Voilà un an, nous étions en Espagne à la veille de la grève générale du 29 septembre et nous soulignions la nécessité de renforcer la lutte contre la crise et contre les réductions budgétaires. Et en vérité, même dans nos rêves les plus fous, nous n’aurions jamais imaginé ce qui est arrivé depuis. Il ne s’est passé qu’un an, mais cela paraît beaucoup plus long. Le temps s’est contracté. Aujourd’hui, l’angoisse, le désespoir, la résignation sont très, très loin. Le monde d’avant le 15 mai et le climat de lutte ont peu de choses à voir avec ce qu’on respire aujourd’hui. Nous n’avions pas imaginé il y a un an que nous verrions la marée irrésistible de la révolution déferler en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Et nous n’aurions jamais pensé que la deuxième Université d’été d’Izquierda Anticapitalista aurait pour devise : « la révolution est possible ». Ou que nous nous serions mis à hurler Plaza del Sol à Madrid, Plaza de Catalunya à Barcelone ou sur tant d’autres places de l’État espagnol : « La révolution commence ici aujourd’hui ». Depuis le début du mouvement des Indignés du 15 mai jusqu’à aujourd’hui, ce qui est arrivé est une véritable rébellion sociale. Une rébellion qui met la classe politique et le pouvoir financier au cœur de la cible, en leur indiquant que « nous ne sommes pas des marchandises dans les mains des politiciens et des banquiers ». Une rébellion qui montre que nous ne paierons pas une crise qui n’est pas la nôtre et qu’il est à la fois nécessaire et urgent d’avoir « une vraie démocratie maintenant ». Aujourd’hui, le mouvement a dépassé toutes les attentes. Et nous pouvons dire que nous sommes au début d’un nouveau cycle de luttes. Le mouvement a été en mesure de rassembler une grande variété de personnes, occupant les places et propageant le malaise social dans les quartiers. Et maintenant, luttant contre les expulsions qui touchent des milliers de personnes dans l’État espagnol. Les réductions budgétaires, en particulier dans la santé, ont également été visées. Et nous avons eu un été chaud... avec des manifestions devant des hôpitaux et des centres de soins de premier niveau pour empêcher leur fermeture. Le mouvement a politisé la société. Il a fait avancer le discours politique et la prise de conscience de larges secteurs de travailleurs et de la jeunesse. Il nous a libérés du Matrix de tous les jours qui nous empêche de voir la réalité telle qu’elle est, la prison virtuelle formée par l’idéologie du capital et sa consommation irrépressible. Personne ne s’attendait à une telle démarche qui a émergé brutalement, de manière intempestive, comme disait notre camarade Daniel Bensaïd, en prenant des aspects surprenants et en inventant de nouvelles formes d’action. Il se peut que la victoire à droite aux prochaines élections générales du 20 novembre soit inévitable, mais le pays que trouvera la droite ne sera pas un pays paralysé par la peur et le découragement... bien au contraire. La droite trouvera un pays qui résistera dès le premier jour aux mesures qu’elle prendra. Cette montée de la mobilisation sociale coïncide avec une offensive majeure du néolibéralisme. Et les attaques que nous subissons sont de plus en plus brutales. Dans le gouvernement espagnol, Zapatero a cédé aux intérêts des patrons et de la finance et c’est le programme de la droite qu’il est en train d’appliquer. Zapatero a annoncé par surprise la semaine dernière une réforme expresse de la Constitution, afin de « limiter le déficit public », cédant aux exigences de Merkel, Sarkozy et des marchés. Une réforme concoctée avec la droite qui revient à constitutionnaliser les coupes budgétaires et les plans d’ajustement. Et qui est une très grave atteinte aux droits sociaux pour l’avenir. Avec cette réforme, nous aurons des « ajustements budgétaires permanents » à la demande des patrons. Encore un exemple du détournement de la politique par les puissances économiques et financières et de la subordination des intérêts collectifs aux privilèges de quelques-uns. Au lieu de constitutionnaliser la maîtrise des coûts, pourquoi ne pas interdire constitutionnellement le néolibéralisme ? Pourquoi ne pas interdire les coupes budgétaires et les privatisations ?L’État permet le libre marché lorsque cela intéresse les entreprises mais intervient dès qu’elles en ont besoin. En résumé, la recette est toujours la même : les pertes sont socialisées tandis que les profits demeurent privés. On pourrait dire que l’État agit comme Robin des Bois, mais un Robin des Bois réactionnaire... qui vole d’abord l’argent aux pauvres pour le redonner ensuite aux riches. En outre, au moment où le mouvement des Indignés demande une réforme de la loi électorale dans le sens d’une proportionnalité et d’une ouverture accrues, les principaux partis ont fait leur propre réforme électorale, en catimini, il y a quelques mois. Une réforme qui comporte une nouvelle disposition : les partis non représentés au Parlement ne pourront se présenter que s’ils recueillent les signatures de 0,1 % de l’électorat de chaque circonscription. Cela revient à collecter 35 000 signatures en une vingtaine de jours sans même savoir quelle sera la méthode de validation, qui est annoncée comme très stricte. Assurément, il est clair qu’ils ne veulent pas voir l’émergence de nouvelles alternatives politiques en dehors des partis traditionnels qui ont passé des décennies à se partager le pouvoir. Ils se réservent le droit d’admission, en cherchant à transformer les élections en une sorte de Rotary Club select, qui n’impose qu’une seule exigence pour y adhérer : avoir de l’argent. Les réductions budgétaires décidées dans l’État espagnol et les mesures prises par le gouvernement Zapatero ne sont pas un cas isolé mais font partie d’une stratégie européenne pour mettre fin aux droits sociaux. Une stratégie qui cherche à réduire au minimum le modèle appelé « social européen ». Et son objectif est clair : assurer la compétitivité des entreprises européennes au sein de l’économie mondiale. Une stratégie visant à infliger une défaite historique au mouvement ouvrier et à renforcer les mécanismes de domination de classe. Aujourd’hui, nous formons une véritable « Europe sociale » qui exige une réponse à l’échelle continentale. Le mouvement des Indignés a proposé la date du 15 octobre comme une journée de mobilisation mondiale. Le début des combats en Grèce, et maintenant au Chili, la rébellion du peuple d’Islande, le processus en cours en Afrique du Nord... font de l’internationalisme, plus que jamais, une double nécessité morale et stratégique. Le capitalisme est mondial et la crise qu’il engendre aussi. Et notre réponse doit être globale, internationaliste et solidaire. Et être internationaliste, comme le disait le Che, c’est « ressentir comme sienne toute injustice commise n’importe où dans le monde. » C’est ainsi que nous aussi les ressentons. Intervention d’Esther Vivas, Izquierda Anticapitalista (Gauche anticapitaliste), au meeting de l’Université d’été du NPA . Traduction Jacques Radcliff