Publié le Vendredi 5 février 2010 à 19h43.

Lever le voile sur les ambiguïtés par Frédéric Bourgade (point de vue paru dans lemonde.fr)

Une camarade qui porte le voile – signe d'appartenance religieuse – peut-elle être considérée comme une féministe ? Les copains vauclusiens ont manifestement répondu oui, puisqu'ils l'ont choisie pour être à la fois leur trésorière départementale et l'une des candidates de notre parti aux élections régionales. Certes, la question a fait – comme le dit Olivier Besancenot – l'objet d'une réflexion complexe et sérieuse mais le fait est que, pour la première fois, dans un parti politique laïque, plus que de simplement respecter le droit de croire ou de ne pas croire, on considére qu'un signe ne signifie rien. Ce qui par définition est paradoxal. Le voile dit à l'évidence, au moins deux choses dont personne ne peut douter, sauf à se mentir à soi-même. Il dit qu'elle (notre camarade) met Dieu en tête – au premier rang si l'on préfère – de sa vision du monde et qu'elle a Dieu en tête pour référence en matière de normes de vie. Autrement dit, il n'y a pas place, dans sa vision des choses, pour une perspective laïque et la libération humaine ne dépend pas de notre capacité à inventer l'avenir mais du dessein que Dieu nous a fixé.Ainsi, en acceptant cette camarade, et en la présentant aux élections, nous donnons à croire que la religion aurait partie liée avec la libération sociale du genre humain. Certes, on m'objectera que la Théologie de la libération, en Amérique du Sud, a participé à l'émancipation des populations, mais c'est précisément parce qu'elle était en rupture avec les dogmes que les prêtres engagés dans ces combats ont pu y trouver leur place, c'est parce qu'ils ont laïcisé leur pratique qu'ils ont pu revendiquer le partage des richesses. Là, nous nageons, au contraire en pleine confusion.

En effet, même si le féminisme peut prendre des chemins détournés selon le pays où il se développe pour s'imposer dans l'espace public, comment pourra-t-on faire croire que le voile est un outil de libération.

Il libére de quoi ? Du regard intrusif des hommes. Les relations hommes-femmes ne seraient donc que sexuée et la femme devrait se couvrir parce qu'elle serait responsable du démon qui s'empare des hommes. Il me semble plutôt qu'il dit l'obligation de disparaître dans le regard des hommes – la disparition la plus extrême étant le niqab et la réclusion à la maison – dont aucun n'est, en retour du démon qui le tarauderait, contraint de porter une cagoule pour s'interdire de voir l'objet de la tentation permanente. La femme incarnerait par nature le mal absolu. Quand j'étais jeune – dans les années 1960 –, les hommes disaient d'une femme en cheveux – c'est-à-dire qui sortait sans foulard pour couvrir ses cheveux – que c'était une garce. Le voile est donc bien le signe d'une inégalité de traitement homme-femme, donc d'une domination qui soumet la femme. Il s'agit donc bien d'une régression.

Le voile libére-t-il du risque communautariste ? Précisement, il dit l'inverse. Une croyante qui porte le voile ne voudra pas – selon les normes religieuses qui sont sa référence – d'un ami, d'un compagnon ou d'un mari qui ne serait pas musulman. Il dit donc clairement son rejet de la mixité, du mélange, sauf en cas de convertion. Il fait donc clairement primer la dimension religieuse sur le libre choix amoureux. Dimension qui exclut le droit à l'avortement puisque les enfants, c'est Dieu qui les donne. Je ne vois pas où est le féminisme revendiqué par notre camarade.

Qu'elle soit anticapitaliste, je n'en doute pas. Le capitalisme est pour nous, comme pour elle, le modèle d'expansion de l'impéralisme culturel américain à travers le monde. Cela dit, là, s'arrête la comparaison. En effet, son modèle religieux ne peut pas accepter le capitalisme, non seulement parce qu'il exploite, mais aussi, et peut-être surtout, parce qu'il dénature la religion. En effet, il remplace Dieu par le Dieu argent, il remplace la famille et la communauté, par l'individualisme, il remplace la loi divine par la loi issue des rapports de forces politiques, il remplace les us et coutumes, les traditions, par la réglementation. Dans son cas, je crains que son anticapitalisme ne soit que le rejet d'une identité occidentale.

Si, ce qui vient d'être dit, est exact, comment concevoir que nous acceptions cette situation ? Là aussi, il nous faut ouvrir les yeux. Notre radicalité nous joue, en effet, parfois des tours. Ainsi, nous considérons que la religion est l'opium du peuple, mais comme nous aimons le peuple dont nous voulons la libération, nous le prenons tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts. Quand il s'agit de religion, nous disons que les femmes soumises, par exemple, au port du foulard, en sont les victimes. Quand elles affirment le porter volontairement, nous ajoutons que ce sont des victimes consentantes, parce qu'inconscientes des rapports sociaux qui les maintiennent dans cette domination. C'est pour cela, généralement, que nous ne voulons pas les rejeter et que nous préférons, par un travail de conviction, les éclairer. Elles seraient dans l'ombre, nous leur apporterions la lumière. Notre certitude est, de plus, confirmée quand elles ne sont pas suffisamment éduquées, puisque l'éducation libère. Et si en plus, elles font partie de la classe ouvrière, la messe est dite.

Pourtant, une croyante qui revendique son voile, est à mes yeux, une militante. Elle ne fait pas que défendre son droit à croire, elle l'utilise comme un drapeau différencialiste, qui, au nom du respect des différences, doit nous conduire logiquement à lui reconnaître les droits que l'on doit reconnaître aux minorités. Et par définition, la liste des droits est illimitée. De gauche – démocratiques, et révolutionnaires – nous ne pouvons, ni ne voulons envisager l'idée d'être aux côtés des minorités. C'est pourquoi, nous finissons par tout confondre. Les revendications des minorités ne sont pas – par essence – universelles et libératrices. De même que la suprématie des majorités n'est pas – par essence – une domination insupportable.Dans cette affaire, je crains que nous ne réagissions par réflexe pavlovien plus que par réflexion politique. Non seulement, nous n'aidons pas les féministes du monde entier dans leur combat, mais nous créons de la confusion et nous nous déconsidérons aux yeux de ceux pour qui le NPA est un outil pour changer le monde.

Frédéric Bourgade est sympathisant et électeur du NPA.