de l'IC agit en tant que conseiller pour le Guomindang. Dix membres dirigeants du PCC sont placés au comité central exécutif du Guomindang, environ un quart du total de ses membres. Chen Duxiu et Cai Hesen sont les seuls membres de la direction du parti à ne pas rentrer au comité central du Guomindang. La construction de l'appareil militaire du Guomindang résulte directement de l'aide du Komintern avec la création de l'académie militaire de Whampoa à Guangzhou — à partir de laquelle Tchang Kaï-Chek va construire son accession au pouvoir. Fils d'une riche marchand, Tchang Kaï-Chek a des liens étroits avec les banquiers de Shanghai et les compradores. A la différence de Sun, Tchang Kaï-Chek n'est pas un intellectuel. Il a passé sa jeunesse parmi la pègre de Shanghai, dont les hommes de mains deviendront par la suite des troupes de choc contre la classe ouvrière.
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Ces années-là, les écrits de Chen Duxiu publiés dans la revue théorique du parti, Qianfeng, abondent dans le sens que c'est le « noyau progressiste » de la bourgeoisie chinoise qui devra diriger la prochaine révolution mais pointent également toujours le danger de l'alliance politique avec le Guomindang, dont il se méfie à cause de son développement militariste... Chen Duxiu a toujours eu en horreur le militarisme et voit dans un Tchang Kai Chek de plus en plus puissant la répétition en plus dangereux des seigneurs de guerre. Chen Duxiu défend l'alliance avec la bourgeoisie mais l'indépendance du parti ouvrier d'avec le Guomindang... Il réclame sans relâche dès 1924 puis en 1925 et 1926 la fin de la politique d'intégration du PCC au sein du Guomindang, Mais quelque part, toujours en sentiment d'infériorité par rapport au prestige du parti russe, il n'ose aller plus loin que la critique et se résigne sans se rebeller... c'est là tout le drame en devenir pour lui-même et pour le PCC de la révolution de 1927.
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Sous l'influence de Peng Shuzi, revenu de Moscou en 1924 et qui a alors été gagné à l'opposition de gauche, le PCC chinois effectue une réorientation significative de son activité politique quotidienne, tout en restant officiellement sur la même ligne. Chen Duxiu, Caï Hesen (qui sera torturé et exécuté en 1931 par un seigneur de guerre à Canton) et Peng Shuzi en sont les trois initiateurs. Le parti réoriente son activité vers la classe ouvrière et délaisse ses activités au sein du Guomindang : création de clubs ouvriers, d'écoles pour les enfants d'ouvriers, construction de syndicats... Le résultat est phénoménal : lorsque le PCC tient son deuxième congrès national ouvrier, le premier mai 1925, ses organisations comptent 570 000 ouvriers. Son influence croissante entraîne une vague de luttes militantes de la classe ouvrière. En parallèle, paraît un texte important de Chen Duxiu en décembre 1924, intitulé « Les leçons à tirer de 27 ans du mouvement national populaire en Chine », dans lequel il réaffirme que le prolétariat, malgré sa faiblesse numérique relative et sa jeunesse en Chine, sera la seule classe capable de mener à bien les tâches de la révolution chinoise. Peng Shuzi témoigne de sa surprise sur le revirement effectué en quelques mois par Chen Duxiu dans ses écrits, celui-ci lui dit sous forme de boutade quelque temps plus tard « quand j'ai des idées justes, je suis incapable de m'y accrocher ; quand j'ai des idées fausses, je suis souvent tenté de les pousser plus loin que quiconque ». Entre temps, en janvier 1925 s'est tenu le IVème congrès du PCC, une dizaine de délégués sont présents, il s'est réunit dans la clandestinité la plus stricte dans une salle louée dans la concession internationale de Shanghai, dans une ambiance dominée par la montée en puissance des seigneurs de guerre et la politique de plus en plus réactionnaire du Guomindang. .. et il a entériné cette nouvelle orientation . A noter que tous les documents issus de ce quatrième congrès disparaîtront de la circulation dès 1927 car n'étant évidemment pas lisibles au moment où la bureaucratie stalinienne fera le procès de Chen Duxiu pour « opportunisme de droite ». En octobre 1925, Chen Duxiu propose à nouveau au Komintern que le PCC sorte du Guomindang... en vain, une nouvelle fois ! Alors que la mort de Sun Yat Sen en mars 1925 a permis à Tchang Kaï Chek de prendre définitivement le pouvoir dans le Guomindang.
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Alors que depuis la fin du mois de mai 1925, la deuxième révolution chinoise a commencé... avec une vague de grèves dans les usines textiles japonaises de Shanghai suivie d'une grève générale à Canton et Hong-Kong et l'émergence d'un embryon de soviet dans les deux villes avec des ouvriers en arme.
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Impossible de raconter ici en détails la tragédie de la révolution chinoise de 1925-1927... mais voilà quelques rappels :
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Après l'embrasement de la classe ouvrière en 1925, Staline renforça l'illusion que le Guomindang était un « parti des ouvriers et des paysans » capable de mener la lutte révolutionnaire. La tâche des communistes était donc d'aider le Guomindang à accéder au pouvoir ! En février 1926, Staline intègre le Guomindang comme une section « sympathisante » du Komintern et nomme Tchang Kaï Chek « président honorifique » à la direction de celui-ci.... le 20 mars 1926 Tchang Kaï Chek désarme le comité de grève de Canton, place tous les conseillers soviétiques en résidence surveillée et fait arrêter 50 dirigeants du PC ! Et s'établit de facto comme dictateur militaire au Guangzhou.
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Alors que Tchang Kaï Chek fait ouvertement la démonstration de ses intentions contre-révolutionnaires, Staline appuie son projet militaire de lancer une expédition dans le Nord contre les seigneurs de guerre. Au nom du soutien à l'effort de guerre du Guomindang, la grève de 16 mois à Canton -Hong-Kong est arrêtée.
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Les victoires militaires du Guomindang sont considérés par les masses comme le début de la révolution, partout elles se soulèvent, à Shanghaï les ouvriers prennent le contrôle de la ville. Les ouvriers de Shanghaï doivent pourtant rendre le pouvoir à la bourgeoisie sur les ordres du PC au printemps de 1927 et doivent ensuite faire face à la folie meurtrière des troupes de Tchang Kaï Chek . C'est la terreur blanche qui s'abat des milliers d'ouvriers et de communistes sont assassinés d'abord à Shanghaï puis dans le Hunan. Parmi les tués, un des fils de Ch Dx, Chen Yannian.
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Un compte rendu de presse de l'époque expliquait : « Au cours des trois derniers mois, la réaction s'est étendue à partir du cours inférieur du Yangtsé, puis s'est élargie à tout le territoire contrôlé par ceux qu'on appelle les nationalistes. Tang Sheng-chih s'est révélé un encore meilleur commandant de peloton d'exécution que chef d'armée sur le champ de bataille. Au Hunan ses généraux ont accompli un nettoyage des "communistes" que Tchang Kaï-chek ne pourrait guère prétendre égaler. Les méthodes habituelles consistant à fusiller et à décapiter ont été dépassées au profit de techniques de torture et de mutilations qui évoquent par l'horreur l'âge des ténèbres et l'Inquisition. Les résultats ont été impressionnants. Les unions de paysans et de travailleurs du Hunan, probablement les mieux organisées de tout le pays, sont totalement écrasées. Ceux des dirigeants qui ont pu échapper à être brûlés vifs dans l'huile, à être enterrés vivants, à la torture de l'étranglement progressif par des fils de fer et d'autres formes de mises à mort trop terrifiantes pour être rapportées ici ont fui le pays ou se sont si soigneusement cachés qu'ils ne peuvent être que très difficilement trouvés... » (Harold R. Isaacs).
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Pourtant, à nouveau, Staline insiste pour dire que sa politique avait été justifiée et reproche les défaites à la direction du PCC, en particulier à Chen Duxiu. Alors que les critiques de l'Opposition de gauche trouvent une audience croissante dans la classe ouvrière soviétique, Staline cherche à sauver sa réputation en procédant à un brutal changement de direction de l'opportunisme vers son contraire apparent — l'aventurisme. Staline ordonne au parti qui venait d'être mis en pièces de procéder à une série d'insurrections armées, lesquelles sont condamnées à l'échec. Anticipant sur sa « Troisième période », sa théorie d’ultra-gauche du début des années 1930, Staline assigne au prolétariat chinois la tâche immédiate de la prise du pouvoir, juste au moment où la révolution est en plein recul.
