On peut les apercevoir parfois au détour d’une image. Et pourtant, un membre des forces armées ukrainiennes sur cinq est une femme (plus que dans l’armée américaine ou française, 15%). Plus de 15% d’entre elles sont directement engagées sur le front. L’incursion et la présence des femmes dans l’armée ukrainienne à ce niveau est d’abord le résultat des évènements de Maïdan en 2014.
Le tournant de Maïdan
Au début de la révolution de Maïdan, en 2014, la place des femmes dans l’affrontement avec le pouvoir a été largement réduite aux tâches de reproduction (cuisiner, nettoyer, soigner les blessés, etc.). Il était demandé aux femmes et enfants de quitter la place dès la nuit tombée. Bien que, selon Olga Onuch, près de la moitié des participants à la protestation étaient des participantes. Pour Anastasiya Melnychenko, il est clair que « les femmes n’étaient pas considérées comme des personnes pleinement responsables ». Nina Potarska accuse : « C’était tellement humiliant d’entendre quelque chose comme “Mesdames, donnez un peu plaisir aux hommes, ils ont besoin de se détendre…”, au lieu de remercier les femmes pour leur implication à Maïdan aux côtés des hommes, on leur proposait de fournir un service d’escorte. » Pourtant, comme l’a observé Dmitriyeva, « même lors des affrontements les plus violents, quand il y avait des hommes qui insistaient pour que les femmes ne soient pas sur les barricades, mais les femmes se joignaient aux affrontements et lançaient des cocktails Molotov comme si c’était la chose la plus naturelle à faire… Elles étaient aussi attaquées, battues, agressées et tuées par la Berkut [police anti-émeute]. » Une journaliste du magazine Elle observe que « dans les manifestations de plus en plus violentes d’Euromaïdan, des femmes portent des masques à gaz et des gilets rembourrés pour combattre aux côtés des hommes ». Et face aux tentatives de les exclure, des femmes forment leur propre unité d’autodéfense, d’abord à Ternopil et Lviv puis à Kyiv avec par exemple la 39e centurie d’autodéfense féminine ou encore l’escadron féminin de Zaporijia. La Centurie Olha Kobylianska1 est créée par des militantes de gauche ou des militantes syndicales après que des femmes furent expulsées des barricades par des hommes. Cette centurie a une structure non hiérarchique et propose des cours d’autodéfense aux femmes. Ses animatrices les plus connues, des féministes et défenseuses de la cause LBTQI, étaient Olena Shevchenko, Nadia Parfan, Maria Berlins’ka, et Nina Potarska. Kateryna Chepura, militante féministe, explique :
Le peloton féminin a été créé en raison de la politique de genre à Maïdan. Notre organisation existait avant Maïdan. Nous sommes là depuis quatre ans, et nous étions 100 à Maïdan. Le problème était que lorsque les filles sont venues au Maïdan pour faire quelque chose, nous avions un problème avec le fait que pour l’autodéfense de Maïdan, les mecs [leur ont dit] : « Vous êtes des femmes, vous ne devriez pas être ici, rentrez chez vous. » C’était exactement la raison pour laquelle nous avons créé un peloton féminin : pour officialiser notre présence au Maïdan. On pouvait alors montrer notre capacité dans l’autodéfense et dire : « Mec, je suis en autodéfense tout comme toi, donc j’ai le droit d’être ici. » Même si cela n’a pas résolu tous les problèmes, cela a rendu les choses plus faciles pour nous.
