Alain a été l’un des fondateurs du Comité Vietnam national, le CVN, constitué le 30 novembre 1966. Nous nous mobilisions alors sur de nombreux terrains de lutte mais, à l’heure de l’escalade militaire étasunienne, le Vietnam était véritablement devenu le point focal, l’épicentre de la géopolitique mondiale, symbolisant l’actualité du combat révolutionnaire international. De nombreux mouvements s’engageaient alors en France contre la cette guerre oh combien meurtrière, mais certains étaient rattaché à un parti, comme le Mouvement de la Paix au PCF ou les Comités Vietnam de Base au courant maoïste UJCML. Le CVN était à la fois très militant, avec un grand nombre de comités locaux, très radical dans son soutien (pour la victoire du peuple vietnamien) et de composition très large, très unitaire, rassemblant un large éventail de personnalités et de courants politiques.
Sous le drapeau de la solidarité Vietnam, des liens se tissaient dans le monde entier. En Europe, une coordination permanente des mouvements de jeunesse radicaux avait été constituée à Liège en octobre 1966. Elle a notamment préparé la grande manifestation de février 1968 à Berlin, ou Alain était à la tête de la délégation française, largement constituée de membre de la Jeunesse communiste révolutionnaire. Ce fut l’occasion de rencontrer le dirigeant du SDS allemand Rudi Dutschke qui sera ultérieurement grièvement blessé par le tir d’un néonazi.
Ces années restent une véritable leçon d’internationalisme dont nous pouvons nous inspirer aujourd’hui encore. Elles ont aussi montré la fragilité de l’engagement internationaliste. Après la grève générale de Mai 68, toutes les organisations militantes se sont tournées vers l’enracinement social en France. Le CVN comme les CVB ont disparu. Le Vietnam continuait pourtant à subir l’escalade US et il a fallu reconstruire, trois ans après et à contre-courant, le Front solidarité Indochine (FSI) – je m’y suis attelé avec quelques fortes personnalités issues du CVN.
Vu mon âge, 75 ans, vous pensez probablement que j’appartiens à la même génération militante qu’Alain. C’est à la fois vrai et faux. Nous avons préparé Mai 68 ensemble, mais Alain, plus âgé de 5 ans, s’était engagé bien plus tôt que moi. Il avait vécu l’expérience de la solidarité clandestine avec le FLN algérien, une expérience qui ne se remplace pas et qui explique à quel point il était un cadre éprouvé quand je n’étais qu’un jeune militant.
Nous nous sommes retrouvés incarcérés, une poignée d’entre nous, au sortir de Mai 68 et après la dissolution de notre organisation, dans des conditions assez particulières, à savoir dans une aile de la prison de la santé où nous avaient précédés les militants algériens, puis l’OAS. Comme l’a noté Michèle Krivine lors des obsèques d’Alain, il y avait pire. Nous passions la nuit dans des cellules individuelles dont les portes restaient ouvertes le jour. La nuit, nous étions protégés des ronfleurs, le jours, nous pouvions socialiser. Je garde peu la mémoire de nos discussions politiques ; je me rappelle en revanche avoir été un embarras pour Alain (ce ne fut pas la seule fois). J’exigeais haut et fort notre droit de recevoir nos compagnes, une revendication qu’Alain ne trouvait trop juvénile et pas assez politique. Vint cependant un temps où cette revendication enflamma les prisons de France et fut reconnue. Chacun réagit à l’incarcération à sa manière et l’un de nos codétenus injuriait en scribouillant sur les murs le juge d’instruction dont dépendait notre libération. Là, j’étais d’accord avec Alain pour trouver cela peu opportun.
J’ai pu ultérieurement me retrouver en prison en même temps qu’Alain, mais plus jamais avec lui. Notre régime carcéral avait radicalement changé. L’administration pénitentiaire pensait que les « politiques » étaient à l’origine de mouvements de révolte des « droits communs ». En réalité et sans mystère, la révolte des détenus était provoquée par des conditions de survie insoutenables. Pointés du doigt, nous avons donc été mis à l’isolement, même durant notre heure de « récréation » quotidienne ou dans une cellule d’attente en visite médicale. Tant pis pour la socialisation.
Nous avons été assez nombreux à être incarcérés durant les années 60-70 (un peu trop fréquemment dans mon cas). Cette « expérience partagée », ainsi que de longs trajets en voiture où nous avions le loisir de nous parler librement, nous ont rapprochés et donne, au souvenir que je garde d’Alain, une précieuse épaisseur personnelle.