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Le dernier souffle de la révolution chinoise — le soulèvement de Guangzhou en décembre 1927 — ressemble en tout point à un acte d'irresponsabilité criminel. Il est planifié, non pour coïncider avec un mouvement de masse, mais avec l'ouverture du Quinzième congrès du Parti communiste soviétique. En l'absence d'un soutien de masse, la tentative de créer un gouvernement soviétique avec plusieurs milliers de cadres du parti n'a aucune chance de réussir. Près de 5700 personnes, dont de nombreux des meilleurs cadres révolutionnaires qui avaient survécus, sont tués dans la bataille héroïque pour défendre l'éphémère « soviet » de Guangzhou.
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La tête de Chen Duxiu taxé « d’opportuniste droitier » a été entre temps sacrifiée lors d'une conférence extraordinaire du comité central le 7/8/1927 qui intronise Qu Quibai comme nouveau dirigeant du PCC. Chen Duxiu disparaît alors de la scène politique pendant plus d'un an sans qu'il ne s'exprime ni publiquement ni dans le parti, sans combattre ses calomniateurs, il est très affecté par la défaite, la mort de son fils et les calomnies... Wang Fanxi, un des trotskistes chinois gagné par l'opposition de gauche lors de son séjour en Russie et qui va contribuer à la diffusion de ses idées en Chine lors de son retour, et qui va grandement influencer Chen Duxiu dans son passage à l'opposition de gauche interprète ainsi le silence de Ch DX dans ses mémoires : « en dépit de sa faiblesse, Chen était certainement un lion. Si Chen avait fait partie des politiciens veules, il aurait accepté de prendre tout le blâme sur ses épaules, permettant par-là à Staline d'éviter la tempête des critiques trotskystes. Si Chen avait agi ainsi, il aurait conservé son statut dans le Komintern et aurait été capable de se hisser de nouveau à la tête du parti chinois ». Wang Fanxi pense aussi que cette attitude s'explique par sa méconnaissance de la situation en URSS et des conflits dans le parti bolchevique. Chen Duxiu va réapparaitre lorsqu'il est finalement en mesure de combattre ses calomniateurs et ses anciens camarades, après avoir été convaincu par de jeunes militants rentrant d'URSS aux thèses de l'opposition de gauche à l'automne 1929. La plupart de ces jeunes militants pratiquent une activité fractionnelle au sein du PCC, d'autres ont refusé de re-rentrer dans le parti, au vu de sa dégénérescence. Leur point commun : la traduction et la diffusion des thèses de l'opposition de gauche.
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Fin 1929, Chen Duxiu reçoit des documents d'opposition russe traduits par les opposants chinois de Moscou de retour en Chine, notamment la question chinoise après le 6ème congrès et Bilan et perspectives de la révolution chinoise de Trotsky. Ces documents servent à Chen Duxiu à comprendre son propre rôle dans la période 1925-1927. C'est pour lui une véritable révélation de la politique et du rôle de Staline, du jouet qu'il a lui-même été dans les mains de Moscou et la portée de la politique des trotskistes sur la question chinoise. Il admet l'ensemble des positions politiques défendues dans ces textes et n'hésite que sur la nature de la 3ème révolution chinoise à venir. Il la considère toujours comme de « caractère démocratique bourgeoise ».
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La nouvelle du passage de Chen Duxiu à l'Opposition fait sensation et provoque une crise dans le PCC, notamment dans l'appareil. Staline s'inquiète de voir une telle figure, qui n'ai rien perdu de sa popularité dans le parti et au-delà, rejoindre les rangs de l'Opposition. Une nouvelle campagne contre « les liquidateurs Chen-Trotsky » est lancée conjointement dans l'IC et dans le PCC. Un envoyé l'IC vient en Chine pour voir Chen Duxiu et le ramener à Moscou... mais en vain ! Débute alors une grande purge sur le modèle russe : les opposants sont exclus du Comité Central, des comités provinciaux, de la Ligue de la jeunesse communiste. L'organe du parti, « Le Drapeau rouge » publie chaque semaine la liste des exclus. Chen Duxiu est finalement exclu le 15 novembre 1929, alors que celui-ci est déjà en train de s'affairer à l'élaboration d'un programme et à l'organisation d'un parti oppositionnels. Le 10 décembre 1929 il fait paraître « une lettre à tous les camarades du parti » dans laquelle il dénonce la politique du Komintern en Chine et se reproche de l'avoir facilitée en exécutant trop bien les ordres. Il retrouve enfin la libre audace de sa jeunesse ! Cinq jours plus tard, 81 vieux communistes ayant eu ou ayant encore des responsabilités dans le parti publient un texte intitulé « Notre position politique » qui affirme leur ralliement à Trotsky : « si nous avions eu la direction politique de Trotsky avant 1927, nous aurions peut-être été capables de diriger la révolution chinoise sur la voie de la victoire ». A partir de Shanghai, l'opposition établit des branches à Pékin, Tianjin, Wuhan, Sichaun, Ningpo et dans le Shandong et l'Anhui. Quelques militants forment même des cellules à Hong-Kong et Macao. Le nombre total de militants regroupés est de plusieurs centaines.
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Pourtant le ralliement de Chen Duxiu à l'opposition n'entraîne pas de facto l'unification de tous les trotskistes présents en Chine, bien au contraire. Dans un premier temps elle accentue leurs divisions et leur éclatement, puisqu'une partie des jeunes, notamment ceux gagnés en URSS continuent de percevoir Chen Duxiu comme un droitier, « un menchevik », d'autant que celui-ci n'a pas renoncé à ses positions sur la nature de la prochaine révolution. C'est grâce à l'intervention directe de Trostky que l'opposition chinoise va réussir à s'unifier en 1931. Le 22 août 1930, en ayant pris connaissance pour la première fois de « la lettre ouverte à tous les camarades du parti » écrite par Chen Duxiu en décembre 1929, Trotsky écrit alors « je pense que cette lettre est un excellent document. Des positions tout à fait claires et correctes sont avancées en réponse à toutes les questions importantes (…). Alors que nous disposons d'un révolutionnaire de premier plan comme Chen Duxiu qui a rompu avec le parti et qui a été exclu, qui annonce qu'il est désormais à 100 % en accord avec l'Opposition internationale, comment pourrions-nous l'ignorer ? Est-il possible que vous disposiez de beaucoup de membres du parti communiste aussi expérimentés que Chen Duxiu ? Il a commis beaucoup d'erreurs par le passé mais il est désormais conscient de cela. Comprendre ses erreurs passés est profitable aux révolutionnaires et aux cadres. Nous avons de jeunes camarades dans l'Opposition qui peuvent et doivent apprendre du camarade Chen Duxiu ».
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Trotsky assume la défense de Chen Duxiu contre les « jeunes » des différents groupes qui l'attaquent sur ses erreurs passées. Cela permet à Chen Duxiu de reprendre la main dans les discussions sur l'unification. La conférence d'unification se tient donc à partir du 1er mai 1931 à Shanghai et dure trois jours. 17 délégués et 4 observateurs représentent 483 membres de 4 groupes différents : Notre Parole (le groupe de Chen Duxiu), Prolétariat, Octobre et Militant. Le rapport politique présenté par Chen Duxiu fait consensus à l'exception d'un point : le Guomindang est-il ou non capable de réaliser l'unité nationale ? Son rapport ne l'exclut pas totalement alors que tous les autres délégués pensent que seule la dictature du prolétariat pourra régler les tâches démocratiques. Chen Duxiu retire la formulation contestée. Les délégués élisent une direction de 8 membres : Chen Duxiu, Peng Shuzi, Song Fenchong, Chen Yimou, Wang Fanxi, Zhao Qui, Luo Han et Zheng Chaolin. La nouvelle organisation s'appelle « Opposition de gauche du PC chinois » et son journal l'Etincelle.
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Cette unification est une sacrée étape pour l'Opposition de gauche internationale et elle semble ouvrir une période très favorable pour les trotskistes chinois au vu de la crise interne du parti suite à un nouveau nettoyage dans la direction mais aussi au vu du contexte politique intérieur, autour de l'agitation pour une assemblée constituante. Mais trois semaines après la conférence d'unification, la jeune organisation est décimée par une arrestation de tous ses cadres dirigeants ou presque puisque seuls Chen Duxiu et Luo Han échappent au coup de filet. Mais le répit est de courte durée pour Chen Duxiu puisqu'il est arrêté le 15 octobre 1932 avec de nombreux autres camarades. Avec la section américaine, la section chinoise de l'opposition de gauche était sans doute celle qui était le plus directement issu du PC lui-même. Aussi l'arrestation de Chen Duxiu constitue une excellente nouvelle pour les staliniens : le PCC demande carrément au gouvernement de Tchang Kaï Chek la condamnation à mort et l'exécution de Chen Duxiu ! Il est finalement condamné à treize ans de prison après un procès fleuve puisque celui-ci s'étale sur près de deux ans ! Chen Duxiu transforme son procès en une tribune, il y ridiculise le régime. Il est enfermé dans la prison de Nankin, où son régime de détention lui permet de lire et d'écrire (plein d'intellectuels liés à son passé d'avant son militantisme communiste interviennent en sa faveur). Il se penche sur le passé de la Chine, sur le bouddhisme et intervient également sur des questions politiques... qui suscitent des critiques et des inquiétudes de la part du reste de ses camarades trotskistes. Ainsi en 1936, à l'occasion des procès de Moscou, il se prononce pour la remise en cause de la caractérisation de l'URSS comme Etat ouvrier dégénéré. Il propose la nouvelle définition « d'Etat bureaucratique ». Une discussion s'engage aussi entre lui et le comité central au sujet de la caractérisation de la démocratie comme forme traditionnelle de la domination bourgeoise... mais les articles de discussion qui devaient paraître dans la revue théorique de l'organisation ne paraîtront jamais à cause du déclenchement de la guerre sino-japonaise en juillet 1937 qui va une nouvelle fois profondément jeter la Chine dans une crise majeure, dont la révolution de 1949 sera l'étape ultime.
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La réaction de Trostky est immédiate : il affirme que les trotskistes du monde entier sont au côté du peuple chinois face à l'impérialisme japonais. Quelques jours plus tard, les autorités du Guomindang décident de libérer tous les détenus politiques condamnés à moins de 15 ans en geste de bonne volonté vis-à-vis d'un nouveau front unique avec le PCC. Les trotskistes sont libérés entre août et novembre, Chen Duxiu est relâché au début du mois de septembre.
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Il se prend tout de suite de bec avec les dirigeants de la section chinoise qui lui reprochent de parler (certes uniquement en son nom propre) dès sa sortie de prison de « guerre patriotique »... du coup, il ne les rejoints pas à Shanghai et décide de partir pour Wuhan qui est devenue alors la capitale de la Chine. Il y retrouve bon nombre de ses connaissances personnelles, des écrivains mais aussi des dirigeants du PC chinois où il semble que Chen Duxiu milite quelques temps en faveur d'un front de toutes les organisations ouvrières et démocratiques en dehors du Guomindang... front dont personne ne veut de fait à part lui ! Il reçoit la visite de plusieurs trotskistes qui ont eux aussi été libérés de prison, dont Wang Fanxi. Chen Duxiu est très hostile à la direction de la section chinoise qu'il juge comme sectaire et réfléchit à haute voix avec ses visiteurs sur la manière de participer à la lutte armée contre l'envahisseur japonais. Sa propre section lui interdit d'écrire dans la presse du parti et Chen Duxiu se retire dans le Sichuan.
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Convaincu que la vie de Chen Duxiu est en danger s'il reste en Chine, Trotsky entreprend des démarches pour le faire émigrer, de préférence aux Etats-Unis. La section chinoise accepte et un membre de la section se rend malgré toutes les difficultés à circuler en novembre 1938 auprès de Chen Duxiu pour le convaincre de partir. Chen Duxiu accepte car cela lui paraît sans doute la seule façon de briser son isolement. Par une déclaration du 3 novembre 1938, il réaffirme sa position de militant trotskiste tout en critiquant la direction de sa propre organisation. Trotski reçoit toutes ces nouvelles et s'en réjouit. Mais finalement, Chen Duxiu ne pourra jamais sortir de Chine, faute de laissez-passer du gouvernement.
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En 1940-1941 éclate une discussion extrêmement vive entre les membres de la section chinoise au moment de l'embrasement généralisé de la seconde guerre mondiale : autour de Wang Fanxi, une tendance dite « de gauche » défend l'idée qu'avec l'entrée en guerre des Etats-Unis et du Royaume-Uni, la guerre contre le Japon deviendra une guerre impérialiste et qu'il faut donc en revenir au défaitisme révolutionnaire ; Peng Shuzi pense que cette position est ultra-gauchiste et qu'il faut en rester à la position traditionnelle du mouvement ouvrier face à la guerre anti-impérialiste de la Chine ; quant à Chen Duxiu il il pense qu'aucune révolution ne sortira de la guerre et qu'il faut donc soutenir « le moindre mal », le camp des démocraties occidentales contre le fascisme et il se prononce également contre la défense de l'URSS, qui a cessé pour lui d'être un Etat ouvrier. Il rompt toutes les relations avec la section chinoise en août 1941 et ses derniers écrits portent l'échec de la révolution à créer, dans les pays arriérés, un Etat ouvrier. Il conclut malgré tout en réaffirmant son internationalisme en disant : « la libération véritable des peuples ne peut se produire qu'en même temps des révolutions socialistes dans les pays impérialistes. (…) L'unique espoir d'une nation petite et faible réside dans la coopération avec les travailleurs opprimés du monde entier et les autres nations arriérées ».
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Chen Duxiu est alors très malade, âgé et affaibli par ses années de prison. Il meurt à Jianching dans le Sichuan le 27 mai 1942. Un an et demi après l'assassinat de Trotsky c'est un autre grand nom du communisme révolutionnaire international qui disparaît. Avec lui, disparaît cette génération révolutionnaire chinoise qui avait fait du prolétariat urbain la classe décisive pour changer le monde, renverser la vieille société. Wang Fanxi écrit dans ses mémoires « La pensée de Chen Duxiu dans les dernières années de sa vie s'était fort éloignée du trotskisme comme le montrent ses Derniers Articles et Lettres, mais je n'étais pas le seul à croire que, s'il avait vécu plus longtemps, il aurait certainement dépassé ces vues, et sous la pression des évènements, il serait revenu au camp trotskiste puisqu'il avait non seulement tous les attributs d'un véritable révolutionnaire mais aussi un sens aigu et remarquable de l'observation. (…) En pleurant sa perte, nous devions nous rappeler que le PCC et le Guomindang, dans leurs intérêts bornés de parti, se combinèrent pour détruire sa réputation, le premier en passant sa mort sous silence ou en salissant sa mémoire, le second en lui attribuant de faux compliments et en déformant ses idées. Leurs buts étaient essentiellement les mêmes : l'empêcher d'occuper la place qu'il méritait dans l'histoire et porter ainsi un coup mortel au trotskisme chinois. Pleurer la perte de Chen Duxiu signifiait faire tout notre possible pour lui rendre la place qui lui était due comme le personnage le plus extraordinaire de la pensée chinoise moderne et l'incarnation de toute la période de la pensée politique occidentale de Rousseau à Marx, et pour montrer que le choix du trotskisme pour un tel homme illustrait le rôle historique de notre mouvement en Chine comme pont entre les traditions révolutionnaires du passé et la promesse du futur. »
Bibliographie essentielle :
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Harold Isaacs, la Tragédie de la Révolution Chinoise, Ed. Gallimard, 1967
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Claude Cadart, Cheng Yingxiang, Mémoires de Peng Shuzi, L'envol du communisme en Chine, Ed. Gallimard, 1983
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Wang Fanxi, La marche de Wang, Ed. La Brèche, 1987
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John K. Fairbank et Merle Goldman, Histoire de la Chine, Ed. Taillandier, 2013
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Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, 1984, ouvrage collectif sous la direction de Lucien Bianco et Yvres Chevrier
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Cahiers Léon Trotsky n°15, septembre 1983 : Le trotskisme et la Chine des années 30
Chen Duxiu
Chronologie sommaire de la Chine entre 1898 et 1911
La fin de l'Empire Qing (1898 - 1911)
189811 juin - 21 septembre : les cent jours de Guangxu.190013 juin : les Boxeurs sont accueillis à Pékin.191110 octobre : soulèvement réussi d’unités de l’armée nouvelle qui prennent le contrôle de Wuhan (Hubei).Les débuts de la République (1912 - 1927)
19121 er janvier : Sun Yat-sen proclame à Nankin la République chinoise. 12 février : Puyi abdique. Fin de l’Empire. 15 février : Yuan Shikai est élu pour succéder à Sun Yat-sen, président démissionnaire de la République.191512 décembre : Yuan Shikai annonce qu’il va fonder une nouvelle dynastie.19166 juin : mort subite de Yuan Shikai.191930 avril : la conférence de Versailles décide de transférer au Japon les droits allemands sur le Shandong. 4 mai : 1 500 étudiants manifestent à Pékin contre cette décision et contre la présence au gouvernement de ministres projaponais.19211 er juillet : fondation à Shanghai du Parti communiste chinois.192420 janvier : ouverture à Canton du Congrès de réorganisation du Guomindang.192512 mars : mort de Sun Yat-sen à Pékin. 30 mai : mouvement du 30 mai 1925 à Shanghai.192620 mars : coup de force de Jiang Jieshi à Canton. 27 juillet : départ de l’expédition du Nord (Beifa).192721 mars : victoire de la troisième insurrection ouvrière dans les quartiers sous administration chinoise de Shanghai. 12 avril : Jiang Jieshi massacre les communistes et les syndicalistes révolutionnaires de Shanghai. 15 juillet : rupture entre le gouvernement de Wuhan et le Parti communiste chinois. 1 er août : insurrection communiste aux allures de putsch à Nanchang (date de naissance de l’Armée rouge).La République du Guomindang (1928 - 1949)
192810 octobre : la Chine est réunifiée sous Jiang Jieshi et le Guomindang. 193118 septembre : « incident de Mandchourie » qui permet aux Japonais d’envahir cette région. 7 novembre : Congrès panchinois des soviets qui fonde, à Ruijin, (Jiangxi) la République soviétique chinoise, avec Mao Zedong comme président. 193228 janvier - mars : « guerre de Shanghai ». Les Japonais attaquent la partie de Shanghai sous administration chinoise. 9 mars : Puyi est proclamé empereur de Mandchourie (Mandchoukouo). 1934Été : succès Guomindang au Jiangxi lors de sa cinquième campagne d’extermination contre les communistes. 15 octobre : début de la Longue Marche. 1935Janvier : conférence de Zunyi (Guizhou). Mao devient président du parti. 19367 - 11 décembre : Jiang Jieshi est arrêté à Xi’an par des officiers mutinés. 193710 février : accord secret entre le Guomindang et le Parti communiste chinois qui met fin à la guerre civile. 7 juillet : incident du pont Marco-Polo (Lugouqiao) ; début du conflit sino-japonais. 13 décembre - fin février 1938 : prise et mise à sac de Nankin. 1938Octobre : chute de Wuhan et de Canton. Le gouvernement se réfugie au Sichuan et installe sa capitale de guerre à Chongqing. 194020 mars : étabilissement du gouvernement « nationaliste pur » (collaborateur) de Wang Jingwei à Nankin. 1941Janvier : incident du Sud-Anhui et destruction par l’armée nationaliste de la Nouvelle Quatrième Armée communiste. 7 - 8 décembre : attaque japonaise sur Pearl Harbour. Entrée en guerre du Japon contre les États-Unis et la Grande-Bretagne. 1942Février - juin : lancement du mouvement de rectification du style de travail du parti (zheng-feng) à Yan’an. 1944Avril - décembre : succès foudroyant de l’offensive japonaise Ichigo en Chine centrale.1945Avril - juin : VII e congrès du Parti communiste chinois à Yan’an. 15 août : capitulation japonaise. 28 août et 10 octobre : négociations entre Mao Zedong et Jiang Jieshi à Chongqing. 1946Juillet : la guerre civile se généralise. Création de l’Armée populaire de libération. 1948Mars : Mao Zedong déclare : « Dès maintenant commence la période où le centre de nos activités repasse de la campagne à la ville ». Septembre - novembre : désastre nationaliste à Shenyang. Novembre - janvier 1949 : désastre nationaliste à l’issue de la bataille de Huai-Hai. 1949 1 er octobre : proclamation place Tian’anmen de la République populaire de Chine.