Pour Olga Kobylyanska, ces formations portaient les valeurs des « droits humains, de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de non-discrimination » et avaient pour but de mettre en œuvre « l’engagement des femmes dans le mouvement de contestation et de soutien à Euromaïdan basée sur les principes de solidarité, de fraternité [et sororité] et de respect mutuel ». Selon Anna Kovalenko, 150 femmes rejoignent la 39e centurie d’autodéfense féminine en trois jours. Elles participent aux affrontements dans la rue Grushevsky [où se produisent de violents affrontements], et résistent à la police. Elles appelleront plus tard les femmes à rejoindre les forces armées. Ces formations de combat de femmes seront critiquées par certaines féministes au motif qu’elles reproduisent un système et le comportement militaro-patriarcal. L’une des difficultés politiques qu’ont eue à gérer les centuries de femmes était la présence active de l’extrême droite. Outre que celle-ci était hostile à leur présence, les « valeurs » qu’elle défendait étaient fondamentalement opposées à celles de centuries. Mais l’extrême droite était particulièrement présente et efficace dans les affrontements avec la police et occupait les lignes de front. Aussi les centuries prenaient soin de se distancier des discours et méthodes de protestations des groupes d’extrême droite.
Pour Olena Shevchenko, de l’organisation de défense des droits LGBT Insight (ГО Инсайт), il n’y a pas eu d’ambiguïtés.
L’activité du Pravyï sektor [Secteur droit, extrême droite] s’explique très facilement. L’ultradroite ukrainienne estimait que c’était le bon moment pour attaquer et dicter un ordre du jour. Cependant, cet ordre du jour n’a rien à voir avec la défense des droits humains. Les ultradroites ont montré leur agenda : le renforcement du pouvoir d’un président fort, adoption de la Constitution nationale et, bien sûr, du traditionalisme. Dans ce discours, il n’y a pas de place pour l’égalité, le féminisme et les droits LGBT en Ukraine.
Fin janvier 2014, un groupe de féministes emmené par Nadia Parfan organise une Nuit de la solidarité des femmes sur la place Maïdan de Kyiv. L’initiative est annoncée par des affiches colorées faites à la main avec des photographies des femmes qui illustrent toutes les activités prises en charge par elles sur la place. L’événement, destiné à attirer l’attention sur l’importance la contribution des femmes aux manifestations, se conclut par une marche de femmes à travers Maïdan au rythme de bruyantes percussions et de chants, tout en scandant « Svoboda, Rivnist’, Zhinocha Solidarnist’ ! » [Liberté, égalité, solidarité des femmes]. À la fin de la marche, mégaphone en main, une oratrice déclare :
Aujourd’hui, nous crions que Ianoukovitch n’est pas seulement le seul mal, il y a un mal très spécifique, que nous appelons le patriarcat. Nous vous invitons tous, hommes et femmes, à protester non seulement contre Ianoukovitch, mais contre le système pervers qu’il représente. Alors nous disons : « À bas Ianoukovitch ! À bas le patriarcat ! »
Pour les féministes Tetiana Buryechak et Olena Petrenko, avec cette manifestation les femmes « agissaient et parlaient de façon consciente, autonome et comme des sujets actifs de l’histoire ».
« Les femmes Maïdan étaient devenues visibles non pas comme de simples “aides” mais en tant que participantes à part entière à la révolution d’une manière qui contribué à renverser les discours patriarcaux », explique également une participante. « Cette fois-ci, des femmes et des jeunes femmes, en particulier, ont exprimé beaucoup plus leur désir de faire partie de la révolution, de n’être pas seulement celles qui nourrissent et soignent les révolutionnaires, et elles ont dénoncé le sexisme là où elles l’ont vu », observe Dmitriyeva. À la suite de Maïdan et de l’annexion de la Crimée par la Russie puis du déclenchement de la guerre du Donbass, de nombreuses femmes s’engagent dans l’armée. Une nouvelle bataille s’ouvre pour la défense de leurs droits au sein de la Grande Muette ukrainienne.
Femmes au combat
Depuis 1998, année qui voit les premières femmes prendre l’uniforme, leur nombre est allé constamment croissant, bien que le plus souvent elles soient affectées à des postes que les hommes ne souhaitent pas occuper – et souvent les moins bien payés (infirmières, gestion, logistique ou communication).
Cependant, sept ans plus tard, en 2015, le ministre de la défense pouvait annoncer que 14 500 femmes étaient membres des forces armées, 30 500 avaient le statut d’employées et 2 000 occupaient le rang d’officières. Cette même année, 938 femmes étaient engagées sur la ligne de front au Donbass. Cependant, l’accession des femmes aux postes de combat restait limitée. En témoigne une déclaration, toujours en 2015, d’Igor Zakrevsky, directeur adjoint du recrutement de la région de Sumy qui n’avait aucune retenue pour affirmer :
Conformément à la loi, nous avons le droit d’offrir le service militaire aux femmes. Pourtant, actuellement, les postes vacants sont ceux de commandant, de conducteur et de mécanicien de char. Je ne peux pas imaginer une femme pour occuper ces postes. […] Si vous avez de la chance pour être né homme, vous avez toute votre vie à prouver aux représentantes de la seconde moitié de l’humanité qui ont eu la chance d’être nées femmes, que vous êtes un vrai homme. Il n’y a pas de meilleur moyen de le prouver que de vous tester dans des conditions militaires difficiles.
Une assertion que la guerre, sept ans plus tard, allait cruellement démentir. Reste que les femmes en uniforme devaient affronter de nombreuses difficultés. Le Bataillon invisible (dont nous parlerons plus loin) notait dans un rapport de 2016 que « l’infrastructure des forces armées ukrainiennes est conçue pour les besoins des hommes et exclut ainsi femmes avec leurs besoins spécifiques dans l’armée ». Le bataillon ajoutait, alors que les affrontements au Donbass étaient particulièrement violents :
Par conséquent, elle doit changer, pour que l’armée puisse intégrer correctement les femmes et leur permettre de participer efficacement aux hostilités sur un pied d’égalité, de s’entendre avec les hommes et satisfaire leurs souhaits et opportunités, pour défendre leurs valeurs.
Dans cette période, le ministère de la défense publie des décrets qui listent les postes pouvant être occupés par des femmes. S’appuyant sur le Code du travail, qui exclut les femmes de certaines professions (500), l’armée a beau jeu de refuser aux femmes militaires certains postes. Nataliya Dubtchak note, par exemple, qu’une « loi de 1993… interdit aux femmes travailler avec des explosifs, par conséquent une femme ne pouvait pas être affectée à un poste, par exemple, de mineur ou un démineur (ou d’autres professions militaires spécifiques)… » Un autre domaine, « qui est interdit aux femmes. C’est le service dans des unités spéciales. Les troupes d’assaut, les unités d’intervention rapide participant directement à opérations de combat ». Dans son Livre blanc 2019-2020, le ministère de la défense précisait une autre interdiction de poste parmi d’autres : « À l’heure actuelle, le personnel féminin n’est pas autorisé à occuper des postes d’officier liés à l’utilisation de substances toxiques, sur les sous-marins et les navires de surface (sauf pour les rôles liés à la médecine et à la psychologie) », tout en ajoutant que « des mesures sont prises pour sensibiliser en permanence à l’égalité des sexes parmi le personnel militaire » et que « la politique de genre est l’un des aspects les plus importants du principe universel de l’égalité qui favorise la réalisation maximale des opportunités sociales pour les femmes et hommes dans l’amélioration des capacités de défense nationale et de la préparation opérationnelle, ce qui est une priorité du ministère de la défense ».
Pour le Bataillon invisible, l’État « a créé une importante différence dans les ressources financières allouées aux femmes et aux hommes qui sont employé·es dans un même segment du marché du travail. Quand il interdit certains types de travail aux femmes justifiant son inquiétude quant à leur [fonction] de reproduction, il reconnaît et donne une plus grande valeur aux femmes en tant que mères et sape le rôle des femmes en tant que travailleuses. Par conséquent, l’interdiction ignore le rôle reproductif des hommes qui sont injustement considérés comme invulnérables. Cette interdiction véhicule également des stéréotypes de genre : les hommes sont considérés comme des personnes à toute épreuve, et les femmes, comme des personnes excessivement fragiles qui doivent avoir des enfants ». Au bout de six mois de guerre, Kateryna Pryimak de l’UWVM explique, en août 2022, que par chance son association avec le Bataillon invisible avait obtenu avant le 24 février l’ouverture aux femmes de 63 postes de combat : « Nous avions fait beaucoup de travail pour nous assurer que les femmes puissent postuler à l’école militaire Ivan Bohun, par exemple, en permettant aux jeunes filles de choisir de devenir officières dans les forces armées ukrainiennes2. » Mais son constat est cruel : « Il y a encore un sexisme qui dure et moisi dans l’armée, même si la guerre a beaucoup changé cela. »
En dépit de ces obstacles, nombre de femmes se sont malgré tout engagées dans l’armée et ont combattu sur le front au Donbass. Cependant, d’autres difficultés les attendaient en particulier l’inadéquation des équipements militaires. Par exemple, la taille des treillis ou des chaussures militaires n’étaient pas adaptées à leur taille et souvent les femmes devaient les raccommoder voire acheter elles-mêmes leur équipement pour disposer d’une taille de treillis ou d’une pointure de chaussures adaptées. Il en va de même pour les gilets pare-balles conçus pour les hommes. Ce n’est qu’en octobre 2021 qu’on apprenait que la Garde nationale avait demandé le développement d’un gilet pare-balles pour femmes au fabricant ukrainien Balistyka qui allait y travailler. Cependant, « les tests n’ont pas encore commencé : les développeurs ont expliqué qu’ils n’effectuaient que des tests préliminaires », annonçait le fabricant.
On peut douter que les choses aient changé depuis et lors de l’agression du 24 février le problème restait entier. L’Association des anciennes combattantes (voir plus loin) déclarant à cette occasion que « que les besoins de ces femmes [soldates] doivent être pris en compte au niveau des politiques publiques, en particulier, un équipement sensible au genre doit être développé et fourni ».
« Une autre question concernait le logement séparé ou partagé, et s’il est partagé, à quel point cette situation était confortable pour femmes. Nous avons appris des réponses [d’une enquête] que parfois les femmes doivent partager une chambre avec des hommes dans l’armée, et dans certains cas, elles ont des logements séparés », ajoute le Bataillon invisible. Des soldates témoignent :
C’était difficile au début car il n’y avait pas d’endroit où je pouvais être seule. J’étais la seule femme de la caserne. C’était particulièrement difficile pendant les deux premières semaines. C’était l’hiver. J’avais toujours froid. Il y avait 40 hommes dans la caserne. C’était difficile de s’habituer au fait que vous ne pouviez pas dormir comme à la maison – donc, tu dois dormir dans tes vêtements. Là n’y avait pas de serrure dans les douches. Aussi je demandais à quelqu’un en qui j’avais confiance de surveiller la porte. Mais ensuite je me suis habituée.
Une autre explique : « Les gars m’ont fait des toilettes privées et gardé les douches lorsque je me lavais. » Enfin, une troisième raconte : « Ils nous ont proposé de monter une tente séparée pour les femmes, mais aucune d’entre nous n’était d’accord, et puis tout le monde s’est habitué. À mon affectation précédente, j’avais une tente séparée. » Ces témoignages sur les accommodements possibles de vie commune entre soldats et soldates sont cependant à prendre avec précaution. « Tous les hommes que j’ai rencontrés dans le bataillon ont dit que je devrais être à la maison, donner naissance à des enfants », explique une autre soldate. « Oh, je l’entends tous les jours, tous les jours. Même mon mari [militaire lui-même] me dit : “Reste à la maison, fais ta couture”. »
Une infirmière militaire se souvient :
Une fois certains médecins de l’armée sont arrivés, ils avaient beaucoup bu. Ils ont dit qu’est-ce que tu fais là, ta place est dans la cuisine. Regarde, le poêle, tu n’es bonne à rien de plus.
Les stéréotypes sexistes se manifestent aussi par une attitude condescendante : « Il n’y a rien d’humiliant à être trop protégée », accuse une militaire. « Ils me protègent trop et essaient ne pas m’emmener dans les missions les plus intéressantes qui sont les plus dangereuses », regrette une autre. « J’ai souvent entendu : “Tu es une femme, reste à la maison et cuisine du bortsch.” Je détestais ça, mais c’était motivant. Chaque fois que j’ai entendu ça, j’ai prouvé que ma place n’était pas à la cuisine », conclut une dernière.
L’enquête du Bataillon invisible révèle qu’une militaire sur dix estime avoir été victime de harcèlement sexuel et ce, à plusieurs reprises. En 2018, le lieutenant Valeria Sikal avait porté plainte auprès du parquet militaire contre son commandant pour harcèlement sexuel. L’affaire avait fait grand bruit. Elle a été la première femme à dénoncer le harcèlement sexuel dans l’armée ukrainienne. Victime d’une campagne haineuse, elle a été forcée à démissionner et s’est réfugiée en Pologne.
Le Bataillon invisible (2020) a publié sur Facebook, de nombreux témoignages de femmes victimes d’agressions sexuelles dans les casernes. Un hashtag #ГоворитиНеМожнаМовчати (#Ne pas garder le silence) a été créé car, comme l’indique le Bataillon invisible, « étant donné que le harcèlement sexuel en général, et le harcèlement sexuel dans le domaine militaire en particulier, est perçu comme tabou, il est courant que les victimes ou les témoins ne signalent pas les affaires dans lesquelles elles ont été impliquées ». L’association propose d’« élaborer et mettre en œuvre un mécanisme de dépôt de plaintes pour harcèlement des militaires hommes et femmes sur le lieu de travail ». Notons également, parmi les 32 propositions du Bataillon invisible, celle de « mettre à jour les statuts militaires en ajoutant une terminologie sensible au genre » et de « créer des organisations non gouvernementales et des associations de femmes militaires afin de protéger leurs droits ».
Le bataillon invisible
Avant le 24 février, date de la guerre totale déclenchée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, ce sont des milliers de femmes qui ont combattu au Donbass : le chiffre de 7 000 est avancé. Le Bataillon invisible est né en 2015 d’une enquête sociologique coordonnée par Maria Berlinska, elle-même ancienne militaire, sur la participation des femmes à la guerre du Donbass dans l’est de l’Ukraine. L’enquête a révélé un certain nombre de problèmes que nous avons évoqué plus haut et dont les témoignages que nous citons sont pour beaucoup issus. Les conclusions de cette recherche ont conduit à une exposition de 50 portraits de combattantes ukrainiennes exposés au Parlement ukrainien et au ministère de la défense. Plus tard, un long-métrage documentaire, Invisible Battalion, a été réalisé : six histoires de femmes qui ont été (ou sont) des combattantes dans l’est de l’Ukraine. Le film met en lumière, entre autres, la vie d’Andriana Susak, 29 ans. Ancienne manifestante de Maïdan, elle est une combattante dans les troupes d’assaut sur le front dans le Donbass jusqu’à ce que, enceinte de cinq mois, elle quitte l’armée. Elle a dû enfiler une cagoule noire pour cacher son genre lors d’une opération visant à reprendre la ville ukrainienne de Shchastia en 2014, après que son commandant lui eut refusé la permission de se battre. Elle était alors dans les documents officiels répertoriée comme cheffe couturière. Le film a été projeté dans toute l’Ukraine.
Marina Usmanova, du centre LGBT de Kherson (dont nous publions le témoignage dans ce volume), explique que son centre a organisé une projection avant le 24 février. Il a été également diffusé à Paris et Lyon. Aujourd’hui, le Bataillon invisible dispose d’un site qui décline les objectifs de l’association :
Promouvoir des changements législatifs qui garantissent aux femmes l’égalité des droits et des chances en Ukraine, en particulier dans le secteur de la sécurité et de la défense ; défendre l’égalité des sexes et les droits des femmes, effectuer des recherches et des analyses en faveur de l’égalité des femmes dans la société en général et dans les forces de l’ordre et les forces armées en particulier.
Une association des anciennes combattantes [du Donbass] (UWVM) a été également fondée qui se fixe pour but « la défense et protection des droits des femmes vétérans et du personnel militaire [féminin] actif ».
Sur le front
Selon certaines estimations, 30 000 femmes affrontent actuellement la Russie sur les champs de bataille. Le journal TRT rapporte qu’un nombre sans précédent de femmes ukrainiennes « servent et combattent dans pratiquement toutes les formations militaires d’Ukraine et dans les forces armées et la garde nationale. » Les nécessités de la guerre ont bousculé les règlements et les affectations, ainsi que les diverses restrictions qui pesaient sur les postes que pouvaient occuper les femmes. L’un d’entre elles explique : « Je mine et démine. Parfois, je peux être une tireuse d’élite. Pourtant sur le papier j’aide aux tirs de lance-roquettes. Pourtant, nous savons toutes tout faire. »
Au mois d’août dernier, le ministère de la défense ukrainien communiquait sur les pertes militaires sur le front. Aucune précision n’était apportée sur la répartition par sexe. L’information sera reprise dans la presse en indiquant le nombre de « pertes en hommes ». Précisons que cette invisibilité des femmes combattantes n’est pas l’apanage du ministère de la défense ukrainien. Dans de nombreux conflits, où les femmes meurent au combat les armes à la main, elles disparaissent des statistiques.
Pour parachever cette invisibilité, Valery Zaloujny, commandant en chef de l’armée ukrainienne, déclarait même, toujours en août dernier, que des enfants ukrainiens avaient besoin d’une attention particulière car leurs pères étaient sur le front et « se trouvaient probablement parmi près de 9 000 héros qui ont été tués ». Une attention ou une dissimulation bien genrée, pourrait-on dire.
Les soldates capturées par les Russes subissent un traitement particulier eu égard à leur genre. Deux exemples parmi d’autres. Selon le Centre des droits humains de Kharkiv, « des prisonnières de guerre ont été détenues à la prison Sizo de Donetsk [en « République populaire de Donetsk »] dans des conditions épouvantables. Dans des cellules destinées à deux ou trois personnes, jusqu’à 20 femmes étaient emprisonnées, avec un seau, au lieu de toilettes et sans possibilité de se laver. Les prisonnières de guerre libérées font état de pressions psychologiques, les hommes étant battus devant elles, et elles ont également été forcées à avoir des relations sexuelles. » Il s’agissait de 86 femmes combattantes.
En avril dernier, un échange de prisonnier·es permet la libération de soldat·es dont 15 prisonnières qui sont rentrées chez elles le crâne rasé. Le symbolisme du crâne rasé visait clairement à la fois à « humilier et dégrader la prisonnière ». Lors de leur captivité, elles ont été forcées de se déshabiller en présence d’hommes et de s’accroupir pendant des heures. C’est à ce moment que les gardes russes leur ont rasé la tête et les ont soumises à d’innombrables interrogatoires, jour et nuit. L’une d’elles témoigne :
Les gardiens nous ont alignées et ont essayé de nous briser le moral. L’un d’eux n’arrêtait pas de crier « Gloire à la Russie ! » Il s’approchait du visage de chaque femme, crachait et criait ce slogan encore et encore. Il s’attendait probablement à ce que l’une d’entre nous s’effondre et réponde à son « salut ». Notre silence les a rendus furieux… ils nous ont récompensées par la torture.
Article paru sur le blog : Entre les lignes entre les mots (https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/09/23/ukrainiennes-en-armes/)
- 1. Olha Kobylianska (1863-1942), romancière et féministe ukrainienne.
- 2. « Liza Shkrobot est l’une des premières femmes à être entrée à l’académie militaire Ivan Bohun en septembre 2019. Avec elle, 20 autres femmes ont été alors admises à l’école militaire où elles ont constitué un groupe d’élèves séparé (notamment pour les cours) des 300 élèves officiers hommes présents dans l’académie. Le directeur de l’académie Ihor Gordiychuk déclarait le jour de l’admission des aspirantes-officières « maintenant, la tâche est d’incorporer un peloton séparé (féminin) au cours de cette première année. Pas moins de dix et pas plus de 30 filles. » Éduquer à l’art militaire à plus de femmes aurait été une tâche insurmontable pour cet officier supérieur aguerri et de grande valeur.