Interview parue dans le Nouvel Obs. Pourquoi en France est-ce l'extrême droite qui tire profit de la crise ? Interview de l'ancien porte-parole du NPA.
Syriza vient de remporter les législatives grecques. En France, c'est le Front national qui a le vent en poupe. Parmi les militants de la gauche radicale, chacun a ses hypothèses pour expliquer ce décalage : une crise moins forte qu’en Europe du Sud, une combativité douchée par l’échec de la mobilisation de 2010 sur les retraites, un mouvement des "indignés" mort-né, la personnalité de Jean-Luc Mélenchon, les dissensions internes sur les alliances avec le PS, ou encore la très grande habileté du FN… Olivier Besancenot, ancien porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste, livre ses explications à "l'Obs".
Pourquoi en France est-ce l’extrême droite qui tire profit de la crise ?
- Avec la crise inédite que nous connaissons en Europe, le cycle de l'alternance politique entre les partis traditionnels de gauche et de droite est en train de se rompre, ouvrant de nouveaux espaces politiques occupés pour le meilleur ou pour le pire. La France occupe la queue du peloton de la gauche radicale car nos luttes collectives ne sont pas à la hauteur des coups portés depuis la défaite de la mobilisation sur les retraites de 2010. Or, en Grèce comme en Espagne, la rue a beaucoup parlé avec de multiples journées de grève générale, des places occupées par un mouvement des "indignés" très enraciné.
De plus, une partie de la gauche radicale française se complaît dans un entre-deux avec le PS qui rend son positionnement illisible. Comment réaliser l’unité entre ceux qui passent des alliances avec les socialistes et ceux qui réclament une indépendance totale ? Du coup, qu’ils aient été symbolisés par le succès de Lutte ouvrière (LO) en 1995, celui du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) en 2009, celui du Front de gauche (FDG) en 2012, les espoirs suscités de ce côté semblent être restés pour le moment sans lendemain. Faute de combler durablement ce nouvel espace, c’est le FN qui prospère, épaulé par une classe politique qui lui court après et crédibilise ses thèmes.
La gauche radicale française peut-elle néanmoins espérer bénéficier des expériences grecque et espagnole ?
- L’opportunité est colossale. [La victoire de Syriza est] capable de bousculer et de réanimer la vie politique française. A nous de nous rassembler autour de trois axes simples : un internationalisme qui protège d’un chauvinisme nauséabond et mortifère ; un anticapitalisme qui nous oppose clairement aux pouvoirs en place ; un projet de démocratie directe qui nous tienne à bonne distance des politiciens professionnels.
Craignez-vous que Syriza et Podemos soient contraints de faire des compromis avec la troïka, au risque de décevoir leurs électeurs ?
- Leurs propositions mélangent des mesures clairement anticapitalistes avec des solutions réformistes classiques. Mais tout n’est pas qu’une affaire de programme. L’essentiel réside dans les relations qui s’établiront ou non entre ces partis et les oligarchies nationales et européennes. Par exemple, le refus de Syriza d’appliquer les "mémorandums" suscite les foudres de la troïka car, pour elle, cela constituerait un cas d’école inacceptable. Avec la victoire de Syriza, ce bras de fer débouchera soit sur l’alignement de la direction du parti soit sur une nouvelle radicalisation sociale et politique en Grèce. La situation est ouverte et passionnante.
Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand