Hier, c’était jour férié en Afrique du Sud : le Youth Day commémore le massacre d’étudiants noirs par la police, le 16 juin1976. A Durban, la marche traditionnelle s’est transformée en mouvement de colère réunissant ceux que la Coupe du monde a privés de travail. Des pêcheurs, des marchands ambulants interdits de pénétrer le vaste périmètre autour du stade où l’on ne vend que du Coca et de la Budweiser, sponsors officiels de la Fifa. Et surtout des stadiers, reconnaissables à leurs blousons de vinyle noir. De Durban au Cap, en passant par Johannesburg, un mouvement de colère monte, des grèves succèdent aux manifestations. Car ces stadiers ont découvert qu’ils seraient beaucoup moins payés que ce qu’on leur avait promis. Et à Durban, depuis qu’ils sont descendus dans la rue, ils ont perdu leur job.
Samuel est de ceux-là. Il avait signé un contrat de trois mois avec une société sud-africaine, Stallion Security. Depuis mai, il était garde statique aux alentours du stade. «Nous sommes très fiers d’avoir la Coupe du monde ici et j’étais content de protéger les gens, dit-il. Aujourd’hui, nous sommes très en colère. Nous voulons toucher ce qu’on nous doit.»
Lacrymogène. D’un stadier à l’autre, promesses et paie ont varié. La plupart devaient toucher dans les 250rands (environ 26euros) la journée; ils ont découvert qu’ils n’en auraient que la moitié les jours sans match alors qu’ils font les mêmes horaires: de 6heures à minuit. Pour rentrer chez eux, ils doivent se débrouiller. A cette heure-là, il faut payer un taxi qui grignote le salaire avec lequel il faudra sans doute tenir à plusieurs quelques mois. Car rentrer à pied dans les townships de banlieue peut leur prendre plusieurs heures de marche.
Dimanche, à l’occasion d’Allemagne-Australie, plusieurs centaines de stadiers ont manifesté à Durban. La police a chargé, lancé du gaz lacrymogène puis tiré des balles en caoutchouc. Musa montre sa cheville bandée. Il serait tombé après avoir reçu un projectile. Plusieurs stadiers se sont retrouvés à l’hôpital. D’après Musa, une femme serait décédée. La Fifa dément. Depuis la manifestation, la police gère les accès au stade, à la demande de la Fifa. «Nous avons annulé le contrat avec Stallion Security», explique Martin Roos, l’un des responsables de la sécurité du site de la fédération internationale. Cette dernière aurait constaté que trop de gens entraient sans accréditation, que des fausses cartes avaient été fabriquées.
Plus de contrat, plus de travail pour les salariés, dont certains craignent de n’être jamais payés. Ils ont reçu un texto annonçant qu’ils allaient toucher ce qu’on leur devait. Ce qui ne leur rendra pas leur travail.
Hier, une délégation a voulu rencontrer un responsable de la Fifa. Deux heures avant Suisse-Espagne, cinq personnes se sont approchées du stade. Un policier a laissé passer Musa, qui avait toujours son accréditation. Un responsable de l’instance sportive s’est approché, l’a examinée, et a demandé aux policiers de le refouler.
Navré. Musa a demandé ce qu’allaient devenir les stadiers sans travail. «Bye-bye», a répondu le responsable. Puis, comme on relayait la question, il a haussé les épaules, ouvert les mains en prenant un air navré et a dit en anglais: «Ce n’est pas notre problème. C’est une négociation entre eux et leur employeur.»
Par OLIVIER BERTRAND Envoyé spécial à Durban